Le directeur de l'AI se défend
«Nous ne sommes pas les méchants de l'histoire»

En poste depuis trois ans, Olivier Barraud, directeur de l'assurance-invalidité du canton de Vaud, a plutôt pour habitude d'être étrillé dans les médias. Pour Blick, il a accepté de s'exprimer sur les différents reproches qui planent sur l'AI. Interview.
Publié: 18.06.2022 à 08:55 heures
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Dernière mise à jour: 18.06.2022 à 09:00 heures
Olivier Barraud est le directeur vaudois de l'assurance-invalidité.
Photo: Keystone
Malick Reinhard

Blick: Olivier Barraud, merci d'avoir accepté notre demande d'interview. Ce n’était pas gagné d’avance, parce que vous avez quelques différends avec les médias. Qu’est-ce qu’il s'est passé?
Olivier Barraud:Si vous voulez, moi, j’ai toujours ouvert ma porte aux médias. Sans trop de soucis. Comme vous, j’ai déjà reçu plusieurs journalistes ici. Après, c’est vrai que, parfois, entre l’interview et le rendu, il y a des éléments qui m’ont un peu perturbé. Pas tellement sur les différences d’opinion, voire d’interprétation – parce qu’on a le droit de ne pas être d’accord. C’était plutôt sur les éléments erronés avancés par certains médias. Lorsqu’une émission affirme que vous ne touchez rien de l’assurance-invalidité (AI) si vous ne gagnez pas 120'000.- c’est aussi aberrant que faux. C’est très important de véhiculer des informations qui sont justes, ne serait-ce que pour ne pas faire reculer certaines personnes devant leur droit à l’AI.

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En préparant cet entretien, vous me disiez: «On ne mérite pas ma confiance. J'ai pour habitude de la donner.» Est-ce que je dois comprendre que, si je fais un pas de travers, l’AI va me couper les vivres?
(Rires) Non! Parce que, bien heureusement, nous sommes dans un État de droit. Et, même si je le voulais, je ne pourrais pas! Sans oublier que, aujourd’hui, je ne vous reçois pas en tant qu’assuré, mais en tant que journaliste. J’essaie de ne pas mélanger les choses. Et j’espère que c’est le cas pour vous aussi…

Vous pouvez compter sur moi! Dans des courriers que Blick a pu se procurer, vous parlez de personnes «grabataires», «non-rentables», d’«employabilité»… Pour un ancien élu socialiste comme vous, ça ne vous dérange à aucun moment de qualifier vos assurés ainsi?
Ça n’est pas possible. En tout cas pas dans nos courriers officiels…

13 avril 2017: Madame Raymonde S.* se voit refuser un lit médicalisé, car jugée trop «grabataire». Est sous-entendu – sans trop de sous-entendus – que le lit demandé servirait davantage aux proches de Madame S., plutôt qu’à elle-même. Le courrier est signé par votre office. Vous ne pouvez pas dire que ça n’existe pas…
En tout cas, il n’y a pas de sous-entendus dans nos courriers! Je sais que nous faisons très attention au langage utilisé dans nos courriers, en nous référant à un «catalogue de textes» fédéral. Et il n’est pas exclu, bien sûr, que certains présentent des défauts. Il est aussi vrai de dire que le vocabulaire utilisé est assurantiel et technique. Cela peut créer des ressentis négatifs chez nos assurés. Là-dessus, nous avons de gros efforts à faire, afin de rendre nos missives plus accessibles. Je pense par exemple aux personnes allophones ou qui vivent avec des difficultés de compréhension… L’idéal, par exemple, serait d’avoir un code QR qui renvoie à une vidéo explicative et adaptée. Et Les personnes mécontentes ont toujours la possibilité de s’annoncer à l’espace d’écoute et de conciliation.

Au-delà des mots, sur quelles bases votre assurance décide qu’une personne est «grabataire» ou «non rentable»? Vous allez par exemple refuser une demande de rente…
Ou l’accepter! À l’AI, on a un principe de fonctionnement: la personne assurée demande une prestation, mais n’a pas besoin de prouver son utilité. Ça, c’est notre travail. C’est nous qui allons chercher les rapports auprès des médecins traitants, auprès des pédiatres, auprès des psychiatres ou des généralistes. On appelle cela la phase d’instruction. Elle peut grandement varier en fonction de la demande – l’instruction d’un changement de pile pour un appareil auditif ne va pas prendre plus que quelques minutes. Ensuite, sur la base de cette récolte de documents, nous allons examiner si la personne a droit ou non à des prestations de notre assurance. Parce que, nous, en tant qu’organe exécutif, on est tenu d’appliquer la loi. Mais, pour nous toujours, il n’y a pas de cas «standards». C’est toujours très individualisé. Toujours du cas par cas.

Vous êtes conscient que ce genre de décisions, et de vocabulaire, peut mettre des bâtons dans les roues – à des gens qui en ont déjà beaucoup?
Oui, bien sûr. Quand on prononce une décision de refus, ça va créer forcément une déception, une frustration, qui, quelquefois, se transformera en colère. Mais, après, nous, on a un droit fédéral qui est donné. Ce droit, il a directement été voté par nos élus, et donc indirectement par le peuple.

Si je comprends bien, n’importe qui pourrait déclencher un referendum pour modifier le fonctionnement de l’AI?
Oui, ou en tout cas des initiatives populaires. Il y a eu plusieurs référendums dans l’histoire de l’AI. Les décisions du parlement ont été plébiscitées par le peuple. Je pense notamment à la cinquième révision de l’AI (ndlr, votée le 17 juin 2007. La sixième est entrée en vigueur le 1er janvier 2022). À un moment donné, je ne crois pas que nous soyons là pour faire de la politique. On est là pour appliquer la volonté du législateur (ndlr. l’ensemble des organes décisionnels politiques, à commencer par le Parlement), qui, lui, est démocratiquement élu. Je le rappelle.

Avec tous les éléments exposés, est-ce que l’on peut encore dire que l’AI est une assurance «sociale»?
Toute personne qui fait appel à notre assurance arrive avec un souci, un problème. Donc, oui, on est dans une activité qui est profondément humaine et dans laquelle il y a passablement de souffrance et d’émotionnel. Alors, on doit essayer d’avoir des services à la population qui soient le plus social possible, qui soient remplis d’empathie. Après, on a un droit à faire appliquer. C’est la mission qui nous est donnée. Dans une assurance, c’est normal qu’il y ait aussi des refus. Tout simplement parce que, parfois, la décision n’est pas du ressort de notre assurance.

Vous pensez que monsieur et madame Tout-le-monde sont suffisamment informés aujourd’hui pour voter sur l’AI?
C’est le propre de notre démocratie. Est-ce qu’on est suffisamment informés pour voter sur les avions de combat? Qu’est-ce que j’en sais, moi, si le F-35 est un bon avion. Je pense que, si on n’est pas suffisamment informé, les gens sont au moins éclairés et conscient des enjeux. Ils ont les documents de votations et peuvent les lire. Ils peuvent écouter les débats. L’important, c’est de voter en son âme et conscience.

On revient rapidement sur les décisions que l’AI peut prendre et qui peuvent détruire une vie… Une assurance n’est-elle pas censée «protéger»?
Oui, et c'est là tout l'intérêt du système des assurances sociales en Suisse. Elles sont là pour protéger la population en cas de coup dur. Mais, ce n’est pas parce qu’une personne va faire face à un refus de notre assurance qu’elle ne va pas trouver une solution auprès d’une autre. Évidemment, il faut entendre les gens qui sont déçus. Par contre, il y en a aussi plein qui sont entièrement satisfaits de notre travail. C’est sûr, on les entend un petit peu moins dans les médias… C’est, là aussi, ce que je souhaite combattre: il faut arrêter de croire que l’AI est une sorte de «maladie honteuse». Ici, en venant, vous avez croisé des personnes qui sont engagées ici et qui sont passées par notre assurance. La mauvaise image de l’AI m’ulcère un peu, car il y a beaucoup de belles choses qui se réalisent!

Poser la question, c’est peut-être déjà y répondre, mais… Vous êtes fier de ce que l’AI offre à la population?
Je suis fier du travail que fait l’ensemble du personnel. Je suis fier du catalogue de prestations que l’on peut délivrer.

Mais vous avez des défauts quand même…
Oui, le système est perfectible. Mais, au risque de me répéter, c’est au législateur de l'optimiser. Celui-ci vient de faire une grosse révision, dans le cadre du développement continu de l’AI. Il y a eu tout un travail, ciblé, notamment, sur les jeunes, pour que l’on ait plus de moyens d’accompagnement. On a donc récemment mis en place une cellule, avec les doyens des écoles du canton de Vaud, afin de pouvoir détecter plus vite les difficultés et, ainsi, mettre en place des mesures de soutien pour qu’ils puissent accéder ensuite à une formation professionnelle ou académique. Mais je pense que nous avons encore du travail à faire. Par exemple en matière de communication avec nos assurés.

Ça a d’ailleurs le mérite de faire remonter des doléances – et ça vous touche, vous me l’avez dit. Qu’est-ce que vous espérez comme lien entre l’AI et ses contribuables?
Je pense que l’on doit poursuivre la route qui a été définie par notre vision axée sur 2024. C’est-à-dire: plus de transparence, plus d’accessibilité, de la simplification, plus de qualité et aussi une diminution des durées de traitement. Là, on a toute la mise en œuvre du développement continu de l’AI. C’est un sacré défi croyez-moi !

Bon, malgré toutes ces questions, est-ce que j’ai réussi à conserver votre confiance?
(Rires) Écoutez, aujourd’hui, je ne vois aucune raison de vous retirer ma confiance. J’aurai plaisir à continuer de vous lire!

Olivier Barraud, merci.

*Nom connu de la rédaction

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