L'avis d'Amnesty, WWF, Caritas…
«La plateforme ne correspond plus à nos valeurs»: de plus en plus d'organisations suisses désertent X

Qu'elles soient en pleine réflexion ou qu'elles aient déjà supprimé leur compte, de nombreuses entreprises s'interrogent quant à leur présence sur X. Cet exode mondial qui atteint largement la Suisse marque-t-il un tournant pour la plateforme?
Publié: 14.12.2024 à 12:22 heures
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Dernière mise à jour: 14.12.2024 à 13:12 heures
Amnesty Suisse, Caritas, WWF, Météo Suisse... De plus en plus d'organisations et entreprises helvétiques désertent ou réfléchissent à quitter X.
Photo: Shutterstock
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Ellen De MeesterJournaliste Blick

La plateforme X vit actuellement un véritable exode, alors que ses utilisateurs plient bagage les uns après les autres. Les comptes ouverts à l'ère de feu Twitter s'évanouissent sous le règne d'Elon Musk, qui s'est promis de révolutionner la plateforme en 2022.

En l'espace de deux mois, 2,7 millions d'internautes ont quitté le réseau social, souligne le média britannique «The Guardian», qui a lui-même abandonné la plateforme. Parmi les grands absents, on trouve d'innombrables organisations et entreprises mondialement renommées, ne reconnaissant plus leurs valeurs en X. La dernière en date: Amnesty International, incluant Amnesty Suisse, qui expliquait sa décision dans un communiqué de presse diffusé le 10 décembre:

«Pendant de nombreuses années, Twitter/X a été pour Amnesty Suisse un lieu important pour partager nouvelles et informations de fond sur les recherches et les campagnes en cours, indique Nadia Boehlen, porte-parole, dans le document. Toutefois, la plateforme a perdu toujours plus en pertinence. Pire, on y promeut la haine, la malveillance et les fake news. L'algorithme de X favorise désormais les contenus qui alimentent l’extrémisme politique et la désinformation.»

Désinformation et propos toxiques, sous le règne de Musk

Et Amnesty est loin d'être la seule à adopter cette posture, en Suisse. Ce printemps, la RTS s'est également éloignée de X, qui ne correspond plus à ses valeurs journalistiques, tandis que la conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider a fermé son compte en novembre, souligne «24 Heures»

De son côté, le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) a cessé d'utiliser X en décembre 2023, à la suite de mises à jour des conditions d'utilisation de la plateforme: «La décision est principalement due au fait que le contrôle de la désinformation est moins bon que lorsqu’il s’agissait de Twitter», nous précise une porte-parole par mail. 

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Pour Blaise Reymondin, spécialiste en marketing numérique au sein du collectif Blaise & Bruno, basé à Pully (VD), il ne s'agit pas d'une surprise: «Je comprends que des entreprises veuillent quitter X, affirme-t-il. La désinformation qui y circule et les positions tranchées d'Elon Musk, qui se pose en figure anti-woke et en défendeur d’une liberté d'expression quasi absolue, peuvent inquiéter les organisations.»

Pour le spécialiste, cette volonté de prendre leurs distances avec une plateforme devenue clivante est logique: «Ces entreprises cherchent à protéger avant tout leur image de marque qui pourrait être ternie par l'association avec la réputation sulfureuse de X.»

Beaucoup d'entreprises suisses sont en pleine réflexion

Il y a les entreprises qui partent... et celles dont les réflexions n'ont pas encore abouti. Il s'agit toutefois d'une thématique récurrente, comme le suggèrent notamment les discussions au sein de Météo Suisse: «Nous sommes en train de réfléchir à l'avenir de X/Twitter, confirme Barbara Galliker, chargée de communication. Nous n'avons pas pris de décision, mais nous observons l'évolution de la plateforme.» 

Même son de cloche pour WWF et Caritas, qui mènent actuellement des réflexions semblables: «Nous avons décidé d'ouvrir, en plus de X, un compte sur les plateformes Bluesky et Threads, explique Sophie Sandoz, porte-parole de WWF. Nous suivons de près l'évolution de ces plateformes.» Caritas, de son côté, a également créé des comptes Bluesky en français et en allemand il y a plusieurs semaines, mais garde pour l'instant sa présence sur X. 

Quitter X, c'est accepter de perdre des abonnés

Rappelons en effet que ces différentes plateformes restent des outils inestimables pour les entreprises, surtout lorsque celles-ci y ont investi beaucoup d'efforts: 

«Un réseau social, c'est avant tout la communauté qu'on a patiemment construite au fil des années, bien plus qu'une simple plateforme technique, note Blaise Reymondin. On ne peut pas juste claquer la porte et espérer recréer la même chose ailleurs. Pour une entreprise qui a bâti une audience fidèle sur X, partir représente une vraie perte. Parmi celles qui franchissent le pas, soit elles n'avaient jamais vraiment trouvé leur public sur la plateforme, soit elles font primer leurs valeurs avant tout le reste, et c'est en cela respectable.»

Certains départs sont surtout stratégiques

Cette analyse est confirmée par les délibérations de l'organisation suisse Terre des Hommes, qui s'est éloignée de X pour chacune des raisons évoquées plus haut: «Les orientations récentes prises par la direction de X sont effectivement en décalage avec nos valeurs fondamentales», explique Deniz Ates, responsable communication ad interim.

Or, si ce point a indéniablement pesé dans la balance, il n'est pas le seul argument pris en compte: «Nous avions aussi remarqué que cette plateforme ne nous permettait pas d’atteindre notre public cible, que les réactions à nos posts sont aussi très limitées, poursuit notre interlocuteur. Cette situation est notamment due au fait que nous n’y avons pas investi beaucoup d’efforts, X étant une plateforme moins stratégique pour nous, que ce soit avant ou après Elon Musk.» 

Chez d'autres, le départ de X relève uniquement d'une décision stratégique. C'est le cas, par exemple, de McDonald's Suisse, qui a désactivé son compte: «Au cours des dernières années, nous avons utilisé cette plateforme de manière passive et n'avons pas mené de campagnes actives, précise un porte-parole de la chaîne. Nous souhaitons utiliser nos ressources de manière ciblée, là où elles apportent le plus de valeur ajoutée à nos hôtes.»

Certains n'ont d'autre choix que de rester sur X

Qu'elles soient gênées ou non par la nouvelle direction de X, certaines entreprises ou organisations n'ont évidemment pas le choix que de rester actives sur la plateforme: 

«Nous conservons pour l’instant nos comptes, car passablement de nos contacts dans les deux langues n’ont pas encore migré vers Bluesky, constate Fabrice Boulé, responsable communication chez Caritas Suisse romande. X ne correspond plus à nos valeurs, mais reste encore nécessaire pour atteindre notamment les journalistes, des organisations partenaires, les cercles politiques.» 

Le constat est semblable chez Croix-Rouge Suisse, bien qu'un retrait ne soit pas exclu «à moyen ou long terme». 

Est-ce un tournant pour la plateforme?

Mais ne vous inquiétez pas trop pour Elon Musk! Selon Blaise Reymondin, il peut dormir sur ses deux oreilles: «Je doutais de l'avenir de X il y a encore quelques mois, mais aujourd'hui, je ne parierais plus sur son échec. Je pense même que la plateforme va avoir plus d'influence que jamais. D'une part, Musk investit massivement dans l'intelligence artificielle – son IA Grok se montre déjà à la hauteur de ses rivaux. D'autre part, X est devenue la référence pour accéder à une information qu'on ne trouve pas dans les médias traditionnels.» 

Notre expert cite notamment des actualités de niche et spécialisées, qu'il estime d'une richesse exceptionnelle: «Pour prendre un exemple personnel, je suis passionné par l'IA et le biohacking, et X est devenue ma source privilégiée pour suivre ces sujets.»

Et Bluesky, c'est mieux?

Pour le spécialiste, c'est plutôt la plateforme Bluesky, fondée par Jack Dorsey, cocréateur de feu Twitter, qui ne devrait pas crier victoire trop tôt: «Bluesky, c'est un peu le plan B, une sorte d'arche de Noé pour les utilisateurs de X qui ne sont plus à l'aise sur un réseau trop connoté à leur goût, analyse-t-il. On sent un frémissement, mais rien n'est joué. Pour beaucoup, c’est X qui reste incontournable.»

C'est également ce que remarquent plusieurs des organisations citées dans cet article, dont WWF: «À ce jour, notre portée et l'interaction sur X restent nettement supérieures à celles des autres canaux, souligne Sophie Sandoz. X est donc un canal qui reste pertinent pour atteindre notre public cible sur cette plateforme.»

Amnesty Suisse, en revanche, fait l'apologie de Bluesky dans son communiqué: «Cette plateforme relativement récente, semble moins problématique que X en termes d'indépendance politique, propose une politique de protection des données et des mécanismes contre la propagation de propos haineux satisfaisants, et connaît une forte croissance», se réjouit l'ONG.

Le monde des réseaux sociaux prend des allures d'échiquier, partagé entre ceux qui partent, ceux qui hésitent et ceux qui sont coincés. Mais seul l'avenir nous dira qui, entre X et Bluesky, pourra déclarer «échec et mat». 

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