L'attractivité du pays compromise?
Les milieux libéraux craignent les conséquences des grèves en Suisse

Dans plusieurs branches, les syndicats menacent de faire grève en Suisse. Une situation inhabituelle. Les milieux libéraux craignent que cette tendance pèse sur l'attractivité du pays, où le recours à la grève reste pourtant 48 fois moins élevé qu'en France par exemple.
Publié: 19.10.2022 à 08:25 heures
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Dernière mise à jour: 19.10.2022 à 08:39 heures
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Les représentants de l'économie craignent une augmentation de l'envie de faire grève en Suisse.
Photo: Keystone
Martin Schmidt

Contrairement à nos voisins étrangers, les Suisses ne sont pas vraiment des férus de grève. Les travailleurs n'aiment pas particulièrement arrêter de travailler pour protester. Dans notre pays, on compte à peine un jour de travail perdu par an pour 1000 employés. Il en va tout autrement en France, où le droit de grève est utilisé à foison. Pour 1000 employés, les Français perdent 93 jours de travail par an.

Les choses sont-elles sur le point de changer chez nous? Les menaces de grève de la part des pilotes de Swiss fin octobre ne sont pas isolées. Plus de 20'000 travailleurs ont récemment voté pour un arrêt national des chantiers. A Genève, les employés des transports publics TPG ont fait grève la semaine dernière et les chauffeurs de taxi cette semaine. C'est une situation qui correspond toutefois à une tendance, selon Christian Koller. «Aujourd'hui, les syndicats hésitent moins à faire grève qu'à la fin du XXe siècle», explique l'historien et directeur des Archives sociales suisses à Zurich.

La pénurie de main-d'œuvre qualifiée comme facteur

Autrefois, c'était surtout le personnel de grands groupes ou de branches entières comme le bâtiment qui faisait grève. Aujourd'hui, il s'agit plus souvent des employés de petites entreprises. On fait grève dans les magasins et chez les fournisseurs.

Le contexte économique pourrait encore favoriser l'envie croissante de faire grève. Dans de nombreux secteurs, les entreprises recherchent désespérément de la main-d'œuvre. «La pénurie de main-d'œuvre qualifiée place les travailleurs dans une position de négociation plus forte», analyse l'historien.

La paix du travail suisse: un atout

Le faible nombre de grèves en Suisse jusqu'à présent est considéré comme l'une des raisons pour lesquelles notre pays est si attractif pour les investisseurs et les entreprises internationales. «Peu de grèves et des collaborateurs motivés sont synonymes de sécurité de planification. La paix du travail est jusqu'à aujourd'hui une valeur importante et aussi un atout dans la concurrence internationale», explique quant à lui l'historien économique Bernhard Ruetz.

Mais le ton semble désormais se durcir lors des négociations, du moins dans certains secteurs. D'un côté, les employeurs se plaignent d'exigences salariales toujours plus hautes. Si Swiss acceptait les revendications du syndicat des pilotes Aeropers, ses frais de personnel pour les pilotes passeraient de 1 à 1,2 milliard, avance la compagnie aérienne.

La grève comme ultime argument

De leur côté, les syndicats dénoncent des attaques contre les conventions collectives de travail (CCT) dans un nombre croissant de branches. «Jusqu'à présent, nous avons pu repousser ces attaques et même améliorer la couverture des CCT en Suisse, contrairement à la plupart des autres pays», explique Vania Alleva, présidente d'Unia. Si une CCT est en vigueur, la grève n'est pas autorisée.

Vania Alleva attribue le durcissement des syndicats aux «attaques massives contre les droits des travailleurs et travailleuses«. Les employeurs veulent démanteler les lois sur le travail et flexibiliser les rapports professionnels. Les grèves sont le dernier recours, mais aussi le plus efficace, pour les travailleurs. Les syndicats ne recourraient jamais à la menace de grève à la légère, car chaque grève est liée à une lourde charge et à de grands risques pour les grévistes.

«Radicalisation de certains syndicats»

Au sein du laboratoire d'idées libéral Avenir Suisse, ce sont évidemment les syndicats qui sont pointés du doigt et considérés comme coupables. «Nous constatons une radicalisation idéologique de certains syndicats», accuse Peter Grünenfelder. Le directeur d'Avenir Suisse y voit une évolution dangereuse. Actuellement, les syndicats perdent massivement des membres et représentent ainsi de moins en moins de travailleurs. Alors qu'en 1960, 29% de la population active était membre d'un syndicat, cette proportion n'était plus que de 13% en 2020. «Comme les syndicats perdent de plus en plus de leur importance, ils se montrent de plus en plus radicaux», analyse le libéral.

Le directeur d'Avenir Suisse craint que la place économique de notre pays ne perde de son attractivité: «Nous avons déjà du mal à maintenir notre attractivité en raison de l'embouteillage décisionnel de la politique fédérale. Si le nombre de grèves augmente, nous perdrons encore en la matière.»

Les Français font grève 48 fois plus souvent

L'historien Bernhard Degen, de l'université de Bâle, se veut en revanche rassurant: «Les statistiques historiques sur les grèves ne permettent pas d'établir un lien entre le développement économique et le nombre d'épisodes d'arrêt de travail.» Autrement dit: même là où il y a beaucoup de grèves, l'économie peut être florissante - et donc continuer à attirer les investisseurs et les entreprises de l'étranger.

Même si le nombre de grèves augmente en Suisse, elle a encore beaucoup de marge pour rattraper les statistiques de la plupart des pays. Par rapport au nombre d'habitants, les Etats-Unis comptent neuf fois plus de jours de grève que la Suisse. En Allemagne, c'est 18 fois plus, et en France pas loin de 48 fois plus! La Suisse ne risque pas de se débarrasser de son image d'élève modèle de sitôt...

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