L'après Sergio Ermotti inquiète
L'UBS va-t-elle rester une banque suisse encore longtemps?

La nouvelle mégabanque du pays fait le grand écart, avec d'un côté une UBS suisse qui garde les pieds sur terre et une UBS mondiale qui maximise ses profits. Mais une telle formule pourra-t-elle survivre à Sergio Ermotti? Analyse
Publié: 27.04.2024 à 09:51 heures
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Dernière mise à jour: 27.04.2024 à 10:09 heures
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Sergio Ermotti est monté au pupitre lors de l'AG de l'UBS.
Photo: STEFAN BOHRER
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Rolf Cavalli

Ces dernières semaines, deux mondes se sont affrontés. D'un côté, les petits actionnaires d'UBS qui, lors de l'AG à la Halle Saint-Jacques de Bâle, se sont insurgés contre le salaire de 14 millions du CEO Sergio Ermotti – «Vous devriez avoir honte», a-ton notamment pu entendre. Avec eux, d'anciens investisseurs de Credit Suisse qui, coiffés d'une casquette, se remémoraient le bon vieux temps passé au sein de leur ancienne banque, avant qu'elle ne s'effondre subitement.

Tous étaient très loquaces. En vain. Car la grande majorité des actions, et donc les leviers du pouvoir, sont entre les mains de gros investisseurs étrangers.

Le grand écart entre UBS suisse et UBS mondiale

Ce qui nous amène de l'autre côté du monde de l'UBS: les investisseurs mondiaux qui se font représenter par des conseillers et dont les votes sont anonymes. Ce sont eux qui ont approuvé le salaire princier de Sergio Ermotti avant même la tenue de l'AG. Car ces actionnaires-là ne s'intéressent pas au débat sur les bonus en Suisse, mais plutôt à ce qu'ils pourraient bien en retirer.

Il y a donc deux UBS. L'UBS suisse, qui garde les pieds sur terre, et l'UBS qui maximise ses profits. Cet écart s'est encore plus creusé depuis le sauvetage en urgence de Credit Suisse avec l'aide de l'Etat. Sur le plan national, la nouvelle mégabanque est confrontée à de nouvelles réglementations et doit veiller à ne pas perdre trop de confiance avec sa politique salariale. Sur le plan global en revanche, elle veut s'imposer sur le marché financier mondial, où la loi du plus fort prévaut. Une banque, deux mondes.

Le successeur de Sergio Ermotti sera-t-il étranger?

Le Tessinois Sergio Ermotti incarne ces deux mondes à lui seul: c'est un banquier cosmopolite qui a fait son apprentissage ici et qui, en même temps, en tant que citoyen, comprend notre démocratie directe et ses protagonistes.

Alors certes, son salaire était difficilement compréhensible pour le commun des mortels. Mais dans les tempêtes d'indignation, on a vite tendance à oublier ce que signifie le salaire du CEO. Car avec cette classe salariale (qui devrait même passer de 14 à 20 millions de francs au maximum l'année prochaine), le conseil d'administration de l'UBS crée les conditions pour pouvoir recruter un jour le successeur de Sergio Ermotti à l'étranger. Selon la logique bancaire, une star à l'international ne peut être attirée que s'il peut gagner à peu près autant que dans une grande banque américaine du calibre de Goldman Sachs (actuellement 31 millions de dollars).

Dès lors, une question taraude l'esprit de bien des gens: qui sera le prochain patron de l'UBS? Certes, la banque compte en son sein des autochtones prometteurs. Mais il n'est pas certain que le conseil d'administration, dirigé par l'Irlandais Colm Kelleher, tienne compte de la nationalité du futur CEO.

Sur le plan commercial, le fait que le patron de l'UBS ait un passeport rouge à croix blanche ne joue aucun rôle. Mais politiquement, la désignation d'un patron étranger serait un signe fatal. Après tout, l'UBS est considérée comme une banque d'importance systémique que l'Etat devrait sauver dans le pire des cas.

Vers un départ de l'UBS hors de la Suisse?

Un départ de l'UBS hors de la Suisse marquerait la fin d'une alliance de longue date. Dans le débat actuel, les dirigeants d'UBS se gardent bien d'évoquer de tels scénarios. Mais plus les réglementations de l'Etat seront fortes, plus la délocalisation du siège social à l'étranger apparaîtra comme une option réelle. L'UBS doit beaucoup à la Suisse: son propre sauvetage en 2009, le cadeau du Credit Suisse et la «suissitude» qu'elle porte en son nom et qui est synonyme de sécurité et de fiabilité.

Inversement, la Suisse a intérêt à ce que sa plus grande banque fonctionne. Elle est un moteur économique et elle facilite l'indépendance financière du pays. En même temps, de plus en plus de voix s'élèvent pour voir plus de risques que d'opportunités dans cette nouvelle banque XXL qui, avec un bilan de plus de 1700 milliards de dollars, est devenue plus de deux fois plus grande que le produit intérieur brut (PIB) suisse.

Alors la Suisse a-t-elle encore besoin de cette UBS et à quel prix? Et, quelle est la valeur l'UBS confèrera-t-elle à la Suisse à long terme? Les deux parties doivent répondre à ces questions. Et leur relation ne devra pas faire l'objet de paris désinvoltes.

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