L'antisémitisme progresse, les juifs de Suisse sont inquiets
«Je ne veux plus que mes enfants portent une kippa à l'extérieur»

Depuis le 7 octobre 2023, les répliques du séisme au Proche-Orient continuent de toucher la Suisse. Chez nous, les juifs connaissent une vague d'antisémitisme. Zsolt Balkanyi-Guery, président de la Fondation contre le racisme et l'antisémitisme, confie ses inquiétudes.
Publié: 18.03.2025 à 20:31 heures
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Zsolt Balkanyi-Guery est le président de la Fondation contre le racisme et l'antisémitisme.
Photo: Philippe Rossier
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Lucien Fluri

Pour accéder au bureau de Zsolt Balkanyi-Guery, il faut passer par un portique de sécurité. Tout autour de l’école juive Noam, à Zurich, des mesures de sécurité sont en place, jusqu’à des vitres pare-balles autour de la cour de récréation. Un signe clair que les juifs et les juives en Suisse ne peuvent pas vivre aussi sereinement que les autres citoyens.

Cette réalité s’est encore accentuée en 2024. Le recteur Zsolt Balkanyi-Guery est aussi président de la Fondation contre le racisme et l’antisémitisme. Chaque année, celle-ci publie avec la Fédération suisse des communautés israélites un rapport sur les incidents antisémites. Après l'attaque terroriste du 7 octobre 2023 en Israël, une vague d'antisémitisme a également déferlé sur la Suisse. «Les déclarations et les agressions ont fortement augmenté. Les personnes juives en Suisse font l'expérience de l'antisémitisme plus directement et plus ouvertement qu'auparavant», écrit la fondation. «Une tentative d'incendie d'une synagogue et onze voies de fait illustrent cette dynamique.» 221 incidents antisémites ont été recensés en Suisse en 2024, soit 42,5% de plus que l'année précédente.

Zsolt Balkanyi-Guery, comment votre vie a-t-elle changé depuis la prise d’otages du 7 octobre et le conflit au Proche-Orient qui a suivi?
Cela a été un tournant. De nombreux juifs de Suisse ont de la famille en Israël, le sort des otages les a profondément émus. Même ici, en Suisse, l’insécurité a grandi. À Zurich, nous avons vu des manifestations de soutien à la Palestine où des slogans antisémites étaient scandés. En mars 2024, il y a même eu une attaque au couteau contre un juif orthodoxe à Zurich-Selnau. Tout cela a changé notre quotidien.

Vous sentez donc concrètement ces répercussions ici aussi?
Oui. Selon une enquête, de plus en plus de juifs en Suisse évitent désormais de montrer leur appartenance religieuse en public. Certains envisagent même d’émigrer. Une personne sur deux interrogées a déjà été victime de harcèlement antisémite.

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Quand je sors avec mes enfants, je préfère qu’ils portent une casquette plutôt qu’une kippa
Zsolt Balkanyi-Guery
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Et vous, personnellement?
Je ne ressens pas directement un sentiment d’insécurité. Mais je suis devenu beaucoup plus vigilant concernant mes enfants. Quand je sors avec eux, je préfère qu’ils portent une casquette plutôt qu’une kippa. Avant le 7 octobre, je n’y pensais pas.

Votre quotidien a donc clairement changé.
Malheureusement, le fait d’être insulté ou harcelé en raison de sa judéité est un phénomène permanent. Il y a des périodes plus calmes, mais à tout moment, l’antisémitisme peut resurgir. Le 7 octobre a été un déclencheur qui a ravivé de nombreux ressentiments. À chaque événement en Israël, les juifs de Suisse sont mis dans le même sac et tenus pour responsables de décisions auxquelles ils ne participent pas. 

Dans votre rapport de 2024, vous dénoncez aussi le fait que les juifs doivent sans cesse justifier les décisions prises par Israël.
C’est en effet un phénomène unique. Nous sommes présentés comme le moteur d’un conflit, alors que nous n’y sommes pas directement mêlés. Je suis aussi citoyen hongrois, mais personne ne vient me demander des comptes pour les décisions de Viktor Orban. 

Les débats sur Israël et Gaza sont-ils aussi tendus au sein de la communauté juive en Suisse?
Oui, il y a des opinions différentes et des débats parfois vifs. Mais quand on a de la famille en Israël, des proches parmi les otages, ou des connaissances qui ont été tuées, on ne peut pas juger de la même manière que quelqu’un qui observe la situation depuis la Suisse sans être directement concerné. Par ailleurs…

Vous vouliez ajouter quelque chose?
Je ne comprends pas comment quelqu'un peut, en tant que personne queer ou en tant que femme, manifester ici en Suisse pour le Hamas et prendre inconditionnellement la défense de ce système inhumain. C'est un endroit où il n'y a pas de place pour les personnes queers. C’est une organisation qui piétine les droits des femmes et qui a utilisé la violence sexuelle contre les otages. En face, il y a Israël, une démocratie où les femmes ont les mêmes droits que dans n’importe quel pays européen.

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Les réseaux sociaux représentent un danger en termes de désinformation
Zsolt Balkanyi-Guery
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Vous avez déclaré un jour que l’antisémitisme en Suisse était discret et rarement violent. Diriez-vous encore cela malgré le durcissement des débats?
Oui. L’antisémitisme en Suisse reste discret, à l’image du style de communication helvétique. Il est moins bruyant, mais tout aussi blessant et destructeur. Vous ne verrez pas de néonazis rasés en blouson de cuir avec une batte de baseball. Mais vous verrez peut-être des voisins qui feront en sorte qu’un juif ne puisse pas acheter une maison à côté de chez eux.

Vous signalez aussi un nombre important de propos antisémites sur les réseaux sociaux et vous réclamez une régulation étatique. Pourquoi?
Exactement. Les réseaux sociaux représentent un danger en termes de désinformation. Certaines personnes croient que la mort de six millions de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale n'a pas eu lieu. Nous voyons aujourd'hui pour la première fois une génération qui se politise surtout via ces plateformes. En tant que société et en tant que responsables politiques, nous devons réagir.

Pourtant, aux Etats-Unis, la tendance va dans l’autre sens depuis Donald Trump: la liberté d’expression prime.
Nous savons que les réseaux sociaux peuvent conduire à une radicalisation. Une radicalisation qui peut déboucher sur une violence ouverte. Cela peut aller jusqu'à des attentats, comme nous l'avons vu à Zurich-Selnau. On ne peut pas fermer les yeux et dire qu'il s'agit de la liberté d'expression. Il s'agit de violence.

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