La Suisse et ses avions de chasse
Des décennies de faillites, de malheurs et de mésaventures

À chaque fois que la Suisse a voulu acheter des avions de combat, des problèmes ont surgi. Erreurs de la part du Parlement, avions trop chers, rejet de la part de la population... Retour sur un historique rempli de turbulences.
Publié: 01.07.2021 à 06:22 heures
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La ministre de la Défense Viola Amherd dispose d'un budget de six milliards de francs. Elle veut l'utiliser pour acquérir 30 à 40 jets.
Photo: MARCEL BIERI
Daniel Ballmer

Le Conseil fédéral a annoncé quel avion la Suisse allait acheter. Considéré comme le meilleur modèle au meilleur prix, le F-35 américain de Lockheed Martin a évincé ses trois autres concurrents. Après une longue évaluation, le Conseil fédéral s’est prononcé mercredi en faveur du jet furtif. 36 nouveaux avions devraient être acquis au cours des prochaines années pour la somme de 5,1 milliards de francs.

«C’est le meilleur prix parmi tout ce qui nous a été proposé», a déclaré la ministre de la Défense, Viola Amherd pour justifier cette décision.

La gauche contre-attaque avec une initiative

La ministre de la Défense peut s’estimer chanceuse d’avoir pu prendre cette décision. En septembre dernier, ce sont à peine 8000 voix qui avaient fait basculer le vote en faveur de l’achat de ces avions de combat.

Mais l’affaire n’est pas encore tout à fait conclue. Le Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA), le PS et les Verts ont décidé de lancer une initiative populaire pour torpiller cet achat.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’acquisition de nouveaux avions de combat donne du fil à retordre au Conseil fédéral et agite le peuple suisse. Retour sur une histoire riche en turbulences.

L’affaire des Mirages

En 1961, le Parlement avait débloqué la somme de 828 millions de francs pour acheter 100 avions de combat français ultra-modernes: des Mirages III. En pleine guerre froide, il fallait alors le meilleur modèle pour les chefs de l’armée.

Mais l’affaire s’est transformée en une véritable débâcle financière. Les autorités responsables avaient pris des décisions qui allaient bien au-delà de leurs compétences et de hauts cadres militaires avaient même envisagé de se procurer leurs propres armes nucléaires.

Le Conseil fédéral avait délibérément induit le Parlement en erreur par endroits sur les performances techniques de l’avion et son coût. Après une enquête, le Parlement avait tiré la sonnette d’alarme: sur les 576 millions de coûts supplémentaires requis par le gouvernement, seuls 150 millions avaient fini par être approuvés. Finalement, la Suisse n’avait acheté que 57 Mirages III au lieu de 100.

L’affaire a eu d'importantes conséquences: le divisionnaire chef de l'aviation, Etienne Primault, avait été suspendu, et le chef d’état-major général Jakob Annasohn démis de ses fonctions. Le 28 novembre 1966, c’est le ministre de la Défense de l’époque, Paul Chaudet (1904-1977), qui avait quitté ses fonctions. Sa démission devait marquer la fin du scandale politique.

«L’avion de combat du pauvre»

En 1972, le Conseil fédéral avait arrêté l’acquisition de nouveaux jets Corsair A-7. Mais trois ans plus tard, pour des raisons financières, la Suisse avait dû se rabattre sur le Northrop F-5 du constructeur américain Lockheed, également appelé «Tiger» et moins cher que le Corsair. «Le Tiger est le seul modèle que nous pouvons nous permettre d'acheter en exemplaires suffisants au vu de notre budget», avait annoncé le gouvernement en août 1975.

Mais la société Lockheed avait ensuite été mêlée à un scandale de corruption, troublant cette transaction qui semblait plutôt bien partie. Seule une enquête informelle menée par le procureur du canton de Berne avait permis de dissiper les craintes. C’est ainsi qu’en 1978, le Parlement avait finalement approuvé l’achat de 72 avions «Tiger» pour 1,17 milliard de francs suisses. Le «National-Zeitung» l’avait qualifié d'«avion de combat du pauvre».

Obstacles politiques et crashs à l’arrivée

Une quinzaine d’années plus tard, au printemps 1992, le Parlement avait approuvé l’achat de 34 avions de combat de type américain F/A-18 pour environ 3,5 milliards de francs suisses. Mais cette fois encore, l’affaire ne s’est pas déroulée sans heurts. Le GSsA avait rapidement lancé une initiative... qui avait finalement été rejetée. Malgré son échec, 42,8% des électeurs s'étaient prononcés contre le projet d'achat d'avions de combat.

En 1996, les premiers jets F/A-18 avaient été remis à la Suisse. Avant même que le dernier appareil ne soit livré aux escadrons en 1999, un premier avion s’était écrasé dans le Valais en 1998. Aujourd’hui, après trois autres crashs, 30 F/A-18 sont toujours en service.

Le crash du Gripen

Le Gripen suédois, quant à lui, n’a jamais décollé depuis le sol suisse. 53,4% des électeurs suisses ont rejeté l’avion de chasse en 2014. L’armée et le DDPS sont également responsables de ce fiasco. Des rapports classés secret-défense avaient régulièrement fuité: ils révélaient que le Gripen avait échoué aux tests. Les pilotes militaires avaient alors à leur tour réclamé un meilleur avion.

Même le ministre de la défense de l’époque, Ueli Maurer, avait torpillé le projet. Lors d’un événement à Zoug, il avait comparé les jets à des articles ménagers et avait demandé au public: «Combien d’ustensiles vieux de 30 ans avez-vous encore à la maison?» Il avait immédiatement fourni une réponse (qui a bien vieilli depuis): «Chez nous, il n’y a plus grand-chose, sauf bien sûr la femme qui fait le ménage.»

Cette remarque, clairement sexiste, qui comparait les femmes au foyer à des objets, n’a bien sûr pas été bien accueillie par les femmes de l’époque: elles ont clairement rejeté le projet d’achat du Gripen.

Viola Amherd a sans doute tiré les leçons de toutes ces erreurs passées, mais elle est sans doute loin d'en avoir terminé avec les remous que provoque le choix du F-35.


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