«C'est officiel: j'ai un nouveau job», s'extasie Margot Chauderna sur Instagram. La Fribourgeoise plane un peu depuis samedi et son élection dès le premier tour par 66 voix (contre 42 pour son opposant, le Vaudois Théodore Savary) à la coprésidence des Jeunes Verts suisses. Ou «Jeunes Vert-e-s Suisse», comme l'ancienne secrétaire du parti s'empresse de préciser.
L'inclusivité est l'un des chevaux de bataille de la première femme «latine» à la coprésidence de la relève écologiste, qu'elle partage avec Julia Küng pour un duo 100% féminin. «Plus juste, féministe et anticapitaliste»: voilà comment la conseillère générale en ville de Fribourg espère mener la barque des «JVS» dans les eaux troublées actuelles, a-t-elle annoncé bouquet de fleurs à la main à l’issue de son élection.
Alors que son parti milite pour une semaine de travail de 24 heures réparties sur quatre jours («Nous travaillons beaucoup trop en Suisse», a déclaré ce week-end Julia Küng), Margot Chauderna risque d'en faire bien davantage. Les Jeunes Vert-e-s ont l'ambition d'accéder au Conseil national à l'automne 2023, des sièges qui pourraient aider le parti-mère dans sa quête du Conseil fédéral.
«Margot des champs», selon le nom de son compte instagram, doit aussi mener la collecte de signatures de l'initiative populaire «Pour la responsabilité environnementale» récemment lancée par son parti. Autour d'un latte macchiato, la jeune femme plus si jeune (27 ans) nous présente sa vision pour son parti, autoproclamé «le plus fort des partis de jeunes».
À quoi ressembleront les Jeunes Vert-e-s façon Margot Chauderna?
A un mouvement fort, joyeux et radical qui se bat sans relâche pour qu’on déclare enfin l’urgence climatique et qu’on prenne des mesures en conséquence. On aimerait bien sûr gagner des sièges lors des élections fédérales en 2023, mener notre initiative pour la responsabilité environnementale devant le peuple, et faire entendre notre vision pour un futur durable, féministe et solidaire.
Un duo 100% féminin, c’est un signal important?
Bien sûr! Le monde politique reste majoritairement occupé par des hommes, et chaque femme élue est une victoire. Mais ce n’est pas qu’une question de «plus de femmes», car les femmes ne sont pas les seules à être sous-représentées en politique: il faut plus de diversité en général afin de mieux représenter la société dans son ensemble.
Partout où il y a les Jeunes Vert-e-s Suisse, il y a le mot «anticapitalisme». L'écologie est donc un prétexte pour un changement de système?
On ne peut pas faire de réelle transition écologique sans remettre en question le système capitaliste actuel, ni même sans féminisme ou antiracisme. Il y a une convergence des causes, une lutte à mener contre toutes les formes d'oppressions. C'est très théorique, mais cela a un vrai ancrage dans le concret: jamais les inégalités n'ont été aussi élevées. À l'heure où l'humanité fait face à son plus gros défi avec le changement climatique, la solution ne peut que passer par un changement de système.
Vous militez pour un changement de système, alors que les Verts visent, eux, le Conseil fédéral...
Il faut distinguer la politique institutionnelle de l'activisme. Nous, les Jeunes Vertes et Verts, nous sommes souvent engagés dans d'autres mouvements en parallèle de la politique, et il est important d’être présent sur tous les fronts. La désobéissance civile, par exemple, est un levier complémentaire.
Vous faites partie de celles et ceux qui se collent aux autoroutes?
Personnellement, je ne me sens pas trop de le faire, et c’est d’ailleurs pour cela que je suis présente du côté plus institutionnel. J'ai un peu de la peine avec ça. Mais je suis très contente qu'il y ait des gens motivés et disponibles pour désobéir et provoquer un changement de système, et je soutiens leur démarche et leur courage face à la répression..
La fameuse «Zone à défendre» (ZAD) du Mormont (VD), pour laquelle les Verts se sont beaucoup engagés, n'est-ce pas la fin de la propriété privée?
Ce n’est pas parce qu’une parcelle de terrain appartient à une multinationale comme Holcim que cela lui donne le droit de détruire la biodiversité qui y perdure. Rappelons qu’il y avait des espèces d’orchidées en voie de disparition à cet endroit-là, et que, si nous ne préservons pas les écosystèmes, la planète ne sera plus viable pour l’humanité. Et ce sans même parler des activités d’Holcim qui figurent parmi les entreprises les plus polluantes de Suisse.
Pourtant, le libéralisme a fait le succès de la Suisse et nous permet un certain niveau de vie.
À quel prix notre pays se trouve-t-il dans la situation qui est la sienne? On le voit avec cette pseudo-neutralité qui consiste à toujours être là au bon moment pour s'occuper de l'argent des autres. La Suisse a profité du colonialisme, des oppressions d'autres personnes. Si on vit bien maintenant, cela a été en partie fait sur le dos de désavantagés. Il faut que l'on rééquilibre les choses, en lien notamment avec le changement climatique et les crises actuelles.
La «vague verte» était sur toutes les lèvres en 2019. Trois ans après, elle semble s'être échouée en contrebas du Palais fédéral...
Faire sortir les élues et élus des autres partis de leur mode de pensée, c'est difficile. Il y a beaucoup de gens à Berne qui ont des priorités très différentes, les majorités sont délicates à obtenir. Mais je ne crois pas que la vague verte soit échouée, au contraire. Car si la situation semble parfois bloquée à Berne, cela change dans les communes par exemple. En ville de Fribourg, les Vertes et Verts occupent 21 sièges sur les 80 du Conseil général (13 de plus par rapport à la dernière législature). Là, on peut obtenir du concret.
Mais certains disent que les Verts se préoccupent davantage des toilettes mixtes ou de l'écriture inclusive que du climat.
Tous les sujets sont importants. Si l’on peut avoir l’impression que l’écriture inclusive prend beaucoup de place, c’est parce que ce sujet est nouveau et controversé. Mais il n’y a qu’en traitant les questions sociales de pair avec les questions écologiques que nous pourrons avoir un avenir viable. Sur le climat, il faut réussir à faire davantage d'alliances avec les autres partis.
Justement: les Verts'libéraux ont le vent en poupe. Vous les considérez comme des alliés parce que Verts, ou des ennemis parce que libéraux?
Difficile de voir la montée des Verts’libéraux comme une victoire, car ils participent souvent à la majorité bourgeoise du Parlement, et font pencher la balance dans ce sens. Toutefois, sans pour autant faire de compromis, je pense qu’il faut développer le plus d’alliances possibles avec les autres partis.
N'y a-t-il pas un peu de vrai dans ce que dit Marco Chiesa sur les Verts des villes?
C'est vrai que les Jeunes Vert-e-s viennent et vivent plutôt dans des villes, même si nous venons d’élire un Appenzellois à notre bureau national. Cela n'empêche pas qu'il est primordial pour nous de dialoguer avec le monde paysan, qui est touché de plein fouet par les sécheresses et autres conséquences de la crise climatique.
Mais vous les visez aussi avec l'initiative sur l'élevage intensif, par exemple. Ne risquez-vous pas de braquer les agriculteurs?
Nous ne voulons pas viser les agriculteurs et agricultrices. Nous ne sommes pas du tout en train de dire que ce qu’ils et elles font, c'est mal. L'élevage intensif doit simplement être progressivement abandonné parce qu'il pollue énormément, provoque des épidémies et cause de la souffrance animale. À Fribourg, nous avons organisé une table ronde avec des agriculteurs et des scientifiques, et ça a été très positif. On doit dialoguer avec les agriculteurs, très ouvertement, pour comprendre leur situation et pouvoir les accompagner dans cette transition.
Donc vous n'êtes pas contre la viande?
Nous sommes pour une forte réduction de la consommation de viande et de la souffrance animale. Tant que des animaux sont élevés, il faut qu’ils le soient dans les meilleures conditions possibles, mais à terme, nous soutenons une alimentation la plus végétale possible, qui est d’ailleurs meilleure pour la santé.
Peut-on encore manger de la viande aux réunions des Verts?
Je vois bien où vous voulez en venir, avec cette polémique à Genève. On parle de deux réunions par an! C'est le mot «interdiction» qui a crispé tout le monde. Pourtant, chez les Jeunes Vert·e·s, tout est simple: lorsqu'on organise des camps, tout est végétarien, et la plupart du temps même vegan. Pas parce qu'il y a une règle, mais parce que l'on partage une vision. On ne peut pas continuer à élever aussi intensivement que ça, mais si quelqu'un veut manger une entrecôte, on ne va pas lui brandir un panneau «interdiction» sous le nez. Notre objectif n’est pas la culpabilisation individuelle. La question que je me pose est: pourquoi est-ce aussi identitaire de revendiquer de manger autant de viande que l'on veut?
Manger moins de viande, ne plus prendre l'avion, renoncer à la voiture... C'est peut-être cette vie de privation qui crispe les gens, non? Est-ce le modèle de société que vous proposez?
De toute façon, les Vertes et Verts reçoivent toujours des critiques. Si l'on mange de la viande ou qu'on prend l'avion, on est critiqué parce qu'on ne fait pas ce qu'on prône, et si l'on renonce à prendre l'avion, on est traité de moraliste ou de rabat-joie. Or, moins prendre l’avion et réduire sa consommation de produits carnés, ce sont des adaptations auxquelles nous ne pouvons pas échapper si la Suisse veut atteindre les objectifs qu’elle s’est engagée à atteindre en signant l’Accord de Paris.
Ne risque-t-on pas de se diriger, à terme, vers une forme de lutte des classes?
Si l'on parle des 1% d'ultrariches qui prennent leur jet privé comme l'on utilise notre vélo, et dont l’empreinte carbone bat tous les records, ce sera inévitable. Il faut répartir beaucoup mieux les richesses et apprendre à vivre en consommant moins plutôt que de trouver des solutions technologiques pour conserver nos habitudes.
Pourtant, l'initiative «99%» de la Jeunesse socialiste a obtenu 49,8% dans les villes romandes mais seulement 35% à l'échelle du pays, il y a moins d’un an (septembre 2021). Cela montre que les Suisses n'en veulent pas, non?
Plus on va vers la catastrophe climatique, plus les gens vont se rendre compte de l'urgence et de la nécessité de changer. Il y a les premiers réfugiés climatiques, les pénuries d'énergie qui guettent pour l'hiver prochain... Le GIEC nous donne trois ans, et je pense que de plus en plus de Suisses vont vouloir un changement de système plutôt que craindre que «les riches partent», comme on a pu nous le dire.