Tout commence par une interrogation, dans une rédaction décimée depuis des semaines: pourquoi sommes-nous constamment malades? Que fait-on de faux? Et puis le constat se propage, aussi vite que les virus: dans nos entourages respectifs, même topo.
Google est taquin. Il suffit de taper «pourquoi tout…», pour que le remplissage automatique fasse le reste. Pourquoi tout le monde est malade? Cette question a droit à un article par mois depuis le début de la pandémie de Covid. De la France au Canada en passant par la Belgique, l’internaute curieux (et fiévreux) a l’embarras du choix pour répondre à son interrogation.
Est-ce un «rattrapage» de la pandémie? Les masques ont-ils repoussé des virus qui reviennent en force en ce moment? Ou alors notre fameux système immunitaire est-il en train de défaillir? À l’heure où les tests Covid appartiennent presque au passé, peut-on ne serait-ce qu’avoir des pistes pour répondre à toutes ces questions?
Oui, on peut, grâce aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), grâce au suivi des eaux usées et grâce au secteur maladies transmissibles du Service du médecin cantonal. La médecin cantonale du bout du Léman, Aglaé Tardin, a pris très au sérieux nos questions. Et elle nous livre de précieux enseignements.
Voilà des mois qu’on a l’impression que «tout le monde est malade». Comment l’interprétez-vous?
Il y a effectivement un grand nombre d’infections, et il y a plusieurs facteurs pour l’expliquer. L’hypothèse générale, c’est que notre système immunitaire n’a pas, ou alors moins, été exposé aux différents pathogènes durant la pandémie de Covid. Nos corps n’ont donc plus le «réflexe» immédiat pour réagir face à ces infections.
Et, en parallèle, les «mesures barrières» ont pris fin…
Oui, cette nouvelle donne a permis aux virus de circuler à nouveau dans la population. Nous notons également deux autres phénomènes — d'abord, une saisonnalité perturbée: par rapport aux autres années, les principaux virus saisonniers et le RSV sont survenus plus tôt, cet hiver. Ensuite, les épidémies sont cette année plus importantes qu'avant le Covid avec, souvent, des manifestations cliniques plus sévères.
C’est-à-dire?
Entre 2020 et 2022, les virus saisonniers ont presque disparu de la circulation avec les mesures en place contre le covid. Ces virus re-circulent à nouveau maintenant. Il s’agit du virus respiratoire syncytial (abrégé RSV), qui a donné lieu à un pic important à la mi-novembre. Les services pédiatriques du pays ont été surchargés, comme la presse l’a beaucoup raconté. Et il y a bien sûr aussi les virus de la grippe, avec un pic important mi-décembre. Ainsi que des bactéries en circulation.
Lesquelles?
Le Streptocoque A, qui a provoqué un nombre inhabituellement élevé d’admissions en pédiatrie entre novembre et janvier, et qui semble désormais toucher les adultes. De même que le Pneumocoque, dont le nombre d’infections invasives — recensées par l’OFSP — est aussi particulièrement élevé chez les adultes en comparaison avec les années précédentes pour la même période.
On tousse rien qu’à vous entendre. Et vous n’avez pas encore commencé à vraiment mentionner la grippe…
C’est vrai. D’ailleurs, la forte épidémie de grippe peut prédisposer à des surinfections bactériennes, qui sont donc plus nombreuses. Il est possible que certaines souches particulièrement virulentes circulent, mais cette hypothèse est encore en cours d’étude. Concernant la grippe, il faut toutefois relever un possible biais lié au fait que la grippe est peut-être recherchée plus activement qu’avant le Covid, en raison d’une vigilance accrue.
Où en est-on au niveau de la grippe?
On assiste en ce moment à un second pic. Un premier, causé par l’Influenza A, est survenu au mois de décembre. Depuis mi-janvier, on assiste donc à une nouvelle vague de cas, cette fois lié au virus Influenza B. En termes de consultations médicales, on constate cependant que ce second pic est associé à moins de consultations et d’hospitalisations que le pic de décembre.
Les cabinets médicaux ont débordé à cause de la grippe, avant Noël?
Non, on ne peut pas faire ce constat. Au plus haut du pic de décembre 2022, moins de 250 consultations hebdomadaires pour grippe étaient rapportées, alors que c’était plus de 300 au plus fort de l’épidémie durant les cinq années ante-Covid. On a une épidémie plus importante mais son impact en termes de consultations médicales en ville est moindre, selon le réseau Sentinella.
En somme, les gens ne s’inquiètent plus vraiment d’être malades et ne vont plus consulter. On a également l’impression que le Covid «n’existe plus», puisqu’il n’est plus vraiment traqué…
C'est une bonne chose et c'est cela, la normalisation: on ne cherche plus, on n'a plus besoin de chercher chaque cas. Les eaux usées nous donnent une bonne indication de la circulation du SARS-CoV2, responsable de la maladie. À Genève par exemple, le Covid ne circule que peu, selon les données actuelles: il n’est retrouvé que dans 10% des tests demandés à sa recherche. Les derniers pics sont à mettre en lien avec l’arrivée de nouveaux variants. Il faut un nouveau variant, plus transmissible, pour échapper à l’immunité acquise par la population grâce aux vaccins et aux infections antérieures.
À quand remonte l’arrivée du dernier variant Covid?
Le dernier pic notable de circulation virale a eu lieu en décembre 2022, en lien avec l’arrivée de BQ.1.1. Le nombre d’hospitalisations est cependant resté modéré et a surtout touché des personnes vulnérables qui n’avaient pas reçu de rappel vaccinal dans les six derniers mois. On le voit bien: les rappels vaccinaux contre le Covid sont toujours très efficaces pour éviter les complications de la maladie, ce qui est très utile pour les personnes les plus à risque.
Et les fameuses «mesures barrière»? À l’aune du tableau que vous dressez, il vaudrait mieux être plus prudent, non?
Les mesures à prendre n'ont pas changé depuis la fin des isolements et quarantaines, il y a un an. Le lavage des mains régulier ainsi que l'aération des locaux fermés doivent faire partie des réflexes appliqués par la population, surtout en période épidémique de virus respiratoires. De plus, il est toujours fortement recommandé aux personnes ayant des symptômes d'infection respiratoire (nez qui coule, irritation de la gorge, toux, etc.) de porter un masque pendant toute la durée de leur maladie. Le masque doit également pouvoir être porté par tout un chacun s'il est jugé nécessaire, notamment dans les lieux bondés et mal aérés. Il est essentiel que la population s’approprie et applique à long terme ces gestes simples, qui sont efficaces dans la prévention de toutes les infections respiratoires qui circulent actuellement.