La situation sanitaire est très similaire à celle d'il y a une année. Si nous avions fait la même interview il y a un an, nous aurions pu la publier à nouveau à l’identique aujourd’hui, non?
Anne Lévy: Non, il y a une grande différence quand même: à l’époque, nous n’avions pas encore de vaccin. De plus, grâce au certificat Covid, nous pouvons nous rencontrer en personne, ce qui aurait été impossible l'année dernière. Nous aurions dû nous parler par Skype.
Malgré tout, nous n’avons jamais eu autant de cas depuis le début de la pandémie.
Le nombre de cas est certes plus élevé, mais les hospitalisations et les décès sont nettement plus faibles que lors des vagues précédentes. C’est l’effet impressionnant de la vaccination.
Mais les hospitalisations sont en hausse. La Task force s’attend à ce que les hôpitaux atteignent la limite de leur capacité avant la fin décembre. De nombreuses unités de soins intensifs sont déjà pleines.
Oui, la situation actuelle n’est pas bonne. Et s’ajoute à ce que vous venez de dire le nouveau variant Omicron. Cela m’inquiète beaucoup.
Dans quel sens?
Il semble que le variant Omicron contourne la protection vaccinale si la dernière dose remonte à trop longtemps et qu’il soit beaucoup plus contagieux que le variant Delta. D’un point de vue épidémiologique, il est encore plus urgent de prendre des mesures rapides.
Mais il existe aussi des indications selon lesquelles le variant Omicron entraîne des formes moins graves de la maladie.
J’espère que cela se confirmera. Mais même si nous supposons des symptômes moins graves, les hôpitaux se rempliront si ce variant est aussi contagieux qu’on le craint. La quantité de contagions sera si importante que les unités de soins intensifs risquent d’être surchargées par les personnes gravement atteintes. C’est pourquoi il est important de briser la vague Delta actuelle le plus rapidement possible. Il faut de la place dans les hôpitaux. Quand le variant Omicron prendra le relais, nous devons être prêts.
Quand cela sera-t-il le cas?
Nous pensons que ce variant pourrait dominer la suite des événements au plus tard au début de l’année, peut-être même avant. Le variant Delta sera encore actif en parallèle.
Vendredi, le Conseil fédéral a mis en consultation de nouvelles mesures. Une chose est quasiment sûre: la règle des 2G s’appliquera bientôt à l’ensemble du territoire suisse. Vous vous en réjouissez?
Vu l’augmentation des chiffres, nous ne pourrons probablement pas y échapper. Cette règle offre une certaine sécurité aux personnes vaccinées et guéries, et nous protégeons les personnes testées, car elles ne seront plus aussi facilement contaminées.
Tout cela a un prix: des centaines de milliers de personnes seront pratiquement exclues de la vie publique.
Ces dernières semaines, avec l’augmentation du nombre de personnes non vaccinées à l’hôpital, ont montré que la réglementation des 3G n’est plus une option viable. Sans compter le fait que ceux qui se sont fait vacciner sont moins disposés à renoncer à une vie plus ou moins normale.
Peut-on briser la dernière vague sans fermer les établissements, comme les restaurants par exemple?
Cela dépendra de l’évolution de la pandémie, c’est-à-dire du comportement de chacun d’entre nous. J’espère que nous pourrons l’éviter. Cela continue d’être important de porter des masques, d’avoir une bonne hygiène des mains, d’être en contact avec le moins de personnes possibles et bien sûr, de se faire vacciner.
Reste le sentiment que le Conseil fédéral manque de réactivité. Les vagues précédentes nous ont appris que la vitesse est essentielle et que l’attente a des conséquences mortelles.
La Suisse a toujours trouvé un bon équilibre entre mesures et normalité. Et lorsque cela s’est avéré nécessaire, le Conseil fédéral a à chaque fois réagi très rapidement et décidé des restrictions. Je trouve que c’est une bonne chose. Ce qui est déterminant au final, c’est le comportement des gens au quotidien. Et la majorité continue à se comporter de manière exemplaire.
Il y aurait pourtant des mesures qui contribueraient à juguler la pandémie sans porter préjudice à personne. Une obligation de test dans les écoles, par exemple. Le Conseil fédéral y a renoncé.
Ce serait sans doute une mesure judicieuse, mais les écoles relèvent de la souveraineté cantonale. Et la majorité des cantons s’y est opposée. Je ne comprends pas, car nous savons que les tests en milieu scolaire aident à prévenir les contaminations.
Là aussi, c’est du déjà-vu. Les cantons et la Confédération se renvoient mutuellement la responsabilité. Pourquoi la Confédération ne prend-elle pas les devants?
Le Conseil fédéral prend toujours le relais lorsque des mesures nationales sont nécessaires, comme nous l’avons vu avec les décisions prises lors de la séance du Conseil fédéral de vendredi.
Le Conseil fédéral pourrait agir beaucoup plus rapidement et déclarer à nouveau la situation d'«extraordinaire».
Je ne pense pas que qui que ce soit souhaite que ça arrive. Il serait dommage que nous renoncions à nouveau à consulter les cantons au préalable. De plus, nous disposons aujourd’hui d’un système qui nous permet d’organiser de telles consultations en l’espace de quelques jours.
Vous l’avez évoqué, le grand espoir pour dépasser la pandémie est le vaccin. Le problème est que la Suisse a l’un des taux de vaccination les plus bas d’Europe occidentale. Comprenez-vous les personnes qui refusent la piqûre?
Non. Je ne comprends pas les personnes non vaccinées. Le sérum protège non seulement très bien contre la maladie, il est aussi la solution pour sortir de cette pandémie. Si 95% de la population qui peut le faire était vaccinée, nous n’aurions que peu d’hospitalisations. Dans les services de soins intensifs, il n’y a presque que des personnes non vaccinées.
La vaccination obligatoire serait-elle la solution?
La vaccination est une décision privée, et cela doit rester ainsi. Une obligation n’est actuellement pas à l’ordre du jour.
Cette position est tout de même éloignée de la réalité.
Pensez-vous que cela ferait une différence? Je ne pense pas qu’une obligation fasse changer d’avis les opposants à la vaccination. L’Etat n’a pas d’autre choix que d’accepter leur décision.
Alors que certains ne se vaccinent pas du tout, d’autres reçoivent déjà le «booster». Mais là aussi, la Suisse est à la traîne.
Il était important pour nous de respecter correctement le processus de contrôle pour l’autorisation des vaccins. Dès que Swissmedic a autorisé le vaccin de rappel, nous avons immédiatement commencé à vacciner. Aujourd’hui, plus d’un million de personnes ont déjà été vaccinées pour la troisième fois. Les choses avancent donc. Il incombe maintenant aux cantons de vacciner rapidement. Nous devons tout mettre en œuvre pour que les personnes qui le souhaitent reçoivent leur rappel six mois après la dernière dose de vaccin.
Certains cantons parlent déjà de pénuries.
Les cantons qui ont du mal à trouver du personnel sont désormais soutenus par des membres de l’armée. Je suis heureuse de constater que l’intérêt pour la vaccination de rappel est si grand. Et il y a suffisamment de vaccins disponibles.
(Adaptation par Jocelyn Daloz)