A compter du 1er avril, Martin Pfister dirigera le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS). En effet, le Zougois a été élu au Conseil fédéral le 12 mars dernier. Et ce, grâce à de nombreuses voix socialistes. Dans une interview à Blick, la coprésidente du Parti socialiste (PS) Mattea Meyer explique ce qu'elle attend du nouveau conseiller fédéral.
Mattea Meyer, félicitations!
Pourquoi? Ce n'est pas mon anniversaire.
Vous avez quasiment raflé un troisième siège au Conseil fédéral, vu comme vous avez aidé Martin Pfister à gagner...
Oh, non! C'est un conseiller fédéral du Centre. Avec lui, le Conseil fédéral ne penche définitivement pas vers la gauche. Cela m'inquiète d'ailleurs. L'Union démocratique du centre (UDC) et le Parti libéral-radical (PLR) sont surreprésentés au Conseil fédéral. Et leur politique ignore complètement la population sur de nombreuses questions, comme on le voit avec la 13e rente AVS, l'extension des autoroutes ou encore l'arnaque aux loyers. Il faut une Suisse plus sociale et plus écologique. J'espère que le conseiller fédéral Martin Pfister sera plus à l'écoute de la population.
Quelles promesses vous a-t-il faites?
Aucune. Martin Pfister a obtenu des voix de tous les camps. Le Parlement a opté pour le candidat le plus réfléchi et le plus inclusif, et contre celui qui – à l'heure de Trump et de Poutine – incarne le pouvoir du plus fort. Au vu de la situation politique mondiale, j'attends de Martin Pfister qu'il contribue à ce que le Conseil fédéral prenne enfin position au lieu de se dérober. Il faut mettre fin à l'adulation de la grande puissance américaine qui, sous Trump, s'oppose à la démocratie, à l'Etat de droit et à la liberté, ce qui n'est pas du tout suisse. La Suisse n'est pas une société anonyme qui se vend au plus offrant.
La cheffe du Seco Helene Budliger Artieda n'aurait donc pas dû se rendre aux Etats-Unis cette semaine?
Les Etats-Unis tentent de diviser le monde et l'Europe. La Suisse ne doit pas participer à cela. Un voyage d'Helene Budliger Artieda dans le seul but d'apaiser les tensions commerciales est inutile. Il n'y a d'ailleurs pas la moindre raison actuellement de conclure un accord de libre-échange avec les Etats-Unis.
Martin Pfister va reprendre le DDPS. Qu'attendez-vous de lui à la tête de ce département?
Il reprend un département qui a été mal géré pendant des décennies. Il faut mettre de l'ordre dans ce chaos. Cela implique d'analyser ce qui a mal tourné et de se demander comment éviter un tel gaspillage d'argent à l'avenir. Sa prédécesseure Viola Amherd a par ailleurs été la première à aborder le thème du sexisme dans l'armée. Sur ce point, j'attends de Martin Pfister qu'il poursuive dans cette voie. Il doit aussi veiller à ce que nous ayons une politique de sécurité qui corresponde à la situation et aux menaces actuelles.
Ce qui signifie?
Pas d'approche «heavy metal» avec encore plus de chars. Au lieu de cela, nous devons nous concentrer davantage sur la cybersécurité et la désinformation.
Vous dites qu'il faut mettre de l'ordre dans le chaos du DDPS. Markus Ritter était considéré comme un homme d'action au Parlement. N'aurait-il pas été un meilleur choix pour mener à bien cette tâche?
C'est bien sûr une grande responsabilité. Il faut quelqu'un qui ose regarder, écouter, décider et agisse ensuite. Je crois que Martin Pfister en est tout à fait capable.
De nombreux pays de l'Union européenne augmentent actuellement le budget de leur défense. En Suisse, des voix s'élèvent pour critiquer le manque d'investissement dans l'armée...
La sécurité de l'Europe, et donc de la Suisse, se joue en Ukraine. Stationner des chars à nos propres frontières est insensé. Si nous voulons garantir notre sécurité, la Suisse doit contribuer à ce que l'Ukraine gagne cette guerre.
En tant que pays neutre, la Suisse ne peut pas livrer d'armes à l'Ukraine...
C'est ainsi. Mais nous pouvons développer l'aide humanitaire, aider au déminage, soutenir la reconstruction ou veiller à ce que l'argent russe ne transite plus par la Suisse.
Le président du PLR Thierry Burkart a déclaré à Blick que la Suisse avait besoin d'exporter pour que son industrie de l'armement puisse fonctionner. Le Conseil fédéral veut également assouplir la loi sur le matériel de guerre. Le PS soutiendra-t-il cette démarche?
Si cela aide l'Ukraine, nous sommes pour. Mais je trouve ça condamnable de profiter de la situation actuelle pour pouvoir à nouveau livrer des armes directement à des pays qui violent les droits humains, comme l'Arabie saoudite. Thierry Burkart porte soudainement son attention sur l'acquisition d'armements en Europe. Il était pourtant le chef de file des partisans de l'acquisition d'avions de combat américains F-35 en 2022. Cet achat nous a rendus dépendants à 100% au régime de Trump.
N'est-ce pas plutôt la faute du PS? Après tout, c'est lui qui a fait tomber à l'eau l'achat des Gripen, qui étaient pourtant européens...
Je suis prête à assumer la responsabilité de beaucoup de choses, mais pas de cela. Même le DDPS a admis que l'achat du Gripen n'était pas viable à l'époque.
Et vous voulez maintenant faire la même chose avec le F-35...
Lorsque les électeurs se sont prononcés en 2020 en faveur d'un nouvel avion de combat, la situation géopolitique était tout autre. Depuis, Trump s'est détourné de l'Europe et il n'est pas certain que les F-35 soient livrés. Et même s'ils l'étaient, Trump pourrait à tout moment faire en sorte qu'il ne décolle pas une seule fois. C'est un risque énorme en termes de politique de sécurité. C'est pour cette raison que nous avons déposé une intervention demandant de réexaminer cette décision et de clarifier la manière dont la Suisse pourrait se retirer du contrat d'achat.
Revenons-en au Conseil fédéral. Le PS remet en question le deuxième siège du PLR. Dans les faits, seul le Centre pourrait y prétendre. Mais est-ce possible après les récents déboires du parti?
Le Centre ne s'est pas vraiment montré brillant. Je regrette beaucoup le fait que de nombreux politiciens centristes n'aient pas été prêts à assumer des responsabilités gouvernementales. J'espère que cela changera d'ici la prochaine vacance du PLR.
Avez-vous une candidate de choix?
Je dois déjà maîtriser la politique du Parti socialiste en matière de personnel. Je ne peux pas en plus m'occuper de celle du Centre. Mais ce qui est clair, c'est qu'il ne faut pas en rester à une majorité de cinq hommes contre deux femmes. Les partis bourgeois doivent aussi leur majorité à la moitié féminine de la population.
Le Conseil fédéral devrait annoncer vendredi un paquet de mesures sur la protection des salaires afin de sécuriser l'accord avec l'UE. Le PS sera-t-il parti prenante?
Je suis confiante. Le Conseil fédéral doit maintenant reprendre dans l'état actuel les mesures de protection salariale issues des discussions avec les partenaires sociaux. C'est le strict minimum pour nous. Si le Parlement recule, la situation deviendra délicate. S'ils tentaient d'affaiblir la protection des salaires, le PLR et les associations économiques joueraient alors avec le feu. Nous souhaitons un compromis, et, à ce titre, nous avons surmonté nos craintes dans d'autres domaines, par exemple sur la restriction de la directive sur les citoyens de l'Union européenne.
Selon un sondage, 88% des partisans du PS sont favorables à l'accord entre la Suisse et l'UE. Va-t-il passer la rampe?
Le passé nous apprend que les votes sur l'UE ont toujours été couronnés de succès lorsqu'il y avait une interaction entre ouverture et protection sociale. Mais la population n'est prête à se tourner vers l'Europe que si nos salaires et nos conditions de travail sont garantis. La protection des salaires est centrale pour le paquet européen.