Le Parlement européen a récemment adopté une loi qui prévoit des règles plus strictes pour les chaînes d'approvisionnement des multinationales. C'est précisément ce que demandait l'initiative pour des multinationales responsables, soumise au peuple suisse le 11 novembre 2020.
La campagne de votation sur l'initiative fait partie des événements politiques les plus marquants de ces dernières années. La mobilisation a été énorme, les fameux drapeaux orange ont flotté à de nombreux balcons dans tout le pays. Mais la campagne a également été haineuse comme rarement en Suisse. Les deux camps s'accusaient mutuellement de campagnes mensongères, on parlait alors du «trumpisme» qui aurait envahi la Suisse.
Le OUI du peuple n'a pas suffi
Un peu moins de 50,7 % des votantes et votants ont dit oui à l'initiative populaire en novembre 2020. Mais le texte a échoué puisqu'il n'a pas recueilli la majorité des cantons. Un contre-projet indirect du Parlement est entré en vigueur le 1er janvier 2022. L'initiative pour des multinationales responsables est le dernier projet constitutionnel à avoir échoué à la majorité des cantons.
Le rôle de la Suisse dans le commerce international a été l'un des arguments centraux de la campagne de votation sur l'initiative. Les partisans voulaient une Suisse à l'avant-garde de la protection de l'environnement et des droits humains. Le Conseil fédéral, qui a rejeté l'initiative, mettait en garde contre une posture de «cavalier seul».
L'UE va plus loin que l'initiative suisse
Deux ans et demi après le scrutin helvétique, le Parlement européen a voté en faveur d'un renforcement de la loi sur la responsabilité des multinationales. A Bruxelles, une majorité de députés a adopté des dispositions rendant les entreprises responsables de la lutte contre le travail des enfants, contre l'exploitation et contre la pollution – sur l'ensemble de leurs chaînes d'approvisionnement internationales.
Certaines décisions coïncident avec les exigences de l'initiative de 2020. Sur certains points, la directive européenne adoptée par le Parlement ira probablement encore plus loin, par exemple en ce qui concerne les obligations climatiques, la surveillance ainsi que la responsabilité des sous-traitants:
- Les grandes entreprises doivent garantir de manière contraignante qu'elles ne violent pas les droits humains et ne détruisent pas l'environnement dans le cadre de leurs activités commerciales.
- Les groupes doivent définir une trajectoire de réduction de leurs émissions gaz à effet de serre qui soit conforme à l'accord de Paris sur le climat.
- Les multinationales doivent être responsables des dommages qu'elles ont causés par leur manque de vigilance, directement ou indirectement, par exemple par le biais de leurs filiales ou de leurs fournisseurs.
- Une autorité de surveillance contrôle si les obligations sont respectées et peut, en cas d'infraction, prononcer des amendes en fonction du chiffre d'affaires.
- En outre, les multinationales doivent également contrôler le respect des normes sociales et environnementales chez leurs entreprises partenaires actives dans la chaîne de création de valeur. En font partie les fournisseurs, les partenaires de distribution, les entreprises de transport, les prestataires de services de stockage ou encore de gestion des déchets.
A qui s'applique cette nouvelle loi? A toutes les entreprises ayant leur siège dans l'Union européenne (UE) qui emploient plus de 250 personnes et dont le chiffre d'affaires annuel mondial dépasse 40 millions d'euros. Les entreprises ayant leur siège en dehors de l'UE devront également se conformer à la nouvelle réglementation si elles réalisent un chiffre d'affaires de plus de 150 millions d'euros, dont au moins 40 millions d'euros dans l'UE.
Contre-projet minimaliste
«La Suisse doit maintenant entamer un processus législatif pour ne pas être bientôt le seul pays sans responsabilité des entreprises», déclare Chantal Peyer, représentante de l'Entraide protestante suisse auprès de la Coalition pour des multinationales responsables. Certes, le contre-projet du Conseil fédéral à l'initiative de 2020 a mis en place des garde-fous pour le respect des règles sociales et environnementales le long des chaînes d'approvisionnement. Toutefois, ces mesures sont bien en deçà de la loi adoptée par l'UE. Le contre-projet avait d'ailleurs été qualifié de «farce» et jugé «inutile» par une quarantaine d'organisations, dont Amnesty Suisse et la Fédération romande des consommateurs.
Le contre-projet est entré en vigueur le 1er janvier 2022 sous la forme de nouvelles dispositions dans le code des obligations. Différence centrale par rapport à la législation européenne: le texte suisse oblige seulement les entreprises qui ont leur siège en Suisse à rendre compte de leurs efforts en matière de droits humains et de protection de l'environnement – c'est ce qu'on appelle le «reporting». Ce n'est que dans les domaines du travail des enfants et des minerais provenant de zones de conflit que les groupes doivent prendre des mesures. De plus, aucune sanction n'est prévue en cas d'infraction.
Critique à l'encontre du Conseil fédéral
C'est pourquoi il est maintenant nécessaire d'agir. «Comme environ 60% des exportations suisses sont destinées à l'UE, l'économie suisse sera largement touchée par cette (nouvelle) directive européenne», écrit l'Office fédéral de la justice. Le Conseil fédéral part donc du principe que la réglementation suisse doit être adaptée et veut analyser «de manière approfondie» les effets de la future directive européenne sur le devoir de diligence d'ici fin 2023. Le gouvernement veut en outre élaborer un projet de consultation d'ici juillet 2024 – mais uniquement dans le domaine du «reporting».
Chantal Peyer de l'Entraide protestante suisse est déçue. «Au lieu de continuer à ne miser que sur le 'reporting', le Conseil fédéral devrait enfin présenter une loi dans le domaine de la responsabilité des entreprises», dit-elle. Or, bien que le Conseil fédéral ait promis, lors de la campagne de votation, de s'engager pour une loi 'coordonnée au niveau international' et 'à armes égales' pour les groupes en Suisse et dans l'UE, il ne prévoit pas de loi sur la responsabilité des groupes en Suisse.»
Les avis divergent sur la nouvelle directive
Certaines entreprises ont déjà réagi à la décision du Parlement européen. Les experts-comptables de PricewaterhouseCoopers (PwC) recommandent aux entreprises suisses de s'aligner de manière proactive sur les directives de l'UE afin de se distinguer de la masse. Les entreprises qui ne se conforment qu'aux «règles suisses plus laxistes», risque de «perdre tout avantage concurrentiel».
Quant aux réactions des autres pays du continent à la décision du Parlement européen, certaines sont similaires à celles des opposants à l'initiative lors de la campagne de votation en Suisse. Ainsi, selon le «Spiegel», des représentants de l'économie allemande mettent en garde contre «une bureaucratie excessive et un affaiblissement des entreprises européennes sur le marché mondial».
Les groupes suisses en ligne de mire
Entre-temps, la Coalition pour des multinationales responsables fait état de nombreux cas – rendus publics après la votation de 2020 – de violations des droits humains et de destruction de l'environnement perpétrées par des multinationales suisses, comme par exemple:
- UBS aurait financé de groupes brésiliens impliqués dans la déforestation illégale.
- Le groupe d'armateurs genevois MSC fait démolir ses navires sur des plages indiennes dans des conditions déplorables, comme le montre une enquête approfondie de la télévision suisse alémanique SRF.
- Syngenta a dissimulé la dangerosité de son pesticide, le paraquat, comme l'a révélé le «Guardian».
Les derniers détails seront réglés entre les institutions européennes durant l'été. Les Etats membres de l'UE auront ensuite deux ans pour transposer les directives dans leur législation nationale. 366 députés ont voté en faveur de la proposition de loi européenne sur la chaîne d'approvisionnement, 225 députés se sont prononcés contre et 38 se sont abstenus.