Johanna Dayer sera bientôt Master of Wine. Un titre prestigieux détenu par 416 personnes à travers le monde depuis 70 ans, et qui atteste d'une connaissance totale du vin et des étapes de sa fabrication. Il se dit que les «MW» ont l'équivalent gustatif de l'oreille absolue en musique.
Qui de mieux que la vigneronne, associée de la cave valaisanne du Clos de Tsampéhro, à Flanthey, pour nous éclairer sur le goût du vin? Il faut dire que depuis les révélations concernant l'encaveur Cédric Flaction, les questions fusaient.
Comment a-t-il fraudé durant sept ans, faisant passer du vin espagnol ou schaffousois pour l'AOC Valais? Personne n'a rien remarqué? Le Valaisan, présumé innocent, sera jugé les 26 et 27 août prochains. En attendant, Johanna Dayer nous parle du goût du vin, et des multiples méthodes qui existent pour l'améliorer. Interview.
Johanna Dayer, l'AOC Valais qui n'en était pas, ça n'aurait pas dû se remarquer, au goût?
Le label atteste d'un cahier des charges, de la provenance, mais il y a assez de latitude par rapport à la technique et aux cépages que l'on peut utiliser. Cela peut être difficile de discerner des mélanges de deux climats relativement chauds.
Pourquoi?
En général, sauf cette année et en 2021, il fait très chaud en Valais l'été, les températures se rapprochent de celles des climats plutôt méditerranéens. Plus il fait chaud, moins il y a d'acidité dans le vin et plus il y a de sucre, donc d'alcool.
Et pour le vin schaffousois?
Il fait plus froid à Schaffhouse, mais s'il s'agit d'un assemblage, cela peut passer inaperçu. Ça dépend aussi des années.
Ce qui a choqué dans l'affaire de l'encaveur Cédric Flaction, c'est le fait d'acheter du vin à 1,31 franc et de le revendre aux prix d'une AOC. Ce vin bon marché, est-ce de la «piquette»?
Il peut y avoir des vins très bons et pas chers. Mais c'est vrai qu'un grand vin va demander plus d'argent, il peut nécessiter l'achat de certaines barriques qui peuvent coûter 1000 francs pièce, par exemple. Cela dit, un vin produit exactement de la même manière en Espagne et en Suisse coûtera forcément plus cher chez nous.
À cause des salaires?
En Suisse, nos vignobles sont moins, voire pas mécanisables. Ça demande en effet plus de main d'œuvre, qui est plus chère en Suisse qu'ailleurs en Europe. Et un vin à 1,31 franc le litre suit probablement une logique inverse, produit dans un vignoble très mécanisé pour réduire le coût de production.
Question goût, était-ce vraiment impossible de détecter le vin espagnol dans une bouteille supposée valaisanne?
Si l'on parle d'un vin d'entrée de gamme, il n'y a pas l'effet millésime qui nous intéresse sur les grands vins. Il va être assez lissé. Comme le Coca-Cola, on cherche à ce que les bouteilles se ressemblent le plus possible, d'une année à l'autre.
Comment est-ce possible?
On peut utiliser des intrants, par exemple de la gomme arabique, pour apporter de la texture. On peut acidifier en ajoutant de l'acide tartrique (ndlr: surtout pour les vins produits au Sud) ou chaptaliser en ajoutant du sucre (ndlr: surtout pour les vins produits au Nord). On peut aussi rajouter du moût concentré rectifié pour sucrer le vin final.
C'est légal tout ça?
Oui, on peut piloter énormément de choses avec l'œnologie moderne, également pour lisser un vin. On a aussi des «colles», comme le blanc d'œuf, pour réduire des tanins séchards, notamment si l'on a pressé très fort le raisin pour faire du volume.
Donc, en corrigeant les défauts, en faisant les bons mélanges, on peut tromper les dégustateurs?
Ça n'est pas la faute des dégustateurs. On fait confiance aux gens, si on achète une AOC Valais, on ne va pas se dire «tiens, il a un petit goût de Tempranillo espagnol!» Les analyses sur l'identité du vin sont onéreuses et complexes, et encore, elles ne disent pas tout. Il faut un véritable travail de falsification et de fraude pour tromper tout le monde.
En tant que presque Master of Wine, pouvez-vous distinguer un cépage d'un autre au sein d'un assemblage?
Ça prend des années. On le fait pour Master of Wine, on trouve tel attribut sur tel cépage, à quoi il ressemble quand il est cultivé au Portugal ou en Allemagne... Ça demande beaucoup d'entraînement. Et si c'est 5% de vin espagnol avec d'autres, c'est vraiment dur à trouver. Idem s'il est mélangé avec 15 autres. C'est comme faire un sirop, c'est plus difficile de reconnaître les fruits si vous en mélangez 15.
Peut-on vous appeler, vous les experts, en cas de doute?
Oui, mais nous ne pouvons pas expertiser plus que tant. Nous dirons sûrement qu'il faut croiser les analyses.
Et le contrôle du vin suisse, que fait-il?
Je le vis en tant que productrice, c'est très minutieux. Ils comptent les barriques, les acquis par rapport à la production, il faut prouver qu'il y a la même quantité dans les cuves, ils viennent tout regarder. Cela doit être un complexe travail de les escroquer.
Finalement, au goût, si personne n'a rien remarqué, est-ce si grave?
Si vous êtes végétarien et qu'on vous fait manger de la viande à votre insu, vous n'allez pas mourir. Mais ce n'est pas ce que vous vouliez. Ici, vous pensiez acheter une bouteille qui soutient le travail et l'économie locale et c'est faux.