Le seul endroit où celles et ceux qui composent Ensemble à Gauche (EAG) Genève arrivent à rester ensemble, c’est au bistrot. Et encore. Le jour des élections cantonales, le dimanche 2 avril, leur «Stamm» — un café au coin d’Uni Mail, centre des festivités — était déserté dès 18h30 déjà.
Et pour cause: il n’y avait pas grand-chose à fêter. Partis sur deux listes séparées, faute d’avoir résolu leurs querelles internes, les membres de ce bord politique se sont officiellement fait éjecter du Parlement… au profit du nouveau parti de Pierre Maudet, qui a raflé 10 sièges.
Les deux listes d’Ensemble à Gauche, la numéro 6 (SOL, DAL et PDT), et la numéro 11 (LUP), ont obtenu respectivement 3,55% et 3,08% des voix. Ce qui signifie que, même en faisant union, les radicaux n’auraient probablement pas obtenu le quorum de 7%, nécessaire pour continuer à siéger.
Jocelyne Haller est entrée au parlement, sous la bannière d’EAG, pour la première fois en 2001 — il y a plus de vingt ans déjà. Elle est connue et reconnue pour être l’une des têtes de proue des «gardes-fous de la gauche traditionnelle».
Pourquoi la gauche de la gauche est-elle autant en perte de vitesse? Et qu’est-ce que cela signifie pour Genève? Elle nous livre son analyse.
Est-ce qu’on peut déclarer la gauche radicale genevoise en état de mort clinique?
Non, non. C’est plutôt comme si vous alliez rendre visite à quelqu’un dans sa chambre d’hôpital, mais que la personne est partie faire un tour sur la terrasse (rires). La gauche radicale est désormais absente du Grand Conseil, certes. Mais on sera toujours présents sur tous les autres terrains politiques. Nous allons redevenir une gauche de terrain.
Les radicaux se qualifient volontiers de «gardes-fous» de la gauche institutionnelle. Il n’y aura donc plus personne pour s’assurer que la gauche reste bien à gauche, au Parlement du bout du Léman?
Oui, en effet… Et la gauche institutionnelle va perdre un soutien important, surtout. Il lui sera plus difficile de faire passer ses dossiers en notre absence. Le camp rose-rouge-vert (PS, EAG, les Vert-e-s) n’avait, certes, déjà pas la majorité lors de la précédente législature. Mais il suffisait alors d’obtenir le soutien du Centre ou du MCG pour constituer une majorité, et faire passer un projet. Ce que nous avons fait à de multiples reprises. Tandis que, là, les socialistes et les Vert-e-s devront se trouver de nouveaux alliés. Et, étant donné le casting, cela risque d’exercer une pression à la baisse sur le type de revendications posées.
En partant avec deux listes, vous vous attendiez un peu à vous faire éjecter, non?
Nous savions que partir séparés allait nous handicaper, c’est évident. Mais nous espérions tout de même que notre travail sur le terrain, et la lassitude de l’électorat par rapport aux partis traditionnels, joueraient en notre faveur. Il nous restait de l’espoir. Après, il est vrai que dès le moment où la LUP (ndlr: formation de la liste numéro 11, deuxième liste d’Ensemble à Gauche) a décidé de faire liste à part, les dés étaient lancés….
Donc, pour vous, c'est la faute de ceux qui constituent la liste numéro 11?
Il faut vraiment que quelqu’un, une fois, réalise une sérieuse enquête sur ce qu’il s’est vraiment passé. La LUP dit volontiers à qui veut bien l’entendre qu’ils nous ont tendu la main pour que nous rejoignions leur liste numéro 11. Ce qu’ils ne disent pas, en revanche, c’est ce qui a rendu cette liste unique impossible. À savoir que ce sont justement les membres de la LUP qui sont initialement partis de SolidaritéS, parce que nous avions remis en question leur tendance à accaparer le pouvoir, notamment. Ce n’était plus possible de travailler avec eux.
Dans les couloirs du Parlement, on entend dire qu’Ensemble à gauche est miné par des conflits internes depuis des mois. On parle d'histoires de budget, mais aussi de sexisme… C’est vrai, tout ça?
On peut dire que les histoires de sexisme, d'argent et de pouvoir ont achevé la gauche radicale de Genève, oui. La LUP n’a pas respecté ses engagements en termes de budget, ce qui nous a coûté presque 300’000 francs. Ils ont fait campagne avec de l’argent qui ne leur revenait pas. Et, en ce qui concerne les femmes, plusieurs députées ont été systématiquement invisibilisées.
Un Parlement sans gauche radicale, avec une claire majorité de droite, ça veut dire quoi, pour Genève?
Notre sortie du Parlement est une perte pour la population genevoise. Nous étions ceux qui garantissaient un vrai ancrage à gauche du PS et des Vert-e-s. Nous étions les grands défendeurs des services publics, et des populations précarisées. Mais, le pire, au-delà de notre départ, c’est le renforcement de l’extrême droite au Grand Conseil. Et l’arrivée d’un nouveau parti, dont on se doute bien qu’il ne sera pas à gauche. À en lire la presse hier, le «mouvement» de Pierre Maudet se dit «ni de gauche, ni de droite». Je demande à voir, mais je crains fort qu’il soit plus de droite que de gauche.
Et maintenant, quoi? Très concrètement, comment la gauche radicale va-t-elle continuer d’exister au bout du Léman?
Nous allons continuer à faire ce que nous faisons le mieux: militer dans la rue. Et puis, en réalité, nous allons continuer à travailler avec les grands partis de gauche institutionnels, notamment au travers des comités d’initiatives. Et surtout, nous allons leur rappeler que, s’ils veulent notre soutien, ils doivent rester véritablement fidèles à des politiques de gauche.