«Je ne porterai plus jamais plainte»
Le parcours infernal d'une jeune femme qui a voulu dénoncer son viol

Léonie Suter* fait la connaissance de deux hommes lors d'une sortie. L'un d'entre eux la viole. Mais la torture ne s'arrête pas là, entre manque de considération à l'hôpital et remarques déplacées au tribunal. Récit d'un parcours de combattante.
Publié: 12.03.2023 à 19:52 heures
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Léonie s'endort dans le lit de l'homme qu'elle avait rencontré plus tôt à la sortie.
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Lisa Aeschlimann

Lors d'une sortie dans la nuit du dimanche 29 juillet 2018, Léonie Suter* rencontre deux hommes, avec qui elle passe une partie de la soirée. Finalement, elle prend un taxi avec eux jusqu'à l'appartement de l'un des deux protagonistes, Lucas Peeters*, pour y prendre un dernier verre.

L'étudiante de 21 ans se couche, mais dit clairement à ses interlocuteurs qu'elle ne souhaite pas avoir de rapports sexuels avec eux. Avec aucun des deux. Avant de s'endormir. Elle se réveille lorsque Lucas lui retire son short en jean. Elle lui dit d'arrêter, mais le jeune homme de 26 ans continue.

Un «viol standard»

Elle appelle ça un «viol standard». Ou un coup d'un soir raté, comme en jugera plus tard le tribunal...

D'après son récit, Léonie s'enfuit de l'appartement après les faits. Elle erre dans les ruelles à l'aube, jusqu'à ce qu'elle ne se rende compte qu'elle a oublié son sac chez ce Lucas. Elle essaie de retrouver la maison, mais échoue et se rend donc à la gare centrale. Elle doit avoir l'air mal en point, car un inconnu l'intercepte et l'emmène à la pharmacie. Elle y demande la pilule du lendemain, mais sans son sac, impossible de payer. La pharmacienne lui confie alors un plan de la ville et y entoure l'hôpital universitaire.

Léonie est une femme menue, elle parle doucement et posément. Parfois, ses mains tremblent lorsqu'elle raconte son histoire. Elle sait que ce qui lui est arrivé est grave. Mais, après l'incident, elle avait de la peine à prononcer le terme de «viol»: «Je pensais que si je le nommais, je devrais me considérer comme une victime, et que je serais en position de faiblesse.»

Aucune femme pour l'examiner

Les médecins de la clinique gynécologique recommandent un examen médico-légal. Léonie est examinée par un médecin légiste en présence d'une policière. «C'est dimanche», invoque l'hôpital pour expliquer qu'aucune femme ne soit disponible pour réaliser l'examen. Le médecin lui donne un médicament pour la prophylaxie du VIH.

Le viol étant un délit, une fois constaté la police doit ouvrir une enquête, même si la victime ne porte pas plainte. Juste après l'examen, Léonie est interrogée pendant trois heures par une agente. C'est seulement à 21 heures ce même dimanche soir qu'elle est de retour chez elle.

Le service d'aide aux victimes lui déconseille de porter plainte: En Suisse, la procédure est éprouvante, et les condamnations sont rares. Si, à l'époque, cela l'a irritée, elle comprend aujourd'hui cette déclaration. Le service d'aide aux victimes l'oriente vers l'avocate Brigit Rösli, qui représente souvent des victimes de délits sexuels.

Un mois plus tard, la victime commence à faire des cauchemars. S'y ajoutent des crises de panique. Son colocataire suggère à Léonie de demander de l'aide à une psychologue. C'est ce qu'elle fera: un trouble de stress post-traumatique lui sera alors diagnostiqué.

Un entretien qui n'arrange rien

En décembre 2018, Léonie est interrogée par le procureur. Pendant six heures, elle doit révéler les détails les plus intimes de cette nuit-là. L'accusé et son avocat suivent l'interrogatoire par vidéo.

C'était «terrible», dit-elle aujourd'hui. Le procureur lui a notamment demandé si elle espérait obtenir un dédommagement en portant plainte, ou de ne pas devoir payer le prix de la pilule du lendemain, soit 40 francs ? La jeune femme déplore l'étonnante légèreté avec laquelle l'affaire est traitée, elle se souvient ainsi de la greffière, déballant un sandwich et mordant dedans en plein entretien.

Le procureur lui a même demandé: «Comment quelqu'un peut-il, Madame Suter, réussir à vous enlever votre short en jean si vous vous défendez?» Selon lui, il s'agirait là d'une tâche ardue avec des habits aussi serrés, même dans le cadre de relations sexuelles consenties.

Le non doit prévaloir

Jusqu'à présent, le droit pénal en matière sexuelle prévoit qu'une femme doit rendre vraisemblable qu'elle s'est défendue par tous les moyens. Sinon il ne s'agit pas d'un viol. Heureusement, avec la modification de la loi dont le Parlement a débattu cette semaine, un non — même tacite — suffira à l'avenir.

Mais le nouveau droit pénal en matière sexuelle ne change rien au problème de la preuve. Souvent, les déclarations des deux personnes sont les seuls moyens d'établir la vérité. Dans un cas de parole contre parole, le tribunal doit déterminer qui est le plus crédible. Comme dans le cas de Léonie.

Lorsque l'accusé est interrogé, en mars 2019, il admet qu'il a certes initié les rapports sexuels, mais qu'ils étaient consentis. Tous deux l'auraient voulu et y auraient pris du plaisir. Lorsque Léonie aurait dit «stop» au bout d'un moment, il se serait immédiatement arrêté. Lorsqu'il lui a demandé une nouvelle fois si tout allait bien, elle a répondu par l'affirmative. Il aurait même parlé de cette nuit à des amis.

Le procureur porte finalement plainte en avril 2019, à contrecœur. Mais non sans avoir demandé à Léonie si elle était d'accord pour un arrangement extrajudiciaire au préalable... Ce qu'elle a refusé. L'acte d'accusation, peu détaillé, comporte plusieurs fautes d'orthographe.

«In dubio pro reo»

Le procès a lieu au tribunal du district de Zurich, en juillet 2019. Léonie se tient devant les juges là où se tiennent habituellement les accusés, et non les lésés. «Lucas Peeters a dit que vous aviez eu plusieurs orgasmes. N'avez-vous pas apprécié, Madame Suter?»

Elle tremble, son avocate demande à ce que Léonie puisse s'asseoir.

Le tribunal tripartite doute que l'accusé ait pu entendre et sentir que Léonie ne voulait pas avoir de rapports sexuels. Il estime les deux récits crédibles en soi. Dans ces cas, le prévenu doit être acquitté «in dubio pro reo.» C'est un principe du droit pénal.

Des remarques déplacées

Pour Léonie, l'implication du juge président relève de la farce. Elle lit le passage d'un procès-verbal pendant le jugement: «Le juge affirme qu'aujourd'hui, la vérité n'a pas été trouvée. Personne ne sait ce qui s'est passé cette nuit-là, à part les personnes concernées. Dans mon histoire, de nombreuses questions sont restées sans réponse. Comment a-t-il pu m'enlever mon pantalon sans l'abîmer? Pourquoi ne me souvenais-je pas comment le reste de mes vêtements avait été emporté? Pourquoi la première chose que je voulais faire le matin était de retourner à l'appartement? (...). Il a dit que j'avais l'air d'une victime faible: 'Il y a tant de fois aujourd'hui que je ne vous ai pas comprise, Madame Suter. C'était pourtant le moment où vous auriez pu vous tenir debout et vous défendre'. Il savait qu'il s'était passé quelque chose ce soir-là qui ne lui convenait 'pas du tout'. Mais j'aurais aussi fait des erreurs.» Or, dans les motifs écrits du jugement, on ne trouve plus trace de ces interventions.

Après le procès, Léonie se sent mal. «A l'époque, j'avais déjà le sentiment qu'une telle agression pouvait se reproduire à tout moment. Dès que je m'endormirai, que je boirai de l'alcool ou que je ne serai pas attentive. Après ce jugement, je me suis dit: même si ça arrive de nouveau, personne ne t'aidera.»

Comme sa psychologue est en vacances, elle va au service d'urgences psychiatriques de l'hôpital universitaire cantonal. L'unité la transfère dans une clinique psychiatrique fermée pour cause de tendances suicidaires aiguës.

«Je ne porterai plus jamais plainte»

Léonie décide de faire appel de la décision du tribunal. «Je peux accepter un acquittement, mais si c'est le cas, il doit être solide et non pas truffé de préjugés», dit-elle. Le procureur ne participe pas à la poursuite de la procédure. Cela signifie que Léonie assume désormais seule le risque financier. Elle a la chance d'être représentée gratuitement par son avocate Brigit Rösli.

En décembre 2020 – deux ans et demi après la nuit fatale – Lucas est à nouveau acquitté par la Cour suprême. «Mais j'ai vécu ce procès de manière très différente» déclare Léonie. L'accent aurait été davantage mis sur son comportement, la motivation du jugement était «plus ou moins» exempte de préjugés. Plutôt comme un procès devrait se dérouler de manière générale.

Aujourd'hui, Léonie a 25 ans et a terminé ses études. Elle va mieux. «Je suis contente d'avoir porté plainte à l'époque, mais je ne le ferai plus jamais. Et je ne le recommanderais pas à une collègue. Jamais.»

Violences sexuelles et traite humaine - Adresses et ressources

Numéros d'urgence
Police: 117 | Urgences médicales: 144 | La Main Tendue: 143

Adresses des lieux d'accueil
Centres d'accueil pour les femmes violentées et leurs enfants

Canton de Berne
Solidarité Femmes
Centre de consultation de Solidarité femmes région biennoise
Rue du Contrôle 12
2503 Bienne
Tél. 032 322 03 44
www.solfemmes.ch

Canton de Fribourg
Solidarité Femmes / Centre LAVI
Case postale 1400
1701 Fribourg
Tél. 026 322 22 02
www.sf-lavi.ch/

Centre de consultation LAVI
Boulevard de Pérolles 18A
1701 Fribourg
Tél. 026 305 15 80
https://www.fr.ch/sej/

Canton de Genève
AVVEC (ancien Solidarité Femmes)
Rue de Montchoisy 46
1207 Genève
Tél. 022 797 10 10
www.avvec.ch

Canton de Neuchâtel
SAVI (Service d'aide aux victimes)
Rue Daniel Jean-Richard 43
2301 La Chaux-de-Fonds
Tél. 032 889 66 49
savi.ne@ne.ch

Rue J.L. de Pourtalès 1
CP 2050
2001 Neuchâtel
Tél. 032 889 66 49
savi.ne@ne.ch 

Association Solidarité Femmes
www.sfne.ch

Canton du Jura
Il n'existe pas de centre d'accueil au Jura. Les femmes victimes de violence peuvent s'adresse à Solidarité Femmes à La Chaux-de-Fonds. Le centre LAVI du Jura peut proposer d'autres ressources.

Canton de Vaud
Centre d'accueil MalleyPrairie
Chemin de la Prairie 34
1007 Lausanne
Tél. 021 620 76 76
www.malleyprairie.ch

ASTREE (Association de Soutien aux victimes de Traite Et d'Exploitation)
Ruelle de Bourg 7
1003 Lausanne
info@astree.ch
021 544 27 97/98
www.astree.ch

Canton du Valais
Foyer Point du Jour
Région de Martigny
Tél. 078 883 38 07
www.pointdujour.ch

L'Accueil Aurore
Région de Sion
Tél.027 323 22 00
accueil.aurore@bluewin.ch 

Unterschlupf
Région de Brig
Tel. 079 628 87 80
info@unterschlupf.ch

En Suisse
Fédération des maisons d'accueil
https://frauenhaus-schweiz.ch

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Solidarité Femmes
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2503 Bienne
Tél. 032 322 03 44
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Canton de Fribourg
Solidarité Femmes / Centre LAVI
Case postale 1400
1701 Fribourg
Tél. 026 322 22 02
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Centre de consultation LAVI
Boulevard de Pérolles 18A
1701 Fribourg
Tél. 026 305 15 80
https://www.fr.ch/sej/

Canton de Genève
AVVEC (ancien Solidarité Femmes)
Rue de Montchoisy 46
1207 Genève
Tél. 022 797 10 10
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Canton de Neuchâtel
SAVI (Service d'aide aux victimes)
Rue Daniel Jean-Richard 43
2301 La Chaux-de-Fonds
Tél. 032 889 66 49
savi.ne@ne.ch

Rue J.L. de Pourtalès 1
CP 2050
2001 Neuchâtel
Tél. 032 889 66 49
savi.ne@ne.ch 

Association Solidarité Femmes
www.sfne.ch

Canton du Jura
Il n'existe pas de centre d'accueil au Jura. Les femmes victimes de violence peuvent s'adresse à Solidarité Femmes à La Chaux-de-Fonds. Le centre LAVI du Jura peut proposer d'autres ressources.

Canton de Vaud
Centre d'accueil MalleyPrairie
Chemin de la Prairie 34
1007 Lausanne
Tél. 021 620 76 76
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ASTREE (Association de Soutien aux victimes de Traite Et d'Exploitation)
Ruelle de Bourg 7
1003 Lausanne
info@astree.ch
021 544 27 97/98
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Définition du viol: un compromis se dessine

Dire non ne suffit pas. Aujourd'hui, on considère qu'il y a viol lorsqu'une femme est contrainte d'avoir des relations sexuelles par la violence physique ou psychologique. Des hommes victimes de viol? Il ne peut pas y en avoir aujourd'hui, en vertu de la loi.

Il est incontestable que l'infraction doit désormais être formulée de manière neutre du point de vue du genre. Il en va de même pour le fait que la violence physique ou psychique ne doit plus être une condition préalable à l'existence d'un viol.

En revanche, le Conseil national et le Conseil des États ne sont pas d'accord sur la question de savoir si la solution de l'opposition ou celle du consentement doit s'appliquer à l'avenir. La solution du consentement – connue comme «Seul un oui est un oui» – définit une agression sexuelle comme un acte sexuel commis sans le consentement d'une personne. La solution de l'opposition, en revanche, définit un acte sexuel auquel une personne ne dit pas «non».

En décembre, le Conseil national s'est prononcé à la surprise générale en faveur de la réglementation plus large du «Seul un oui est un oui» – il s'agissait d'un succès de lobbying pour des organisations comme Amnesty International, qui se battent depuis des années pour la solution du consentement. Pour le Conseil des États en revanche, cette réglementation va trop loin.

La commission juridique de la Chambre haute propose un compromis. On veut s'en tenir à la règle du «Non c'est non», mais avec un complément: le «freezing», ou sidération, souvent observé chez les victimes, doit être expressément mentionné dans la loi. Cela signifie qu'il y a infraction même si une victime ne dit pas explicitement «non» parce qu'elle se trouve en état de choc.

Il est probable que ce compromis finisse par s'imposer. Les partisans de la solution «Seul un oui est un oui» ont toutefois clairement fait savoir qu'ils se battraient jusqu'au bout. Mais face à la majorité bourgeoise du Conseil des États, ils risquent bien de finir par perdre la partie.

Dire non ne suffit pas. Aujourd'hui, on considère qu'il y a viol lorsqu'une femme est contrainte d'avoir des relations sexuelles par la violence physique ou psychologique. Des hommes victimes de viol? Il ne peut pas y en avoir aujourd'hui, en vertu de la loi.

Il est incontestable que l'infraction doit désormais être formulée de manière neutre du point de vue du genre. Il en va de même pour le fait que la violence physique ou psychique ne doit plus être une condition préalable à l'existence d'un viol.

En revanche, le Conseil national et le Conseil des États ne sont pas d'accord sur la question de savoir si la solution de l'opposition ou celle du consentement doit s'appliquer à l'avenir. La solution du consentement – connue comme «Seul un oui est un oui» – définit une agression sexuelle comme un acte sexuel commis sans le consentement d'une personne. La solution de l'opposition, en revanche, définit un acte sexuel auquel une personne ne dit pas «non».

En décembre, le Conseil national s'est prononcé à la surprise générale en faveur de la réglementation plus large du «Seul un oui est un oui» – il s'agissait d'un succès de lobbying pour des organisations comme Amnesty International, qui se battent depuis des années pour la solution du consentement. Pour le Conseil des États en revanche, cette réglementation va trop loin.

La commission juridique de la Chambre haute propose un compromis. On veut s'en tenir à la règle du «Non c'est non», mais avec un complément: le «freezing», ou sidération, souvent observé chez les victimes, doit être expressément mentionné dans la loi. Cela signifie qu'il y a infraction même si une victime ne dit pas explicitement «non» parce qu'elle se trouve en état de choc.

Il est probable que ce compromis finisse par s'imposer. Les partisans de la solution «Seul un oui est un oui» ont toutefois clairement fait savoir qu'ils se battraient jusqu'au bout. Mais face à la majorité bourgeoise du Conseil des États, ils risquent bien de finir par perdre la partie.

*Les noms ont été modifiés

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