«Je me sentais comme une ordure»
Traumatisés par le traitement des experts de l'AI

L'enseignante Denise K.* a trouvé sa visite à un institut d'expertise AI «incroyablement dégradante». Elle n'est de loin pas la seule. La Confédération ne voit pourtant pas la nécessité d'agir.
Publié: 02.01.2022 à 16:14 heures
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L'enseignante Denise K.: ce qu'elle a vécu dans un institut d'évaluation de l'AI à Bâle la préoccupe encore aujourd'hui.
Photo: STEFAN BOHRER
Thomas Schlittler

Denise K.*, 58 ans, a souffert toute sa vie: dermatite atopique, déficience de la thyroïde, problèmes de genoux et de dos. Pour cette enseignante, les problèmes pulmonaires qui l'ont déjà conduite à l'hôpital sont en outre particulièrement pénibles. «A l'école, j'avais beaucoup de peine à éviter les virus qui déclenchaient des infections pulmonaires», raconte-t-elle.

En raison de ces troubles, Denise K. bénéficie pendant des années d'une demi-rente AI. Avec les 900 francs par mois, elle paie les frais qui n'étaient pas couverts, par exemple l'ostéopathie. Mais il y a cinq ans, ses problèmes de santé permanents ont un impact sur son psychisme. Elle n'en peut plus et fait un burn-out.

L'AI a remis en question le bien-fondé de la rente

Mais Denise K. se bat pour revenir. Pas à pas, elle augmente à nouveau son taux d'occupation. Au bout de quelques mois, le médecin de l'assurance d'indemnités journalières constate qu'elle est à nouveau «entièrement» apte au travail. Une formulation lourde de conséquences: «L'évaluation ne portait certes que sur mon taux d'occupation de 50%, mais elle a conduit l'AI à remettre fondamentalement en question le bien-fondé de ma rente.»

Les autorités zurichoises envoient Denise K. dans un institut d'expertise AI à Bâle. Ce qu'elle y vit alors la préoccupe encore aujourd'hui: «Les experts m'ont traitée entre indifférence et agressivité. J'avais l'impression d'être une ordure. C'était incroyablement dégradant.»

Le psychiatre regarde à peine Denise K., mais veut lui demander si elle partage la chambre à coucher avec son mari. Elle répond par l'affirmative et lit plus tard dans le rapport qu'elle aime toujours faire l'amour avec son mari: «Cela a été interprété comme un signe que je ne pouvais pas aller si mal.»

«La peur de la douleur n'est pas une douleur»

Le souvenir le plus horrible de Denise K. est celui du médecin chargé d'examiner ses problèmes de dos. Il lui demande de s'asseoir sur une table avec le dos droit et de garder les jambes à angle droit. «Comme je n'y arrivais pas, il a simplement appuyé et demandé: «Est-ce que ça fait mal?». Elle lui demande alors de ne pas le faire parce qu'elle craint d'avoir une fois de plus un lumbago. La réponse du médecin est cinglante: «La peur de la douleur n'est pas une douleur.»

En Suisse, des centaines de personnes vivent chaque année le traitement des experts de l'AI comme un manque de professionnalisme, voire un traumatisme. Inclusion Handicap, l'association faîtière des organisations de personnes handicapées, a donc mis en place début 2020 un service d'annonce auprès duquel les assurés peuvent déposer leurs expériences. Jusqu'à fin octobre 2021, 613 personnes se sont manifestées.

Des plaintes toujours déposées par les mêmes évaluateurs

Inclusion Handicap a maintenant évalué en détail ces signalements et constaté qu'ils concernaient souvent les mêmes évaluateurs. Le rapport précise: «Les résultats indiquent clairement que les instituts et les experts cités n'ont pas respecté des conditions générales fondamentales et essentielles pour une expertise.»

De nombreux assurés ont fait état d'un mauvais climat lors de l'entretien, d'un manque d'intérêt et de lacunes dans le déroulement de la rencontre. «De plus, la majorité des personnes concernées estiment que le contenu de l'expertise ne correspond pas au contenu de l'entretien.» Inclusion Handicap demande donc aux responsables de l'AI de revoir leur collaboration avec les experts en question.

L'Office fédéral des assurances sociales (OFAS) ne veut toutefois rien savoir de ces exigences. «Le critère le plus pertinent pour juger de la qualité d'une expertise est son existence devant le tribunal», précise un porte-parole. Seul un examen approfondi du dossier permet d'évaluer la qualité d'une expertise au cas par cas et de tirer d'éventuelles conclusions sur l'expert.

Il n'est guère possible de renverser les expertises

L'autorité, qui dépend du ministre de la Santé, Alain Berset, souligne en outre que d'importantes mesures sont entrées en vigueur le 1er janvier 2022, qui doivent favoriser la qualité des expertises. Il s'agit par exemple de l'obligation de procéder à des enregistrements sonores, de listes publiques contenant des informations sur les experts et le résultats de leur travail, d'une commission indépendante chargée de promouvoir et de surveiller la qualité des évaluations, du principe aléatoire également pour les expertises bidisciplinaires ainsi que de la procédure de conciliation en cas d'expertise monodisciplinaire.

Petra Kern, responsable du département des assurances sociales chez Inclusion Handicap, salue ces changements. Mais elle y voit des faiblesses flagrantes : «Cela ne sert pas à grand-chose pour les personnes concernées si elles tombent au hasard sur des experts peu sérieux.» Elle critique en outre le fait que, même avec le nouveau système, les assurés doivent se défendre de manière proactive contre les experts douteux en cas d'évaluation monodisciplinaire, avant qu'une procédure de conciliation ne soit engagée: «Une fois qu'une expertise a été réalisée, il n'est pratiquement plus possible de la renverser. Beaucoup n'ont ni la force ni l'argent pour cela.»

«Après cela, j'ai baissé les bras»

Denise K. a les larmes aux yeux lorsqu'elle raconte au «SonntagsBlick» son expérience avec les experts de l'AI. Comme seul le pneumologue a constaté une incapacité de travail de 30%, la rente a été complètement supprimée. L'office AI a rejeté son recours contre l'institut d'expertise. «Après cela, j'ai baissé les bras. Je ne pouvais pas me permettre une contre-expertise ni d'aller au tribunal - ni financièrement, ni en termes de forces.»

Aujourd'hui, elle ne parvient toujours pas à travailler à plus de 50%. Mais comme elle a un salaire décent en tant qu'enseignante et que son mari gagne pleinement sa vie, elle s'en sort relativement bien. «D'autres, qui sont éliminés par l'AI, n'ont pas cette chance.»

Denise K. trouve en outre grave que les différents experts ne se concentrent que sur leur propre domaine de spécialité. «C'est une approche totalement erronée. Car on ne peut savoir comment se sent une personne qu'avec une approche globale.» Finalement, c'est la combinaison de tous les troubles qui lui rend la vie si difficile.

* Nom connu de la rédaction

(Adaptation par Lauriane Pipoz et Yvan Mulone)


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