Fariba* est infirmière à Kaboul. Depuis l'invasion de la capitale afghane par les talibans, la jeune femme de 29 ans tient un journal de bord pour Blick. Récit d'une semaine entre désespoir et chagrin.
La première partie du journal de Fariba
Dimanche 22 août
J'ai rêvé que les talibans voulaient me fouetter à cause de mes vêtements. Une grande foule de femmes se rassemblait alors pour me protéger. Un soldat islamiste me criait: «Va t'en!» et je courais aussi vite que possible me cacher à la maison. Ces cauchemars n'arrêtent pas...
Retour dans la vie réelle, sur le chemin du travail. Des hommes me fixent à l'arrêt de bus. À ma grande surprise, une femme monte dans le véhicule. Au prochain arrêt, c'est un soldat taliban qui entre. J'ai très peur, je fais attention qu'aucun cheveu ne dépasse de mon foulard. Dieu merci, le taliban me laisse tranquille et va voir le chauffeur pour s'enquérir du prix du billet. «Dix Afghani», répond celui-ci. «Pourquoi pas cinq?» L'essence a augmenté, avance le conducteur. Une longue discussion plus tard, le soldat autorise le bus à poursuivre sa route.
Au travail, je m'occupe de mes patients comme d'habitude, jusqu'à ce que le directeur ne convoque tout le monde dans son bureau. Il nous informe que notre responsable a quitté le pays. Parce que nous sommes employés d'un hôpital que les organisations françaises financent et gèrent, nous craignons pour notre vie. Quelqu'un demande s'il y a un moyen de nous échapper nous aussi. «S'il y avait une issue, j'aurais déjà fui moi-même. Retournez au travail!»
Tout le monde est inquiet de cette nouvelle vie sous le régime des talibans. Notre futur est si incertain... Je me sens morte à l'intérieur; je n'ai plus le droit de porter de vêtements de couleurs ni de me maquiller, pas même les lèvres. Ô grand Dieu, j'aimerais que tout ceci ne soit qu'un cauchemar.
Lundi 23 août
Jour de congé aujourd'hui. En temps normal, j'en profite pour voir ma famille et mes amis. Mais ce n'est plus le temps normal, donc je dois rester à la maison. Je me sens comme une prisonnière dans ma propre ville, malgré une certaine liberté. Comment les talibans vont-ils gérer le pays? Leur seule compétence, c'est de faire la guerre. Peur, terreur, instabilité: voici leur jargon.
Mardi 24 août
J'essaie de me calmer et de mener une vie aussi normale que possible. Mais je suis bien obligée de me conformer aux nouvelles règles — à commencer par ce voile noir qui recouvre tout mon corps. Tout est fermé: Université, banques, ministères et bureaux gouvernementaux... La rue, elle, est pleine de soldats talibans. Leur présence et leur apparence me font psychoser et me donnent un sentiment d'impuissance.
Au travail, nous avons une réunion Skype avec nos soutiens français. La salle de réunion est bondée. Je peux à peine respirer, mais je suis tout ce qui se passe avec espoir. Lors de la séance de questions-réponses, une femme veut savoir pourquoi la France ne fait pas sortir les employés d'ici comme le font les autres pays. «Vous êtes en sécurité», nous assure-t-on. «Alors pourquoi notre chef est parti?», ose courageusement la jeune Afghane.
Une deuxième personne répond, répète que la sécurité de l'hôpital est assurée grâce à des organisations. Alors même qu'ils ne sont pas tenus de le faire, précise un troisième interlocuteur. Beaucoup de gens se mettent à pleurer à l'issue de cette terrible séance. J'essaie de réprimer mes larmes et je prie intérieurement. Pourvu qu'Allah m'offre un moyen de m'échapper. Mais en écrivant ces lignes, des grosses larmes coulent sur mes joues... Je suis déçue.
Mercredi 25 août
Je dois me rendre à l'évidence: j'ai abandonné tout espoir de quitter l'Afghanistan. J'ai envoyé des courriels à de nombreuses ambassades, mais je n'ai reçu aucune réponse. Les États-Unis ont annoncé qu'ils n'assureraient la sécurité de l'aéroport de Kaboul avec leurs soldats que jusqu'au 31 août. Après cela, leur mission sera terminée. Cela ne me laisse une marge de manoeuvre que de six jours uniquement. Pourrai-je continuer à vivre une fois les forces étrangères parties? Ou les talibans m'exécuteront à cause de mon employeur européen?
Jeudi, 26 août
Les talibans veulent que les femmes restent à la maison — du moins pour l'instant. Les écoles et les universités sont fermées. Je suis heureuse de travailler dans le secteur de la santé et de pouvoir continuer d'exercer mon activité, même au prix de ce voile qui m'oppresse. Mais pour combien de temps encore? Que se passera-t-il si tout à coup les femmes doivent rester à la maison et que mon permis de travail n'est plus valable? Je devrai rester toute ma vie à la maison et prier pour que les talibans soient renversés?
Ils dirigent le pays depuis une semaine et demi seulement, et ça a déjà suffi pour me faire perdre tout espoir... Je n'ai plus aucune motivation pour continuer ma vie ainsi. Avant ce changement au pouvoir, j'avais commencé à apprendre l'allemand, entamé un Master en soins infirmiers et je suis tombée amoureuse. Désormais, je ne peux plus aller à l'université et mon fiancé me dit que nous ne pouvons pas envisager une vie ensemble dans cette période si incertaine... Il veut rassembler toutes ses économies et fuir. J'ai le coeur brisé et tous mes rêves se sont envolés.
Vendredi 27 août
L'État islamique a attaqué l'aéroport de Kaboul. Les images qui ont été retransmises partout de personnes qui gisent dans leur sang me détruisent. Je suis si fatiguée, physiquement et mentalement. Je n'arrive plus à dormir. Lorsque je ferme les yeux, je vois le visage gris, barbu et excédé d'un soldat taliban. Il n'y a pas d'issue...
Samedi 28 août
Plus le 31 août approche, plus je crains que les talibans n'interprètent le Coran de manière encore plus tyrannique après le retrait des troupes américaines. J'aime mon pays. Mais maintenant, sous ce terrible régime, où je dois enterrer la plupart de mes rêves, je ne fais que prier. C'est tout ce qu'il me reste... Allah, ouvre-moi un chemin pour sortir d'ici! Et protège nos compatriotes.
*Le prénom de la jeune femme a été modifié par Blick pour sa propre sécurité