Une rencontre physique n'étant pas encore possible, la conversation avec Thomas Haagensen, le patron européen d'Easyjet, se déroule virtuellement. le directeur de la compagnie aérienne est basé à Genève. Mais pendant les vacances d'été, lil fera comme beaucoup d'autres personnes souffrant du manque de voyages: il montera dans un avion avec sa famille et s'envolera pour Nice, au bord de la Méditerranée.
M. Haagensen, qu'est-ce qui dérange Easyjet dans le projet de loi sur le CO2?
Thomas Haagensen: Nous soutenons l'objectif de zéro émission de l'ensemble du secteur aérien. Cet objectif, qui doit être atteint d'ici à 2050, est également conforme à la stratégie nationale de la Suisse. L'industrie doit lutter contre le changement climatique, mais la loi sur le CO2 ne l'aide pas.
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Pourquoi ?
La taxe sur les billets d'avion ne fera que rendre les vols plus chers, mais ne changera rien. Il y aura le même nombre d'avions en vol, mais avec moins de passagers. Les avions polluent autant s'il sont remplis ou à moitié vides. Cette taxe est donc une fausse bonne idée et un frein aux investissements dans la recherche et les technologies durables, qui sont le seul moyen de réduire les énergies fossiles.
Les partisans voient les choses différemment. Par exemple, la moitié de la taxe sur les billets d'avion devrait être affectée au développement de carburants synthétiques.
En tant que compagnie aérienne, nous exploitons des liaisons court et moyen-courriers en Europe. À l'avenir, des avions totalement exempts d'émissions et fonctionnant à l'électricité ou à l'hydrogène seront disponibles pour ces liaisons. Les carburants synthétiques sont une solution pour les vols long-courriers, pour lesquels des solutions totalement exemptes d'émissions, comme le vol électrique, ne seront pas techniquement disponibles à court terme.
Est-ce une raison pour combattre ce projet de loi avec autant de véhémence ?
Il y a aussi l'aspect social. Parce que la loi sur le CO2 punit les personnes à faibles revenus et empêche les familles de prendre l'avion pour les vacances. En revanche, nous croyons à la démocratisation de l'aviation, du moins en Europe.
Voler serait donc presque un droit de l'homme. C'est exagéré, n'est-ce pas?
Beaucoup de familles ou d'hommes d'affaires voient les choses tout à fait différemment. Le coronavirus a empêché les voyages. Les familles n'ont pas pu rendre visite à leurs proches, les hommes d'affaires n'ont pas pu rencontrer leurs clients en personne. Il serait inacceptable de restreindre les possibilités de rencontre. Surtout pour un pays comme la Suisse, qui est très connectée avec le reste du monde. Nous constatons un grand besoin de rattraper les rencontres qui n'ont pas pu se faire. La question est la suivante: comment réduire les dommages causés à l'environnement? Nous avons la réponse: en investissant dans la technologie.
Ou en prenant moins l'avion.
Nous choisissons une stratégie différente. Tout d'abord, nous voulons réduire les émissions de CO2 de nos vols. Cela signifie que nous investissons dans les nouvelles technologies et les avions à faible consommation de carburant tels que l'Airbus A320neo. Et ce malgré la pandémie. Dès l'automne, cinq nouveaux appareils de ce type seront basés à Bâle-Mulhouse et à Genève.
C'est à peine suffisant pour atteindre l'objectif de zéro émission nette.
Oui, c'est pourquoi nous travaillons également avec différents partenaires, tels que Wright Electric et Airbus. L'aviation européenne promet un avion à zéro émission d'ici 2035. Il volera à l'hydrogène. C'est pourquoi nous envisageons déjà de construire les infrastructures de ravitaillement nécessaires dans les aéroports européens. Wright Electric veut même mettre sur le marché son premier avion électrique dès 2030.
C'est du vent, n'est-ce pas?
Peut-être, et c'est pourquoi nous avions décidé de compenser 100% de nos émissions de CO2 en 2019 déjà. Nous le faisons aussi pour nos clients, sur qui cela ne doit pas retomber. Il s'agit d'une mesure concrète sans effets secondaires sociaux.
Si la loi est adoptée, Easyjet volera-t-elle de Bâle à Mulhouse sous la loi française?
Nous ne savons pas encore. Le changement climatique est un problème mondial auquel nous devons nous attaquer tous ensemble. Il est donc peu judicieux pour un pays de faire cavalier seul. La loi entraînerait une grave distorsion du marché à Bâle, car la taxe sur le CO2 serait beaucoup plus élevée dans le secteur suisse.
Une taxe sur les billets d'avion rendrait les billets Easyjet bon marché disproportionnellement plus chers. Est-ce pour cela que la lutte contre la loi sur le CO2 est si importante?
Non, cela n'a rien à voir avec notre modèle économique. Nous tenons vraiment à montrer qu'une taxe sur le CO₂ ne rapprochera pas la Suisse de l'objectif de zéro émission. Depuis la crise du coronavirus, les compagnies aériennes sont à court d'argent et n'ont plus les moyens d'investir. Une taxe sur les billets qui ne fait qu'augmenter le prix des vols est donc très contre-productive.
En parlant du coronavirus, les temps sont-ils difficiles pour le secteur aérien?
Oui, nous ne pouvons pas brûler l'argent et nous devons nous assurer que nous avons suffisamment de liquidités pour garantir la solvabilité. Nous avons réuni 5,5 milliards de livres à cette fin (environ 7 milliards de francs suisses, ndlr). Les vols touristiques se rétabliront plus rapidement, les voyages d'affaires prendront un peu plus de temps.
Quel est le statut de la réservation?
Les réservations en Suisse sont en hausse, mais sont fortement liées aux restrictions de voyage. Lorsque celles-ci ont baissé, la demande a rapidement augmenté. D'avril à juin, nous prévoyons environ 15 % des vols de notre réseau pré-coronavirus. Une augmentation significative des réservations à partir de juin est ensuite prévue.
Vous n'hésitez pas à parier sur cette augmentation?
Non, la demande est bien là. Dans une enquête, deux tiers des personnes interrogées ont déclaré avoir déjà réservé un vol pour cette année ou avoir l'intention de le faire. Pour la Suisse, par exemple, nous avons déjà adapté et étendu l'offre aux îles grecques ou à Pristina pour répondre à la demande croissante.