Yvonne Gilli préside la Fédération des médecins suisses (FMH). À l'approche des votations du 9 juin, la spécialiste détaille sa position sur les deux initiatives qui visent l'explosion des coûts de la santé. Interview.
Les primes d'assurance maladie augmentent plus fortement que les revenus. C'est ce que veut changer l'initiative populaire «Frein aux coûts», qui sera soumise au vote en juin. Une approche intéressante?
C'est l'approche la plus erronée que l'on puisse imaginer.
Qu'est-ce qui ne va pas?
L'initiative demande un changement qui aurait de grandes conséquences: que les coûts de l'assurance obligatoire soient liés à l'évolution des salaires. Donc, par exemple, que si les salaires augmentent de 2%, les frais de santé puissent augmenter de 2%. Cela n'a jamais été le cas. La conséquence serait un rationnement de la médecine. L'accès aux soins deviendrait inégal!
Pourquoi ne pas instaurer de contraintes budgétaires pour les médecins, les hôpitaux, les pharmacies et les thérapeutes?
Il aurait en effet un plafonnement des coûts avec cette initiative. Les autorités risqueraient d'être désavouées si elles devaient elles-mêmes dire à quelle prestation médicale il faudrait désormais renoncer. L'État confiera donc cette décision au corps médical. Ce sont le secteur thérapeutique et les hôpitaux qui seraient en première ligne et devraient décider qui reçoit quel traitement dans un contexte de budget serré. Les patientes et les patients en feraient les frais.
Vous vous y opposez avec véhémence.
Nous avons fait le calcul: si l'initiative était entrée en vigueur il y a 20 ans, 37% des prestations obligatoirement assurées ne seraient plus remboursées aujourd'hui.
Très bien. Mais en l'absence d'objectifs, les primes continuent d'exploser.
Dans tous les pays de l'Union européenne où de tels plafonds budgétaires existent, ils entraînent une pénurie et aucune baisse des coûts. Le pire exemple est la Grande-Bretagne. Là-bas, le système de santé est au bord de l'effondrement avec des temps d'attente énormes – même pour les traitements vitaux. L'Allemagne a introduit des budgets globaux, tels que l'envisagent les initiants, mais revient déjà en arrière parce que les prestations sont rationnées vers la fin de l'année civile. Certains cabinets ferment tout simplement. Or, les gens tombent malades toute l'année et doivent être soignés.
Votre critique est claire. Mais qui, dans le système de santé, surveille les coûts? Aujourd'hui, tous les prestataires médicaux peuvent se servir à gogo dans l'assurance maladie.
Le système de santé n'est pas un self-service. Le président du Centre, Gerhard Pfister, a tort de le dire. Pourquoi? On peut le considérer de différentes manières. Par exemple, vis-à-vis des coûts totaux par rapport au produit intérieur brut (PIB). Ce rapport est aujourd'hui plus bas en Suisse que chez nos voisins. Avant, notre pays était en deuxième position. Aujourd'hui, ce rapport se situe à la sixième place en comparaison européenne.
Qui pourra encore payer les primes si elles continuent d'augmenter de 5 à 10% par an?
Les primes et les coûts ne sont pas la même chose. Les primes plus élevées reflètent une augmentation des opérations effectuées en ambulatoire, ce qui est directement pris en charge par les caisses d'assurance maladie et donc par les assurés. De plus en plus de traitements complexes et coûteux peuvent être effectués en ambulatoire. Les malades du cancer le savent bien. Pour de nombreux traitements, ils rentrent chez eux le soir. Mais cela fait grimper les primes. Il en va autrement des frais hospitaliers stationnaires, que les cantons financent pour moitié. Les payeurs de primes ne remarquent pas directement ces coûts, car ils sont financés par les impôts.
Le transfert des hospitalisations vers davantage de traitements ambulatoires est une volonté politique. Il est moins cher.
Oui. Si l'on considère l'ensemble, les coûts par tête n'ont augmenté que de manière minime. Le corps médical assume sa responsabilité.
Mais quelle responsabilité? Ils critiquent la réduction des coûts, mais ne proposent eux-mêmes aucune solution à la forte hausse des primes.
C'est pourquoi nous voterons le 9 juin sur un deuxième projet, l'initiative d’allègement des primes. Elle veut limiter les coûts à maximum 10% du revenu. Le système de primes par tête que nous appliquons aujourd'hui est problématique. Les ménages à faibles revenus paient autant pour l'assurance maladie obligatoire que les personnes fortunées. Cela nécessite manifestement une compensation sociale. Certes, la réduction individuelle des primes corrige en partie cette injustice, mais pas suffisamment.
Vous voulez que l'État couvre la charge des primes par tête avec des milliards de subventions?
Le problème est ailleurs. Certains cantons n'ont pas distribué cette réduction individuelle pour compenser l'injustice des primes par tête entre les ménages. Tant l'initiative que le contre-projet indirect veulent corriger cet échec des cantons.
Vous voterez oui?
La FMH a soutenu le contre-projet. Nous n'avons pas encore pris position sur l'initiative. Certaines organisations de médecins, comme les médecins-assistants et chefs de clinique, se sont toutefois prononcées en sa faveur.
En tant qu'ex-conseillère nationale des Vert-e-s, vous voterez probablement pour.
Notre profession a une conscience sociale élevée.
Les énormes conséquences financières d'un Oui – le Conseil fédéral prévoit 11 milliards de francs supplémentaires à partir de 2030 pour la Confédération et les cantons – ne vous inquiètent pas ?
Les finances fédérales me préoccupent, oui.
La TVA devrait augmenter de 3% pour financer cela.
Il est important que les gens sachent comment cela sera financé.
Une telle augmentation de la TVA ne vous fait pas peur?
En ce qui concerne les finances fédérales, je ne suis qu'une citoyenne et ne m'exprime pas à ce sujet. En tant que présidente de la FMH, il est important pour moi qu'un bon approvisionnement médical puisse être maintenu en Suisse. Je ne suis plus active en politique partisane.
Des experts, dont ceux d'Économiesuisse, affirment que la hausse des coûts de la santé est due à l'augmentation des prestations: plus d'examens, plus de traitements... Vous ne citez pas cet argument. Pourquoi?
Si, la quantité de prestations augmente. Ce sont surtout les jeunes générations qui sont inquiètes et demandent des examens approfondis. C'est un phénomène nouveau. Il y a vingt ans, je pouvais écouter les bruits du cœur d'une patiente et lui dire qu'elle était en bonne santé, puis tout allait bien pour elle. Aujourd'hui, les jeunes veulent aussi exclure les maladies rares. Cela signifie que je dois plus souvent les envoyer chez un spécialiste qu'auparavant. Par exemple pour une échographie cardiaque. Cela entraîne une augmentation des volumes et une hausse des primes. Nous, les médecins, ne pouvons pas nous opposer seuls à cette tendance sociétale.
Les gens doivent apprendre à vivre avec moins d'examens?
Nous appelons ça l'empowerment des patients: concevoir les traitements avec les patients de manière à ce qu'ils soient optimaux et utiles. Mais cela implique que les médecins aient du temps à consacrer à leurs patients.
Qui doit décider maintenant: moi-même en tant que patient?
L'équipe soignante en collaboration avec le patient sur un pied d'égalité. La société a également un rôle à jouer. Ça commence par la famille et l'école.
On est encouragé à recourir à une prestation si elle est payée par la caisse maladie et donc presque gratuite. Il n'y a pas d'incitation économique à utiliser de manière raisonnée les moyens limités à disposition.
Non, c'est tout simplement faux. L'évaluation de l'économicité des caisses d'assurance maladie l'empêche. Si un cabinet prescrivait des prestations à gogo, cela se verrait statistiquement. Un médecin qui le ferait serait contrôlé et sanctionné en cas de prescription abusive.
Très bien, mais revenons à l'absence d'incitation à faire des économies. Je vais chez le médecin et je demande une analyse de sang. La caisse maladie paie sans problème 90% des coûts. Si cela me coûtait 290 francs, je réfléchirais à deux fois à la nécessité de ce test.
C'est une hypothèse. Reste à savoir si l'on peut renforcer la responsabilité individuelle en faisant payer les patients davantage. Aujourd'hui, ce sujet fait l'objet d'un débat politique. Il y a des arguments qui s'y opposent. Un exemple est la Grande-Bretagne dans les années 1980. Les soins de santé y étaient alors gratuits et le système n'a pas été débordé pour autant. Des études montrent que le principal moteur des coûts réside dans des facteurs socio-économiques. Une personne pauvre et peu instruite a statistiquement plus de risques de tomber malade qu'une personne fortunée et instruite. Je souhaite que la Suisse prenne soin de sa prospérité et réduise ainsi le risque de maladie. Et que nous n'oubliions la partie vulnérable de la population.
Vous rejetez donc les incitations économiques.
Je considère comme stérile le débat sur une quote-part de l'assurance maladie plus élevée. Dans ma pratique, je vois deux types de personnes qui ont la franchise la plus élevée: celles qui peuvent se le permettre et celles qui ne peuvent pas du tout se permettre de payer les primes et qui ont du mal à payer les factures.