Dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, au moins six prêtres suspendus par leur hiérarchie à titre préventif à la suite d'accusations d’abus sexuels, se sont déjà retournés contre l’Évêché. Certains ont même déposé plainte en diffamation ou violation de la présomption d’innocence. D’autres se bornent à entretenir une rancœur plus ou moins silencieuse…
Exactement un an après la publication, à la demande de la Conférence des évêques suisses (CES), du rapport de l’Université de Zurich sur les abus sexuels dans l’Église en Suisse, une chasse aux sorcières bat son plein. Et inévitablement, elle fait son lot de victimes collatérales… Car s’il y a évidemment de véritables brebis galeuses et même de plus redoutables encore «loups voraces déguisés en brebis» parmi les prêtres, la vaste majorité d’entre eux se montrent à la hauteur de leur sacerdoce. Le problème est que dans le contexte actuel, même une partie de ceux-là, se retrouvent parfois soupçonnés d’actes ou de comportements pédophiles ou déviants.
Des dénonciations venues de l’intérieur
Ces dénonciations diffamatoires viennent généralement du milieu ecclésial. C’est-à-dire de catéchistes, de simples fidèles ou de collègues prêtres le plus souvent de bonne foi. Citons l’exemple de ce curé du diocèse, qui voici quatre ans, avait eu la mauvaise idée de pousser par les fessiers un enfant qui peinait à grimper à un arbre dans le cadre d’un jeu. Sa maladresse lui avait valu une plainte des parents concernés. L’enquête l’avait blanchi mais, même ainsi, la rumeur continue parfois de faire son œuvre destructrice et l’insidieuse défiance qui s’est parfois installée se révèle difficile à déraciner…
Citons le cas de cet autre prêtre fribourgeois, lui aussi victime de ces mêmes «lunettes déformantes scrutant tout par le prisme obsessionnel de l’abus» et totalement blanchi voici moins d’une année, mais que la suspicion «sur le mode, il n’y a pas de fumée sans feu» avait durablement poussé à la dépression… Lui avait choisi de ne pas déposer de contre-plainte, précisément pour ne pas s’enfermer dans la rancœur.
Le diacre Daniel Pittet, bien connu pour avoir été victime du prêtre pédocriminel multirécidiviste Joël Allaz dans son enfance et pour se battre farouchement contre ces abus depuis plus de 20 ans, est d’avis que l’Évêque Charles Morerod, dont il est un proche, devrait s’excuser au nom de l’Église lorsqu’un prêtre mis en cause est innocenté par la police ou par la justice. «Une lettre pourrait suffire à réinstaurer un climat sain et à corriger le mal qui a été fait en faisant taire les rumeurs et les mauvaises langues. Pourquoi même ne pas médiatiser cette réhabilitation si le prêtre l’estime nécessaire?», avance ce père de six grands enfants, âgés de 65 ans.
Un pas vers le mea-culpa
Notons à sa décharge, que l’Évêque Morerod vient de faire un pas dans ce sens dans la traditionnelle lettre diocésaine de ce mois de septembre. «Nous avons la responsabilité de protéger les victimes potentielles mais également de garantir les droits de l’accusé. Si un présumé auteur d’abus se révèle innocent, il est de notre devoir de le réhabiliter pleinement et de lui accorder à nouveau toute notre confiance», écrivait notamment le prélat. Soit une déclaration d’intention, fleurant le début de mea culpa, qui n’est pas passée inaperçue.
Contacté ce mardi, en pleine réunion de la CES, Charles Morerod nous rappelle qu’il est soumis à la loi des hommes puis à la loi canonique et qu’il n’a donc d’autres choix que de signaler les simples soupçons dont il a connaissance à la police. «Si un prêtre peut exercer un ministère, c’est que je lui fais confiance. Lorsqu’un soupçon apparaît, je dois prendre des mesures provisoires. Je me tiens à ce que m’avait dit la police dans le passé: 'Vous n’avez pas vous-même la compétence, et en grande partie pas le droit, de mener des enquêtes.' En outre informer un prêtre par le biais d’une procédure interne signifie l’avertir de soupçons, et lui permettre de détruire des preuves, donc être complices.»
Le Fribourgeois attire aussi l’attention sur le fait qu’il ne peut que «s’en tenir à la décision de la justice mais pas aller au-delà». Or autant, il se peut que toutes les accusations aient été vérifiées et déclarées fausses, autant il se peut simplement que la justice n’ait pas réussi à se prononcer faute d’éléments probants. Difficile évidemment dans ce second cas pour l’Évêque de signer officiellement une hypothétique lettre de réhabilitation!