L'accord de 15 milliards de francs pour l'armée et la reconstruction de l'Ukraine est tombé à l'eau. La Commission de la politique de sécurité (CPS) du Conseil des Etats voulait financer l'ensemble via un budget extraordinaire, sans tenir compte des risques d'endettement. Mais le Conseil des Etats s'y est opposé lundi.
Le renoncement du Conseil des Etats met encore plus sous pression le budget fédéral, pour des questions d'endettement. Car en face, la commission insiste pour augmenter rapidement les dépenses militaires. Avec un objectif: le budget de l'armée doit atteindre 1% du produit intérieur brut (PIB) dès 2030 au lieu de 2035.
Or, pour y arriver, le plafond de dépenses de l'armée doit être augmenté de 4 milliards supplémentaires entre 2025 et 2028, pour atteindre 29,8 milliards de francs. Et ce, malgré les menaces d'un déficit structurel d'environ 4 milliards de francs par an, à partir de 2030, qui plane au-dessus de la Confédération.
L'augmentation du budget de l'armée alimente donc aujourd'hui une lutte pour la répartition des fonds fédéraux au sein du Conseil fédéral. Un conflit qui couve depuis longtemps, comme le prouvent des documents internes à l'administration que Blick a obtenus en vertu de la loi sur la transparence.
L'administration des finances se montre très critique
Lors de la consultation des offices de l'automne dernier concernant l'armée, la position de l'Administration fédérale des finances (AFF), rattaché au Département des finances de Karin Keller-Sutter, est claire: l'administration a insisté, avec succès, pour retirer l'arrêté de planification, prévoyant des investissements de 32 milliards de francs jusqu'en 2035.
«De notre point de vue, il n'est pas défendable de présenter au Parlement un arrêté de planification qui entraîne des coûts aussi élevés, sans être contre-financé», a fait savoir l'administration. Et d'ajouter: «Il s'agit là de la décision de planification la plus coûteuse de l'histoire», en prenant soin de rappeler qu'elle ne se prononcera qu'une fois qu'un contre-financement sera proposé «ou couplé à un projet de contre-financement».
Le département de l'Intérieur serait, lui aussi, «en désaccord»
Outre l'Administration fédérale des finances, la question des dépenses de l'armée est également l'objet de tensions au département de l'Intérieur, qui a indiqué être «en désaccord» avec le plafond de dépenses prévu de 25,8 milliards de francs de 2025 à 2028.
Certes, l'augmentation du budget militaire est une volonté du Parlement. Mais «au vu de la situation budgétaire actuelle, des dépenses aussi élevées ne devraient pas être maîtrisées sans contrepartie financière», a indiqué le département de l'Intérieur.
Le secrétariat général du DFJP de l'ancienne ministre de la Justice Elisabeth Baume-Schneider s'est également montrée sceptique: «Au cours de l'année, il est apparu que la situation financière de la Confédération continuait de s'assombrir», a-t-il averti. Le déficit budgétaire s'accroît chaque année de quelques centaines de millions de francs et conduit à un déséquilibre structurel du budget. Des coupes dans les dépenses deviendraient ainsi «probablement inévitables», a ainsi prévenu le Secrétariat général.
Guy Parmelin, toujours plus inquiet
L'inquiétude a même gagné le ministre de l'Economie UDC Guy Parmelin. Son secrétariat général a ainsi fait part de ses «difficultés» à financer les projets de l'armée à long terme: «Le financement de cette croissance n'est pas encore assuré», a-t-il déploré.
Le ministre de l'Economie, qui dit attendre des propositions de financement, craint par ailleurs que certains de ses dossiers ne soient mis à mal: «En tant que département ayant le plus grand volume de dépenses faiblement engagées (agriculture, formation et recherche, coopération internationale), cette perspective nous inquiète.»
Si les finances fédérales devaient se détériorer, le DDPS devrait donc adapter ses plans «et apporter ainsi sa contribution à l'allègement», a-t-il suggéré.
Viola Amherd traîne une autre casserole
L'administration des finances a également interpellé la ministre de la Défense sur un autre projet compromettant: Viola Amherd veut en effet construire un nouveau centre militaire pour 483 millions de francs, sous le nom de code «Kastro II». Pour des raisons de sécurité, le dispositif sera enterré dans une caverne, ce que l'Administration des finances a remis en question: «La construction d'un autre centre entièrement protégé, le «Fundament», a pu être réalisée avec un budget de 157 millions. Pourquoi ne recourt-on pas à des installations souterraines existantes pour Kastro II?»
Les volontés de l'armée se heurtent donc de plus en plus à la résistance du Conseil fédéral, surtout quand d'autres départements doivent se serrer la ceinture.
Viola Amherd tente de désamorcer le conflit, en se disant ouverte à un financement spécial pour l'armée. Karin Keller-Sutter, privilégie en revanche les mesures d'économie et une réduction de subventions. Elle a ainsi mis en place un groupe d'experts externes, qui devrait présenter des propositions après les vacances d'été.
La bataille budgétaire continue de faire rage.