Ignazio Cassis n'a pas tiré le gros lot pour son année présidentielle. Même s'il a tous les droits relatifs à la fonction, de l'inauguration d'événements à la participation à de grands rendez-vous sportifs en passant par tous les contacts avec la population, le Tessinois a énormément à faire avec son autre casquette, celle de ministre des Affaires étrangères.
La guerre en Ukraine a amené son lot de décisions compliquées: débat sur la politique de neutralité suisse, livraison éventuelle d'armes à Kiev, sanctions contre Moscou... Alors que les dossiers relatifs au conflit en cours sont encore brûlants d'actualité, voici qu'un nouveau front commence à faire du bruit à Berne et à mettre Ignazio Cassis sous pression: la situation en Iran.
Dans la république islamiste, la population se révolte contre l'appareil répressif brutal des mollahs, dont les sbires agissent sans pitié. Plusieurs centaines de morts, dont des mineurs, et des milliers de personnes envoyées dans des prisons. Quarante jours après le début des protestations, la colère populaire continue de faire rage.
En réaction, les Etats-Unis et l'Europe ont sanctionné les membres des forces de sécurité iraniennes. Et la Suisse? Certaines voix sous la Coupole se demandent si Berne doit agir. Elle estiment même qu'une réaction est nécessaire. C'est le cas de Daniel Jositsch. Le conseiller aux États socialiste a déposé jeudi devant la Commission de politique extérieure (CPE) de sa Chambre parlementaire une proposition visant à reprendre les sanctions de l'UE contre Téhéran.
Le Zurichois demande, en outre, que la Suisse s'engage activement en faveur d'une mission des droits de l'homme de l'ONU. Celle-ci devrait «enquêter et documenter les crimes du régime en Iran», écrit Daniel Josistsch.
«Puissance protectrice» depuis 1980
Le hic, c'est que la Suisse représente depuis plus de quatre décennies (1980) les intérêts de l'Iran aux Etats-Unis, et vice-versa. Cette fonction de courroie de transmission entre deux puissances ennemies est le principal mandat de «puissance protectrice» de la Confédération.
Faut-il vraiment mettre en danger cette position? Au sein du corps diplomatique suisse, nombreux sont celles et ceux qui estiment que se rallier aux sanctions internationales contre l'Iran serait risqué. Dans un entretien accordé à Blick, un employé de la Confédération souligne que les discussions en coulisses sont bien plus utiles que les sanctions, qui ont parfois un caractère symbolique. Notre interlocuteur cite en exemple le cas de l'artiste Raziyeh Jalili, qui a refusé sa médaille d'or des Worldskills gagnée à Genève par solidarité avec ses compatriotes femmes. Dans ce cas, la Suisse s'est également engagée à Téhéran pour le bien-être de la jeune Iranienne.
Quoi qu'il en soit, Ignazio Cassis sent la pression monter: tôt ou tard, le Tessinois va devoir trancher entre le mandat de puissance protectrice et l'inaction contre la répression. Cette seconde position pourrait entraîner des critiques, comme cela avait été le cas lors du déclenchement par la Russie de la guerre en Ukraine.
En tant que président de la CPE des Etats, Pirmin Bischof a mis à l'ordre du jour de la prochaine session, prévue le 17 novembre, les interventions pour des sanctions contre l'Iran. Le sénateur soleurois le confirme à Blick.
Sanctions demandées même au PLR
Il est piquant de constater que les propres collègues de parti du ministre des Affaires étrangères sont également favorables à des sanctions. «La neutralité ne veut pas dire que nous devons être le seul état à fermer les yeux sur des violations flagrantes des droits de l'homme!», commente le conseiller aux Etats PLR Andrea Caroni. L'Appenzellois, qui siège également à la CPE, estime que certaines unités de l'appareil sécuritaire iranien mériteraient également d'être sanctionnées.
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C'est le Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco), rattaché au Département de l'économie (DEF), qui est compétent en matière d'éventuelles sanctions contre l'Iran. Selon les informations de Blick, celui-ci est en train d'élaborer une proposition en ce sens. Interrogé, un porte-parole du Seco explique: «Les analyses concernant les nouvelles sanctions de l'Union européenne contre l'Iran sont actuellement menées activement au sein du DEF et du Seco.». Il est donc fort possible que le dossier arrive très bientôt sur le bureau du Conseil fédéral.
Comme les banques helvétiques appliquent les sanctions américaines, la Suisse n'est donc pas un lieu potentiel de fuite «offshore» des membres du pouvoir iranien. Malgré tout, notre pays pourrait être un lieu de refuge pour la famille des autorités. Comme le rapporte Iranwire, un portail international de journalistes d'opposition iraniens, des hauts représentants du régime de Téhéran s'efforcent actuellement d'obtenir des passeports occidentaux pour leurs familles. La Grande-Bretagne, le Canada et la Suisse sont les trois pays cités.