C’est l’histoire d’un terrible gâchis. C’est aussi une histoire d’inconscience. L’inconscience d’une génération en bonne partie immature, qui a poussé sans tuteur, biberonnée aux réseaux sociaux et aux mirages du paraître... Morane Comby était jeune. Elle était «belle, fière et droite». Elle était surtout «rassembleuse, généreuse, drôle et pleine de vie».
De longs mois de harcèlement l’ont détruite à petit feu et, le 30 septembre dernier, seule au cœur de la nuit, à la lumière de son iPhone, des phares de sa BMW X4 et de son désespoir, la Valaisanne de 22 ans a choisi «la facilité de la passerelle», comme elle la qualifie dans son poignant message d’adieu via WhatsApp. A une poignée de kilomètres de son domicile, de ses parents et d’Alan, de Jordan, de Louis et de Noa, ses quatre frères adorés, vers 2 heures du matin, la jeune femme s’est jetée de la passerelle à Farinet, sur les hauts de Leytron (VS). Son corps s’est écrasé 136 mètres plus bas dans les gorges où était mort le célèbre faux-monnayeur 143 ans plus tôt.
Sa maman reste persuadée que son âme l’a quittée bien avant l’impact. Une médium le lui a confirmé. «Je sens souvent la présence de ma fille autour de moi», explique, les larmes aux yeux mais tout en dignité, Mélanie Comby, 46 ans. Elle et Morane étaient unies par «une relation fusionnelle». Elles habitaient deux maisons voisines et échangeaient plusieurs coups de téléphone par jour. La jeune femme laisse derrière elle des larmes, des regrets, «un profond sentiment d’injustice», de la révolte et «une colère parfois bien difficile à contenir».
Sans y croire vraiment, Dominique et Mélanie Comby et leur «clan» espèrent aussi que ce décès «a semé de la honte et de la culpabilité dans les cœurs de ceux qui ont fait ça». Leur deuil de parents sera long et le début du chemin d’un éventuel pardon est encore loin.
Tabassée pour un mauvais garçon
«Ceux qui ont fait ça...» Mais qui sont-ils? La réponse à cette question prend ses racines un 29 avril 2019 à Vétroz. Il est 18h30. La descente aux enfers de Morane Comby va commencer mais elle n’en sait rien encore. Trois femmes d’à peine 20 ans, dont sa meilleure amie, se présentent à son domicile pour un véritable guet-apens. La jeune femme est tabassée à coups de poing, de pied et de genou par la meneuse, une Valaisanne née en 1998. Sa tête heurte un muret dans sa chute. Ses boucles d’oreilles sont arrachées. Son palais est entaillé par une cuillère qu’elle tenait encore dans sa bouche au moment du premier coup. Motif d’une telle sauvagerie? Un litige minable, monté en épingle sur les réseaux sociaux, autour d’un garçon sans importance...
«Morane s’est sentie trahie par sa copine et a souffert d’un stress post-traumatique. Après ce lynchage, mentalement, notre fille était détruite... Deux semaines plus tard, elle a fait une première tentative de suicide aux médicaments qui lui a valu d’être hospitalisée à Malévoz», résument ses parents. Rebelote en décembre 2019. Morane en est quitte pour un nouveau lavement d’estomac mais, après ça, les choses semblent rentrer dans l’ordre. La naissance de son premier petit neveu y contribue beaucoup.
En 2020, elle obtient son CFC d’assistante en pharmacie, puis son papa lui met le pied à l’étrier dans sa société immobilière. En juin de cette même année, son agresseuse, une logisticienne de formation, est condamnée pour lésions corporelles simples à 40 jours amendes avec sursis. «Et ses deux complices s’en sont tirées sans la moindre condamnation», précise Dominique Comby. Le solide gaillard de 55 ans est dégoûté.
De l’argent, du désir et de la jalousie
Morane avait du succès dans l’immobilier. Avec le Covid et le plein boom des Airbnb, elle s’est fait la main. Et à seulement 22 ans, grâce aux conseils et au réseau de son papa, elle gagne déjà bien sa vie. Elle a peut-être trop tendance à le montrer un peu naïvement, d’ailleurs. A côté de ça, elle plaît aux garçons, mais pas toujours aux plus recommandables. «Cela nourrissait son côté Mère Teresa. On en plaisantait et on s’en inquiétait en même temps», souligne Dominique Comby.
La beauté de Morane suscite le désir donc, mais aussi la jalousie. «Au bureau, je la voyais toujours sur son natel. Je croyais à des gamineries, mais déjà elle était harcelée», se souvient son père. «Elle était accro à ses deux smartphones. Lors d’un weekend passé à Lisbonne, je lui avais proposé de les laisser à l’hôtel pour mieux profiter de ce moment ensemble, mais ça lui avait semblé totalement impossible», se souvient sa maman. Le miroir déformant et narcissique des réseaux sociaux a ensorcelé Morane. Et elle est très loin d’être la seule, évidemment...
Le 7 juillet 2023, lors d’un repas de famille, ses frères tirent la sonnette d’alarme. «Arrête les réseaux sociaux! Trouve-toi plus de véritables amis!» lui conseillent-ils alors vigoureusement mais avec bienveillance. Morane se braque. Cela fait déjà plus de quatre mois que quatre vagues connaissances, trois filles et un garçon, ont fait d’elle leur bouc émissaire, notamment via un groupe WhatsApp spécialement mis sur pied. Le harcèlement y est entretenu en toute bêtise, vulgarité et surtout inconscience. Le prétexte est le même que la dernière fois: une histoire de garçon douteux. Les choses se répètent jusqu’à très mal finir. Là encore, il y a une meneuse. Il s’agit d’une jeune femme née en 2000 et travaillant dans un fastfood de la région que nous appellerons Sophia*. Contactée, elle n’a pas souhaité nous répondre.
Un acharnement «jamais vu»
A côté de son travail, la jeune Morane Comby avait décidé de faire des extras. Elle est engagée au KFC de Conthey. Ses harceleurs, Sophia en tête, s’y présentent certains soirs, presque toujours en groupe, juste avant la fermeture. Pour la narguer, l’insulter ou commander une glace alors que la machine vient d’être nettoyée par leur victime. Parfois, ils la suivent jusqu’à sa voiture. Leur agressivité est telle que Morane change régulièrement de véhicule pour ne pas être repérée et que ses employeurs organisent une sorte de tournus pour veiller sur elle en fin de journée.
Le 6 septembre, «ces grosses embrouilles» deviennent si importantes que la Valaisanne finit par déposer une main courante contre Sophia à la gendarmerie de Sion, «mais sans se sentir vraiment entendue». La harceleuse, blessée d’avoir été plaquée par son ex, projette sa colère sur Morane, qui n’y est pourtant pour rien, via WhatsApp, à coups de messages violents à l’orthographe douteuse du genre «sale grosse pute» ou «beeeeeh étouffe-toi avec ta cuillère!»...
Un soir de mars 2023, sa bande a même le culot de se présenter devant le domicile de sa victime, à Chamoson, en l’insultant. Face à sa famille et à son employeur, Morane garde la tête haute, minimise, relativise. Mais, au fond, ces attaques la minent pernicieusement. Rien que le jour de son geste fatal, la Valaisanne avait reçu plusieurs centaines de messages malveillants sur son smartphone. «L’inspecteur qui est passé nous ramener son natel il y a peu n’avait jamais vu un tel acharnement de toute sa carrière et nous a confié penser à Morane tous les jours», explique Mélanie Comby.
La vie devant, mais une meute derrière
Le soir du vendredi 29 septembre, Morane Comby travaillait avec sa grand-mère maternelle à la Foire du Valais. Là-bas, elle a croisé trois de ses frères et son père pour la dernière fois. «Quand on s’est quittés, elle m’a dit: 'Papa, t’es beau!' Cela ne lui ressemblait pas», confie Dominique Comby, qui met un point d’honneur à «rester debout pour les [siens] malgré la tristesse». La veille, Morane avait fait son ménage, sa lessive et payé toutes ses factures. Elle projetait de partir six semaines en Thaïlande sac au dos avec sa belle-mère. Elle avait la vie devant elle mais une meute de hyènes en chasse derrière... Elle a quitté la Foire du Valais, est entrée dans sa voiture, a dégainé son fidèle natel, ouvert Google Maps, tapé «Pont Farinet» et démarré.
Elle était déjà entre deux mondes... Combien d’autres Morane sont en ce moment même harcelées par une Sophia? Combien d’autres Sophia, enfermées dans des blessures qu’elles sont incapables d’affronter, projettent leur mal-être vers l’extérieur à la fois comme un glaive et comme un bouclier? Combien d’autres parents impuissants pressentent confusément que leur enfant, vissé sur son natel, perd pied avec la réalité? Beaucoup! Beaucoup, et Dominique et Mélanie Comby, penchés les yeux dans le vide au milieu de la passerelle à Farinet, une rose rouge à la main, pensent qu’il est grand temps que ça cesse...
Si vos ruminations ou votre angoisse impactent votre qualité de vie, n’hésitez jamais à demander de l’aide. Vous n’êtes pas seul, de nombreuses personnes traversent la même situation que vous, et des ressources existent pour trouver du soutien. Vous pouvez notamment faire appel au service 24h sur 24 de la Main tendue (143), dédiée à l’aide aux personnes en détresse. Les plateformes Pro Juventute (147) ou On t’écoute proposent des conseils et du soutien aux jeunes ou aux parents. Si vous broyez du noir ou si une personne de votre entourage présente des signes d'alarme, vous pouvez vous tourner vers l'association Stop-Suicide, active dans tous les cantons romands.
D’autres dispositifs cantonaux sont également disponibles, comme le réseau fribourgeois de santé mentale, le réseau d’entraide Valais ou encore le centre neuchâtelois de psychiatrie. En cas d'urgence médicale, contactez le 144, ou la police au 117.
Si vos ruminations ou votre angoisse impactent votre qualité de vie, n’hésitez jamais à demander de l’aide. Vous n’êtes pas seul, de nombreuses personnes traversent la même situation que vous, et des ressources existent pour trouver du soutien. Vous pouvez notamment faire appel au service 24h sur 24 de la Main tendue (143), dédiée à l’aide aux personnes en détresse. Les plateformes Pro Juventute (147) ou On t’écoute proposent des conseils et du soutien aux jeunes ou aux parents. Si vous broyez du noir ou si une personne de votre entourage présente des signes d'alarme, vous pouvez vous tourner vers l'association Stop-Suicide, active dans tous les cantons romands.
D’autres dispositifs cantonaux sont également disponibles, comme le réseau fribourgeois de santé mentale, le réseau d’entraide Valais ou encore le centre neuchâtelois de psychiatrie. En cas d'urgence médicale, contactez le 144, ou la police au 117.
*Nom connu de la rédaction
Cet article est publié dans l’édition du 1er mai de L'Illustré