Dans une interview donnée à Blick, le secrétaire général de la Coordination intercommunautaire contre l'antisémitisme et la diffamation (CICAD), Johanne Gurfinkiel, réagissait aux propos tenus par Hani Ramadan dans la presse. Ce dernier nuançait les actions du Hamas lors du 7 octobre, dans une chronique publiée par la «Tribune de Genève».
Il accusait notamment Hani Ramadan de diffuser des fake news et de «manipuler» les militants. Hani Ramadan, directeur du Centre islamique de Genève (CIG), répond aujourd’hui à ces accusations.
Hani Ramadan, niez-vous les événements du 7 octobre?
Bien évidemment, je ne nie pas que le 7 octobre, il y a eu une action du Hamas. Le Hamas a même reconnu qu’il y a eu des échanges de tirs avec l’armée israélienne, ce qui a occasionné la mort de civils, ou de colons selon le point de vue palestinien. Mais connaître ce qui s’est passé exactement ne peut être que le fruit d’une enquête sérieuse, en évitant de se référer à la propagande du gouvernement israélien.
Pourquoi est-ce si compliqué d'utiliser ce mot, «terrorisme», pour définir le 7 octobre?
Netanyahou a aussitôt qualifié l’action du Hamas de «terroriste». La vraie question est de savoir pourquoi les médias ont immédiatement repris cet éclairage avant toute enquête émanent d’un organisme indépendant. Je rappelle que la résistance palestinienne répond au terrorisme d’État sioniste. Il ne faut pas inverser les rôles. La CICAD est-elle prête à condamner la colonisation qui se poursuit contre le droit international? J’ai interpellé cet organisme depuis 2011, dans de nombreuses opinions parues dans la presse. J’attends toujours de ces Messieurs de la CICAD une condamnation claire des massacres répétés de civils palestiniens.
Mais le 7 octobre a marqué une nouvelle escalade du conflit, avec les conséquences dramatiques que nous voyons aujourd’hui. Ne faut-il pas commencer par qualifier cet événement-là?
Le conflit n’a pas démarré le 7 octobre. Il a commencé en 1917 et depuis lors, la colonisation n’a cessé de s’étendre, ne respectant ni les décisions de l’ONU, ni le droit international, les dernières transgressions en date concernant les colonies de peuplement au-delà de la ligne de 1967. La Cour de justice internationale appelle Israël à cesser immédiatement toute activité colonialiste.
Qu’est-ce qui s’est passé, alors, s’il ne s’agit pas de terrorisme?
Quelle est la logique qui consiste à demander aux Palestiniens de reconnaître un territoire qui s’étend à leurs dépens, sans réagir? Je vous signale que la résolution 45/130 de l’Assemblée générale des Nations Unies donne aux Palestiniens le droit de résister «y compris par la lutte armée».
Vous évoquez les sionistes, et cette distinction entre sionisme et judaïsme fait notamment partie de ce que la CICAD vous reproche.
Distinguer la doctrine sioniste et le fait d'être juif est essentiel, la culture juive ayant beaucoup apporté à l'humanité. Si Johanne Gurfinkiel veut vraiment défendre sa communauté, il faut qu’il se démarque du sionisme dans sa traduction politique colonialiste, qui ne respecte pas les droits humains. Il faut qu’il condamne sans détour les horreurs perpétrées à Gaza par l’armée israélienne.
Mais vous n’êtes pas antisémite?
Un musulman ne peut pas être antisémite. Fait partie de notre foi la reconnaissance des grands prophètes, qui sont aussi nos modèles: Israël, c’est-à-dire Jacob, et bien d’autres comme Moïse et Jésus, ce dernier étant pour nous un prophète illustre. Combattre l’antisémitisme, comme l’islamophobie, est aujourd’hui plus que nécessaire.
Pouvez-vous, tout de même, effectuer cette distinction et vous revendiquer philosémite?
Si vous attaquez Israël sur sa colonisation, on vous accuse d’être antisémite. C'est très malsain. La stratégie de diabolisation promue par le gouvernement de Netanyahou, et de l’extrême-droite, consiste à faire prendre au 7 octobre les couleurs de l’Holocauste. C'est en Occident que le nazisme abominable est né pour exterminer le peuple juif. Imputer ces horreurs, inscrite dans la conscience collective, à la résistance palestinienne, constitue non seulement un anachronisme mensonger, mais surtout une injustice dont les Occidentaux s’accommodent. Si vous êtes complaisant avec certains sionistes, ils finiront par vous faire croire qu’Hitler était palestinien!
Si je reprends les termes de Johanne Gurfinkiel, considérez-vous l’état d’Israël comme un «cancer sur le globe terrestre»?
Encore une expression au service de raccourcis intellectuellement douteux. Je ne pense pas que les Juifs qui vivent entre le fleuve et la mer soient un «cancer». Beaucoup d’ailleurs critiquent avec courage les exactions commises par leur gouvernement. Il reste que la genèse du sionisme repose sur trois fondements: le terrorisme, le colonialisme, et l’idée d’un droit à disposer de la terre, fondé sur un suprémacisme par ascendance. Par ailleurs, les Britanniques ont donné aux Juifs une terre habitée qui ne leur appartenait pas.
Lorsque le secrétaire général de la CICAD vous déclare «producteur de fake news», que répondez-vous?
Je réponds que c’est lui qui n’est pas assez précis. Il affirme que même la presse israélienne d’extrême-gauche n’a pas contesté le 7 octobre. Le journal israélien «Haaretz» a rapporté que la police israélienne n’a pas été en mesure de trouver et d’identifier des corps de victimes de viols (ndlr: En novembre, le journal israélien de gauche rapportait que la police n’avait recueilli aucune preuve médico-légale de crimes sexuels commis le 7 octobre. Dans un article daté d’avril, «Haaretz» relate plusieurs témoignages de crimes sexuels et indique que les services de sécurité israéliens possèdent plusieurs aveux de membres du Hamas. Mais le quotidien rapporte que parmi le matériel recueilli par la police et le renseignement, il n’y a pas de documentation visuelle attestant de viols. L’enquête est en cours.). Les accusations de viol viennent des services de sécurité israéliens. Encore une fois, comment peut-on accorder un réel crédit à ces sources sans une enquête indépendante? Enquête demandée par les familles des prisonniers retenus à Gaza, mais que Netanyahou refuse de mener jusqu’à présent! Il faut considérer les faits. Les mensonges émanant du gouvernement Netanyahou après le 7 octobre ont été repris immédiatement par la presse comme étant des évidences.
De quels mensonges parlez-vous?
Il s'agit d’un processus de désinformation sioniste visant à diaboliser le Hamas pour justifier ce qui était déjà prévu, c'est-à-dire la destruction de Gaza de la façon la plus inhumaine. Des mensonges? Le gouvernement israélien a reconnu que l’égorgement de 40 bébés par le Hamas était une fausse information. Le bébé mis au four par le Hamas, histoire qui s’est répandue planétairement, a été démentie par le «Jerusalem Post» du 8 novembre. La vidéo de la femme enceinte éventrée par le Hamas date du 17 janvier 2018, et montre un acte criminel commis par une organisation terroriste mexicaine. La RTS s’est rendue là-bas et a été empêchée d’aller plus loin dans les kibboutz, parce que les armements qui ont été utilisés pour raser les kibboutz et les voitures ne pouvaient pas être le fait des Palestiniens.
Selon le porte-parole de la CICAD, vos sources sont douteuses. Quelles sont-elles?
Elles sont nombreuses et désormais incontournables. Je recommande vivement la lecture de l’ouvrage de Jacques Baud, «Opération déluge d’Al-Aqsa». Jacques Baud est Colonel chef d’état-major, ex-agent des services secrets suisses. Son livre fourmille de documents et de preuves qui remettent en cause la diabolisation de la résistance palestinienne.
Il analyse notamment les événements du 7 octobre?
Oui. Dans son livre, on découvre par exemple le témoignage d’une jeune commandante de char pour les Forces de défense israélienne. Elle avoue avoir ouvert le feu sur les maisons d’un kibboutz, sans savoir s'il y avait des civils israéliens avec les combattants du Hamas.
Avez-vous d’autres sources pour étayer votre position?
Les journalistes américains Max Blumenthal et Aaron Maté, des Juifs, du média alternatif américain The Grayzone, ont enquêté sur les allégations de viols commis par le Hamas et ont mis en évidence une fabrication.
Vous citez régulièrement l’historien israélien Ilan Pappé, «référence fumeuse» selon Johanne Gurfinkiel, qui participerait à alimenter une forme de théorie du complot que vous véhiculez. Que répondez-vous à cela?
Entre le propagandiste Gurfinkiel et Ilan Pappé, professeur d'université et historien de renommée internationale, ma préférence va à l’intellectuel, dont je recommande les ouvrages, notamment son livre «Le nettoyage ethnique de la Palestine». Il considère que l’action du Hamas est assimilable à un acte de résistance: Il s’agissait de constituer le plus grand nombre de prisonniers vivants pour un échange contre les Palestiniens incarcérés. Pour lui, le Hamas a agi pour briser une prison à ciel ouvert, et contre la colonisation qui se poursuit. Tout cela n’a pas commencé le 7 octobre.
Le secrétaire de la CICAD vous estime d’une «certaine dangerosité», visant à «manipuler des militants». Quel rapport entretenez-vous avec vos fidèles?
C’est ridicule. J'ai toujours répété à notre communauté qu’il fallait défendre les Juifs contre l’antisémitisme, ce que nous impose la justice. Nous avons jeûné le 16 juillet 2024, qui correspondait au 10 du mois de «Âshûrâ», pour célébrer la libération du peuple de Moïse du joug de Pharaon. On l’a fait malgré les massacres à Gaza. J’ai fait récemment un sermon sur le thème «L’Islam et l’antisémitisme», disponible sur le site du Centre islamique de Genève. Si cela s’avérait nécessaire en raison de l’antisémitisme persistant, j’appellerai les musulmans à former une chaîne humaine si une synagogue devait être attaquée en Suisse, et à dire: «Ne touchez pas à nos synagogues!»
«Nos» synagogues?
Oui, on a le privilège, en Suisse, de vivre dans une république. Dans une république, on protège les synagogues, les églises et les mosquées. Aucune agression ne doit être admise contre un rabbin, un dignitaire ecclésiastique, un imam, ou un membre de leurs communautés respectives. Même chose pour les libres penseurs. Et les gens qui vivent leur foi sont libres de le faire et peuvent s’engager dans la perspective du dialogue. Mais il doit être franc, fondé sur les droits humains; sur les Conventions de Genève, par exemple.