Une halle immense, remplie de tapis roulants sur lesquels défilent des paquets de toutes tailles. Tanja Brunner, cheffe de la douane de Zurich, en prend un dans sa main et le presse un peu. «Ha, il n’y a sûrement pas de médicament dedans», assène-t-elle avant de le remettre sur le tapis roulant. Mais ce n’est pas ce que cherche la douanière: la Zurichoise, son équipe et le personnel de la poste sont en quête d’emballages contenant des médicaments.
Cette semaine, c’est la 15e fois que la Suisse participe à la semaine d’action d’Interpol nommée Pangea. Son but? Mettre fin au commerce illégal sur internet. Et il y a de quoi faire: rien qu’en 2022, trois millions d’unités de médicaments illégaux et contrefaits ont été saisies.
Comment reconnaître les médicaments contrefaits
Six étages au-dessus de la tête de Tanja Brunner, les collaborateurs de l’autorité de contrôle des médicaments de Swissmedic se chargent d’ouvrir les quelque 948 paquets que les douaniers ont repêchés en bas. Un membre du personnel douanier doit en permanence être présent à cause du secret postal.
Il fait chaud et l’atmosphère est étouffante. Mais comme il n’y a pas de place en bas, le déballage se fait dans le couloir. Ruth Mosimann, la cheffe de la division des médicaments illégaux chez Swissmedic, trône au milieu des emballages éventrés. Elle examine un flacon de pilules en fronçant les sourcils. «Tiens, cette étiquette n’est pas tout à fait droite...» Elle a raison: deux autocollants ne sont pas exactement à la même hauteur. Ils ont probablement été collés à la main, avance-t-elle, ce qui suggère des médicaments contrefaits ou illégaux. Son hypothèse devra être vérifiée à Berne: la fiole partira au laboratoire pour subir des analyses.
En moyenne, un médicament importé sur deux est contrefait ou illégal, nous explique Ruth Mosimann. Pour le destinataire, cela signifie une destruction payante de la marchandise. Et, pour l’expéditeur, une procédure pénale… s’il est attrapé. Mais commander des médicaments à l’étranger n'est pas forcément illicite, poursuit la spécialiste: on peut le faire jusqu’à une certaine quantité. Si celle-ci est dépassée, les pilules sont réemballées, et – avec une note de Swissmedic mettant en garde contre l’achat de médicaments sur Internet – remises à la poste.
De vieilles boîtes en circulation
Dans l’écrasante majorité des cas, les médicaments saisis sont des substances contre l’impuissance, les fameuses «pilules bleues». Et cette année, un nombre remarquablement élevé d’entre eux provient de Hong Kong. «Certains produits reviennent régulièrement», poursuit Ruth Mosimann. Elle montre des emballages de stimulants dont le logo ressemble à s’y méprendre à l’original. Mais on retrouve également des produits avec des noms de marque inventés, comme Libidoforte ou Pussykilla. «Tous peuvent être très dangereux», avertit-elle: souvent, ils ne contiennent pas les substances actives qui sont inscrites sur le paquet, ou le dosage est mal indiqué. Certains peuvent provoquer vertiges ou problèmes cardio-vasculaires.
Des «pilules bleues» dont l’étiquette fait la promotion peuvent même être fatales à des hommes souffrant de problèmes cardiaques. «Les fabricants sont sans scrupules, alerte Ruth Mosimann. Ils mélangent souvent n’importe quoi, à n’importe quelle dose. Vouloir risquer sa propre santé plutôt que de payer un peu plus cher chez le médecin paraît insensé», regrette-t-elle. Mais cette pratique découle plus de la honte que du porte-monnaie, avance-t-elle encore.
Après les médicaments contre l’impuissance, ce sont les produits amaigrissants qui sont le plus souvent importés. L’experte nous en tend un. L’emballage indique «100% Herbal». Or, ce produit est introuvable en Europe depuis belle lurette. «Il contient une substance chimique non déclarée dont on sait qu’elle peut provoquer de graves psychoses ou des palpitations cardiaques», détaille-t-elle.
Les commerçants réagissent rapidement
Ce tri à large échelle qui se déroule à Zurich a lieu parallèlement dans 93 autres pays. Statistiquement, les médicaments bon marché sont en grande partie produits en Asie. Mais les pays varient, généralement à la suite de l’action Pangea. Lorsque les autorités internationales découvrent le pot aux roses, les distributeurs modifient leurs canaux de distribution à la vitesse de l’éclair. Cette année, un grand nombre de médicaments expédiés de Hong Kong, de Chine et de Pologne ont été interceptés. Mais l’année prochaine, qui sait où se trouveront les nouveaux entrepôts. Et l'action de Pangea reprendra.