Cela fait maintenant deux bonnes semaines que la lettre de la Società Elettrica Sopracenerina (SES) est arrivée au domicile de Fabio Regazzine. Mais l’entrepreneur tessinois, également président de l'USAM, n’a toujours pas digéré le message. «Quand j’ai ouvert l’enveloppe et lu le devis, j’ai tout de suite pensé qu’il y avait erreur», raconte le chef d’entreprise. «Mon fournisseur d’électricité me réclame près d’un million de francs pour l’année prochaine. Cette année, les frais d’électricité se sont élevés à 60’000 francs. Même si on me mettait le pistolet sur la tempe, je ne voudrais, et surtout pourrais, pas m’acquitter de cette somme».
Un appel au fournisseur d’électricité SES confirme l’inconcevable augmentation des prix. Eh oui, le coût a augmenté de 1600%! «Ce serait comme si le litre d’essence coûtait soudain 25 francs à la station-service», s’insurge Fabio Regazzine.
Le piège du marché libre
L’homme de 60 ans emploie 140 personnes dans sa société et réalise un chiffre d’affaires annuel d’environ 25 millions de francs. L’électricité est utilisée pour la production, l’éclairage, le chauffage, l’atelier de peinture et les bureaux. «Si je ne trouve pas de solution, je devrai supprimer des postes. Nous avons déjà augmenté les prix en raison de la hausse des coûts des matériaux. On ne peut pas faire plus», se plaint le patron qui s’avère également être politicien. «Mais où vais-je bien pouvoir trouver de l'électricité pour moins cher? La plupart des fournisseurs ne font même plus d’offres par les temps qui courent».
Fabio Regazzi est tombé dans le piège du marché libre. En 2009, le marché de l’électricité a été libéralisé pour les entreprises consommant plus de 100’000 kilowatts par an. «Notre société est cliente de la SES depuis qu’elle existe, c’est-à-dire depuis un peu plus de 75 ans. L’offre avec le soi-disant marché libre était attractive, nous avons donc sauté sur l’occasion. Mais je n’ai jamais changé de fournisseur ni cherché à obtenir des prix plus bas à l’international. Je n’avais aucune idée que quelque chose de ce genre pouvait nous menacer».
Faillites et suppressions de postes
L’entrepreneur ajoute qu’il concluait toujours des contrats de plusieurs années. «Lorsque le contrat est arrivé à échéance, j’ai demandé une offre», explique le Tessinois. Il avait d’ailleurs déjà fait une demande en mars, «le prix était alors déjà cinq fois plus élevé que l’année précédente. J’ai donc décidé d’attendre en pensant que ça allait baisser». Mais c’est tout le contraire qui s’est produit: les prix ont atteint des niveaux astronomiques.
En tant que président de l’Union suisse des arts et métiers (USAM), Fabio Regazzi est également profondément inquiet. «Cette hausse touche de nombreuses petites et moyennes entreprises comme les restaurants et les boulangeries. Elles ne pourront pas payer leur facture et risquent alors de faire faillite ou de supprimer des emplois», avertit-il avant d’ajouter que la sphère politique devrait agir rapidement.
Un hôtelier sous le choc
Au Tessin, ce sont 40 PME qui ont reçu un devis similaire de la part de la SES. Le prix sur le marché libre a été multiplié par 15 voire 20 au cours de ces derniers mois, confirme la SES. Un peu plus de 90% des clients ont conclu de nouveaux contrats dans les temps. Quant aux 10% restants, ils devront se serrer la ceinture.
Une fois que l’on a quitté l’approvisionnement de base réglementé par les tarifs, on ne peut plus revenir en arrière. C’est ce qu’a décidé la Commission fédérale de l’électricité (ELCOM). Sont en revanche protégées toutes les entreprises qui n’ont jamais acheté d’électricité sur le marché libre et tous les ménages privés auxquels la libéralisation ne s’est jamais appliquée. Dans ces cas, l’électricité sera facturée selon le tarif et le prix n’aura augmenté «que» de 18%.
Fernando Brunner, 73 ans, regrette d’avoir fait le pas vers le marché libre. Ce Tessinois possède quatre hôtels et un restaurant à Locarno (TI) et à Lugano (TI). Jusqu’à présent, l’électricité lui coûtait environ 200’000 francs par an. «Maintenant, on demande plus de 900’000 francs», explique l’hôtelier. «Une hausse des prix de 30% aurait été supportable. Mais à ce rythme-là, nous serons contraints d’augmenter le prix des chambres de 50 francs par nuit et les clients ne seront pas d’accord».
Tout comme Fabio Regazzi, l’hôtelier se dit choqué et profondément désemparé par la situation. Tous deux savent cependant une chose: ils ne signeront pas le nouveau contrat.
(Adaptation: Valentina San Martin)