Fabien Ohl, sociologue du sport, à l'analyse
«Les fans de Mike Horn ont plus de mal à le remettre en cause»

Après les révélations de «Temps Présent» sur le passé guerrier de Mike Horn en Afrique du Sud durant l'apartheid, la majorité des internautes vole à son secours. Blick a voulu comprendre pourquoi, avec le sociologue du sport Fabien Ohl, de l'Université de Lausanne.
Publié: 08.02.2023 à 16:31 heures
«Les révélations de 'Temps Présent' ont été un choc pour les personnes sensibles aux questions liées aux droits humains et qui avaient une bonne image de Mike Horn auparavant», note Fabien Ohl (à droite).
Photo: KEYSTONE/CYRIL ZINGARO/DR
Anna Klein

Après le choc, le soutien. Malgré les révélations de «Temps Présent» sur le passé guerrier et trouble de Mike Horn, au sein du sanglant bataillon 101 en Afrique du Sud durant l'apartheid, l'image du Vaudois d'adoption ne semble pas avoir beaucoup souffert. Même si l'affaire a fait irruption au Grand Conseil vaudois.

Dans son fief de Château-d'Œx, tout comme sur les réseaux sociaux, la majorité des gens semble même le soutenir. Comment expliquer que les actes de l'aventurier ne suscitent pas de plus grande remise en question? L'apartheid, ses crimes, ses assassinats politiques et son régime raciste sont-ils trop loin dans le temps, trop loin de l'Occident? Plus généralement, pourquoi le héros qui fut autrefois barbouze provoque-t-il un tel engouement?

Pour Blick, Fabien Ohl, professeur en sociologie du sport à l'Université de Lausanne, tente de décrypter ces questions complexes, que nous lui avons adressées par e-mail. Pour lui, les personnes qui s'identifient à des figures héroïques ont beaucoup de mal à les remettre en cause parce qu'en le faisant, elles auraient l'impression de toucher à leur propre identité.

Fabien Ohl, malgré les révélations de «Temps présent», l’énorme majorité des internautes vole au secours de Mike Horn. Ça vous surprend?
Je suis à la fois surpris, parce que le passé de Mike Horn semble pour le moins ambivalent, mais pas étonné que les individus qui aiment le personnage ne souhaitent pas être confrontées aux aspects les plus sombres de son passé.

Existe-t-il une fracture irréparable entre l’image de Mike Horn que nous connaissions — un aventurier hors pair, a priori sympathique — et les révélations sur le cruel bataillon 101?
Cela dépend pour qui. C’est un choc pour les personnes sensibles aux questions liées aux droits humains et qui avaient une bonne image de Mike Horn auparavant. D’autres personnes relativisent le passé plus lointain. Et se disent que Mike Horn, comme d’autres, était happé dans les logiques des institutions et de la guerre.

Au fond, pourquoi les gens se scandalisent-ils lorsqu'ils voient le passé trouble d'une personnalité ainsi exposé? Se sentent-ils, d'une certaine manière, personnellement attaqués?
Oui, les héros, les stars ou les champions ne sont pas seulement admirés pour leurs exploits, mais aussi en raison de ce qu’ils représentent pour nous. Nous les apprécions, nous nous en sentons proches parce qu’ils font écho à notre identité.

Pour quelles raisons?
Que ce soit par la célébration d’une identité locale, nationale, une forme de masculinité ou de féminité, les figures héroïques permettent de multiples identifications, mais aussi des rejets. Les personnes qui ont une forte identification à des figures héroïques ont donc plus de mal à les remettre en cause. C’est un peu comme s’ils remettaient en cause leurs valeurs et leur identité.

L’engouement des fans de Mike Horn est-il lié au sport, au profil de fan, parfois presque sectaire? Ou bien est-ce un motif plus général, comme le refus de se remettre en question sur son propre passé?
Les deux. L’engouement est lié à ce que représente l’exploit pour nous. Et le fait de s'identifier à une personne peut inciter à une tolérance excessive.

L’autorité charismatique de la personne joue-t-elle un rôle?
Il faut comprendre les conditions dans lesquelles une personne est jugée charismatique. D’une part, le charisme est un phénomène multiforme et une production collective. Il dépend de la personne, de la confiance qu’elle inspire, du message qu’elle porte, mais aussi des institutions et des évènements qui la consacrent. Par exemple, une victoire en Coupe du monde tend à faire des joueurs des personnages charismatiques. D’autre part, le charisme dépend des personnes qui le reconnaissent, qui s’identifient, se projettent dans un personnage.

Mike Horn est aussi un dieu vivant du développement personnel, 2 millions de personnes le suivent sur les réseaux sociaux. Pourrait-on le comparer à une sorte de gourou?
C’est difficile à dire sans analyser le contenu de ce qui est proposé. Mike Horn est une sorte de marque qui est exploitée pour vendre des séminaires de développement personnel, comme d’autres personnes qui exploitent leur notoriété. On ne peut rien dire sur d’éventuels aspects sectaires, ni préjuger d’un manque de sérieux de ce qui est proposé.

Les internautes sont-ils moins sensibles à ce passé guerrier parce que l’apartheid s’est déroulé loin de l’Occident?
Pour qu’ils aient des effets, il faudrait que les regards critiques sur Mike Horn trouvent une résonance assez large. Or, il est fort possible que de nombreux fans ignorent ou souhaitent ignorer la question de l’apartheid. D’autres jugent que c’est un passé lointain ou ne souhaitent pas s’y intéresser.

L'apartheid était un régime raciste. Est-ce que les Occidentaux sont moins touchés quand ce sont des personnes noires qui meurent?
Il peut certes y avoir un effet d’éloignement. Souvent, les conflits plus proches de nous, nous touchent davantage. Mais ce serait caricatural d’opposer les Occidentaux et les personnes noires, et d’en faire des catégories homogènes. Si des Occidentaux ont pu être indifférents, ou même soutenir l’apartheid (ndlr: le rôle de la Suisse et certaines de ses entreprises durant cette période est par exemple controversé), de nombreux autres se sont mobilisés contre ce régime et pour soutenir les personnes discriminées.

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