Monseigneur Joseph Bonnemain, comment se porte votre sommeil en ce moment?
Je suis très agité. Je ne me sens pas bien. D'un côté, je désire me tenir aux côtés des victimes, mais en même temps, je me sens lié à mes confrères évêques. J'aurais préféré refuser la mission de Rome, mais pour le bien des victimes et de la justice, j'ai fini par accepter. Maintenant, je dois m'y atteler et vérifier les accusations.
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Les accusations les plus délicates concernent un membre actif de la Conférence des évêques suisses et trois prêtres. Ils sont accusés de harcèlement sexuel envers des jeunes. Avez-vous saisi le Ministère public?
Je suis chargé des enquêtes ecclésiastiques. Conformément à nos directives, tout soupçon de délit sexuel impliquant des mineurs doit être signalé aux Ministères publics cantonaux. Cela a également été fait dans ces cas-là.
Les membres du clergé incriminés sont-ils toujours en fonction?
D'après les informations dont je dispose, personne n'a été suspendu. J'effectue actuellement une enquête préliminaire au nom du Saint-Siège, mais je n'ai pas le pouvoir de suspendre quiconque.
Nous sommes en 2023. Est-il trop demandé de suspendre une personne de sa fonction jusqu'à ce que les accusations soient clarifiées?
Je ne peux pas parler ni décider au nom des autres. Personnellement, si des accusations étaient portées contre moi, je quitterais volontiers mes fonctions.
Pouvez-vous nous préciser quelle est exactement la mission qui vous a été confiée par Rome?
On m'a confié la mission d'enquêter sur les accusations en circulation. Il s'agit d'examiner si les responsables ont réagi de manière appropriée à différents moments ou s'ils ont omis de remplir leurs obligations de signalement. Mon enquête ne vise pas une personne en particulier, mais consiste à vérifier les faits et à enregistrer les résultats dans un rapport.
Êtes-vous impartial alors que vous enquêtez sur le comportement de vos collègues?
Je suis impartial. Je m'efforce de découvrir la vérité de manière précise et exhaustive.
Pouvez-vous tout de même regarder vos collègues dans les yeux?
Oui, je regarde mes collègues évêques droit dans les yeux. Ils savent que c'est moi qui mène l'enquête.
Depuis des décennies, vous êtes en charge des dossiers d'abus. Avez-vous également commis des erreurs?
J'ai certainement commis des erreurs, comme tout être humain. Je suis en constante évolution et j'ai beaucoup appris en échangeant avec les victimes.
Certaines accusations de dissimulation sont connues depuis au moins 2020. Pourquoi Rome réagit-elle seulement maintenant, après que d'anciens vicaires généraux ont tout révélé?
Cela aussi, je devrai le vérifier au cours de l'enquête préliminaire. Lorsque le nonce – personne chargée de représenter le pape auprès d'un gouvernement étranger – a reçu la lettre, il a immédiatement informé les autorités compétentes à Rome des accusations. Rome a lancé cette enquête préliminaire dans un délai très court.
Dans quelle mesure vos découvertes seront-elles cruciales pour l'Église catholique?
Elles ne sont pas cruciales, mais bénéfiques. Nous devons tout mettre en lumière et mettre fin à la dissimulation. C'est une contribution essentielle pour que notre Église devienne plus transparente.
Mardi, des chercheuses de l'Université de Zurich présenteront leurs premiers résultats sur les abus dans l'Eglise catholique. Allez-vous élargir vos enquêtes en conséquence?
Le droit canonique est clair: si d'autres fautes sont mises au jour, elles feront également l'objet d'une enquête de droit canonique.
Le magazine «Beobachter» a prouvé que l'évêque de Bâle, Felix Gmür, avait manqué à ses devoirs.
L'évêque Felix Gmür a effectivement commis des erreurs et il en assume la responsabilité. Il est prêt à en tirer les leçons, ce qui, selon moi, plaide en sa faveur plutôt que contre lui.
Que signifie pour vous assumer une responsabilité?
Les victimes méritent justice, et je m'engage pleinement en ce sens. J'espère que l'enquête préliminaire sera achevée d'ici la fin de l'année. Ensuite, je devrai communiquer mes conclusions à Rome, qui décidera des mesures à prendre.
De nombreux cas d'abus sont prescrits, ce qui signifie que les auteurs sont légalement innocents. L'Église peut-elle malgré tout simplement continuer à les employer?
C'est une question très sérieuse. Ceux qui ont causé des préjudices graves à autrui n'ont plus leur place au sein de l'Église, même s'ils n'ont pas été condamnés. La protection des mineurs et des adultes en quête d'aide doit prévaloir sur toute autre considération. Nous devons être bien plus rigoureux à cet égard.
Vous œuvrez depuis plus de 20 ans dans le domaine de la prévention. Pourtant, l'Église catholique en Suisse n'a toujours pas de normes uniformes. Avez-vous échoué?
Je ne parlerais pas d'échec, mais nous avons encore beaucoup de travail à faire. C'est pourquoi l'étude de l'Université de Zurich revêt une grande importance. Nous devons élaborer d'autres mesures ciblées.
Quel message souhaitez-vous transmettre aux victimes de violences sexuelles?
Je préférerais me taire. Pendant trop longtemps, l'Église s'est contentée de belles paroles comme: «Nous sommes profondément touchés, c'est épouvantable, nous sommes bouleversés.» De telles paroles peuvent même blesser davantage les victimes, surtout si elles ne sont pas suivies d'actions concrètes. Nous devrions plutôt faire preuve de silence et d'humilité, accepter notre responsabilité, vivre avec cette culpabilité et rester aux côtés des victimes. Il est essentiel que nous agissions de manière cohérente pour renforcer la prévention.