Vincenzo, 18 ans, boit un verre dans un café zurichois, un clou en cristal dans l’oreille droite, les cheveux noirs, les jambes largement écartées.
Ses faux ongles, sa perruque… Tout a disparu. Vincenzo ne veut plus aborder une allure associée au «féminin».
La jeune personne fait partie d’une communauté qui peine à rentrer dans les catégories de genre traditionnelles, c’est-à-dire féminin ou masculin. Une manière d’être qui se fait peu à peu sa place en société. Mais pas sans difficulté: les personnes non-binaires, «gender-fluid» (personnes qui voit son genre varier au cours du temps, ndlr.), ou encore transgenres, doivent se battre au quotidien… Pour pouvoir vivre en paix.
Du masculin, au féminin, au masculin
La transition de Vincenzo a commencé pendant le confinement. Petit à petit, Iel (pronom neutre englobant le masculin et le féminin, ndlr.) a mis des robes, s’est fait les ongles, portait du mascara. La jeune personne est ensuite devenue une star de Tiktok. Le résultat ne s’est pas laissé attendre: Vincenzo et certains de ses amis ont subi une vague de discrimination, allant jusqu’à l’agression physique.
Aujourd’hui, Iel a supprimé ses comptes sur les réseaux sociaux et ne se reconnaît plus dans une expression de genre désignée traditionnellement comme féminine. Vincenzo raconte: «Avec le temps, je me suis rendu compte que je ne le faisais pas entièrement pour moi. C’était une phase.» Mais il ne faudrait pas en faire une généralité, avertit la jeune personne: «pour beaucoup d’autres, ce n’est pas une phase.»
Non, ce n’est pas une mode
Certaines personnes estiment que les individus s’identifiant comme non-binaires, gender fluid ou transgenres ne font que suivre des tendances, allant jusqu’à affirmer que de nombreux jeunes se font influencer par les réseaux sociaux. «Cette thèse est fausse est contre-productive» avertit David Garcia Nuñez, psychiatre et directeur du Focus d’innovation sur la variance des genres (Innovations-Focus Geschlechtervarianz) à l’Hôpital universitaire de Bâle.
Annette Kuhn, qui dirige la consultation genre de l’hôpital de l’Île à Berne depuis 15 ans, confirme: «Dans la grande majorité des cas, on ne peut pas parler d’un phénomène de mode.» Surtout si l’on pense à toutes les personnes qui souffrent d’une dysphorie de genre, détresse face à un sentiment d'inadéquation entre le genre assigné à la naissance et l'identité de genre, et qui luttent psychiquement tous les jours contre ce mal-être vis-à-vis de leur propre corps.
Elle ajoute: «Autrefois, il n’y avait probablement pas moins de personnes transgenres ou non-binaires. Aujourd’hui, les jeunes et les moins jeunes expriment davantage leurs sentiments, c'est pour ça que les individus qui sortent de la norme binaire du genre paraissent plus nombreux.» Et se heurtent plus facilement aux injonctions de la société ainsi qu’à l’idéal de leurs parents.
Quelque 150’000 personnes non-binaires en Suisse
Il n’existe pas de statistiques officielles sur l’identité de genre trans et non-binaire. Les chercheurs estiment toutefois que de 0,5 à 3% de la population sont des personnes transgenres. La Commission nationale d’éthique (CNE) estime qu’il y a jusqu’à 154’000 personnes non-binaires en Suisse.
Aujourd’hui, Vincenzo ne souhaite qu’une seule chose: que l’on arrête de «jouer un rôle». Rester nous-mêmes, au-delà des étiquettes? C’est peut-être l’ébauche d’une nouvelle normalité, que nous enseignerons aux nouvelles générations.
(Adaptation par Nora Foti)