Ce fut un accouchement mouvementé. Encore plus de dix jours après, l’hôpital cantonal thurgovien de Frauenfeld continue à devoir faire face aux conséquences. Les insultes pleuvent au téléphone et par email sur le personnel, les réseaux sociaux s’enflamment, une manifestation d’opposants aux mesures Covid est annoncée.
Devant l’entrée principale, une employée de l’hôpital agacée tire une bouffée sur sa cigarette: «J’en peux plus de ces rustres qui traînent notre hôpital dans la boue!»
Mais que s’est-il donc passé?
Le personnel aurait refusé de soigner la femme et l’aurait forcée à se vacciner
Le 4 septembre, une femme accouche à l’hôpital de Frauenfeld. C’est la seule partie de l’histoire qui est incontestée. Quelques jours plus tard, Vilson, le père du nouveau-né, et Reto K., le frère de la mère et parrain du nouveau-né, sont invités dans une vidéo de la chaîne Youtube du coronasceptique Daniel Stricker, pour raconter ce qui s’est passé selon eux.
Ils portent des accusations véhémentes contre l’hôpital: la femme non vaccinée se serait vue refuser un traitement pendant quelque temps car elle refusait de passer un test PCR. Pour la faire céder, on lui aurait même refusé une piqûre analgésique pendant une demi-heure.
«Ensuite, elle a dû porter un masque pendant l’accouchement, alors qu’elle avait un certificat», proteste Reto K. L’enfant aurait dû être accouché par césarienne d’urgence, «probablement à cause du stress», soupçonne le père Vilson.
L’hôpital qualifie les accusations de «fictives».
Une version des faits contestée par le directeur de l’hôpital Marc Kohler: «les accusations sont inventées et déforment les événements. Et elles deviennent de plus en plus grotesques». La femme aurait été traitée exactement de la même manière que tous les autres patients. Elle n’a pas eu à porter de masque pendant l’accouchement, ce qui est la norme.
«Cependant, le déroulement a été considérablement perturbé par les proches impliqués, les règlements ont été complètement ignorés et le travail médical a été entravé, de sorte que notre personnel a dû appeler la police pour retenir l'entourage», explique Marc Kohler.
La police a dû faire sortir les parents de la salle d’accouchement.
La police cantonale thurgovienne nous a confirmé l’incident. Selon le porte-parole des médias Matthias Graf, la police a reçu un appel selon lequel une personne se livrait à un véritable soulèvement dans la zone d’entrée de l’hôpital. Reto K. et sa mère s’y étaient en effet précipités pour être au chevet de la femme qui accouchait. «Une vive discussion s’est ensuivie et le compagnon de la femme est devenu violent envers le personnel», a déclaré Matthias Graf.
Le duo semble ensuite avoir pénétré dans l’hôpital sans autorisation et s’est rendu directement dans la salle d’accouchement auprès de la femme avant que les services d’urgence ne puissent calmer la situation. Comme aucune plainte pénale n’a encore été déposée, il n’y a pas d’enquête officielle.
Pour le parrain Reto K., les vaccins sont des «meurtres de masse»
Ce qui s’est passé devient donc une question de parole contre parole. Les coronasceptiques font confiance au nouveau père Vilson et au parrain Reto K. Ce dernier déclare dans une vidéo Telegram avoir récemment participé aux protestations contre le bus de vaccination à Diessenhofen, dans le canton de Thurgovie, au cours desquelles un employé a été physiquement agressé.
Dans le clip que nous avons pu consulter, Reto K. décrit les vaccins comme des «meurtres de masse», le médecin du bus de vaccination comme un «médecin meurtrier» et il l’attaque même nommément. Ses accusations portées à l’hôpital de Frauenfeld sont sensiblement décrédibilisée au vu de ces déclarations fantaisistes.
L’hôpital reste dans la ligne de mire
Mais le coronasceptique à la large audience Daniel Stricker croit dur comme fer à la version de la famille, et il montre dans sa vidéo des captures d’un courriel qu’un employé supérieur de l’hôpital aurait écrit après la vague d’indignation. Ce courriel révèle des détails médicaux confidentiels, comme le fait que le cœur de l’enfant aurait cessé de battre quelques instants. Daniel Stricker dénonce ce courriel qui aurait violé le devoir de confidentialité du médecin.
Sauf que cet email a «manifestement été assemblé à partir de divers documents», déplore le directeur de l’hôpital Marc Kohler. Le passage en question sur les battements de cœur ne peut être attribué à aucun employé, et il est écrit dans une taille de police différente du reste du texte. L’expéditeur présumé n’a pas non plus utilisé la signature officielle de l’établissement.
Daniel Stricker se défend contre les fausses accusations
Daniel Stricker lui-même s’en tient à son récit. «C’est un document original non modifié. Je rejette fermement l’accusation de falsification. Je trouve diffamatoire de m’accuser d’une telle chose et d’ailleurs cela constitue une infraction potentiellement punissable.»
L’hôpital se réserve le droit d’engager une action en justice contre les personnes impliquées pour diffamation.