En échange: le retour du calme
Le directeur limogé de la Croix-Rouge suisse exige un parachute doré d'un million

La plus grande œuvre d'entraide humanitaire de Suisse est dans la tourmente depuis des mois. Le directeur limogé de la Croix-Rouge suisse fait pression pour obtenir une généreuse indemnité de départ. En échange, il promet le retour du calme.
Publié: 18.04.2023 à 06:35 heures
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Dernière mise à jour: 18.04.2023 à 06:42 heures
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Depuis la fin de l'année dernière, la Croix-Rouge suisse et Markus Mader, son directeur déchu, se déchirent.
Photo: Keystone
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Peter Hossli

Le 24 mars 2023 à 13h47 précisément, Markus Mader, le directeur limogé de la Croix-Rouge suisse, a envoyé un mail étonnant à la présidente d’institution, Barbara Schmid-Federer. Son contenu: une proposition sur la compensation qu’il pourrait toucher après sa destitution.

Quatorze minutes plus tard seulement, l’ancienne conseillère nationale a transmis le mail à l’avocat de la Croix-Rouge suisse. Celui-ci a immédiatement sorti sa calculatrice. Le résultat ne devrait pas déplaire Markus Mader: selon la proposition, il toucherait un parachute doré d’une valeur d’un million de francs, payé par les dons et l’argent des contribuables.

Des relations (très) tendues

Et ce n'est pas tout: un autre élément du mail a également pu attirer l’attention de l’avocat. Markus Mader a expliqué que si la Croix-Rouge suisse acceptait sa proposition, cela contribuerait à un «retour immédiat au calme». Une forme de pression? C’est ce qui ressort de dizaines de courriels, de contrats de travail et de procès-verbaux que Blick a pu consulter.

Constat: depuis des mois, la plus grande organisation d’aide humanitaire du pays, qui compte un demi-million de membres, est dans la tourmente. Que s’est-il passé? Une partie du Conseil de la Croix-Rouge – l’organe de surveillance – avait exprimé l’année dernière sa défiance envers Markus Mader, au poste de directeur depuis 2008. Le 15 décembre 2022, au matin, le Conseil a finalement pris sa décision: la révocation immédiate de ce dernier, à six voix contre quatre, comme le prouve le procès-verbal long de plusieurs pages.

Selon le document, les quatre personnes en minorité ont quitté la salle immédiatement après le vote et ont informé plus de 50 personnes par e-mail de l’issue de réunion, dont Markus Mader. Ils ont ensuite démissionné en bloc de l’institution. Le directeur de la Croix-Rouge suisse s’est mis en congé maladie le matin même.

Quelque 565 millions de francs de chiffre d’affaires

Depuis, la présidente et l’ex-directeur se disputent sur les modalités de leur séparation. Des informations internes sont parvenues à différents médias, mais les raisons du départ de Markus Mader restent confuses.

La réputation de la prestigieuse organisation en a souffert. Fondée en 1866 à Berne, la Croix-Rouge suisse est aujourd’hui responsable du service de transfusion sanguine en Suisse, de la recherche et du sauvetage sur terre et en mer, de l’aide en cas de catastrophe et du soutien aux personnes en détresse en Suisse et à l’étranger.

Selon son siège, la société a réalisé en 2021 un chiffre d’affaires d’environ 565 millions de francs. Sur ce montant, 98 millions de francs proviennent de dons privés, d’héritages et de legs. Les pouvoirs publics ont contribué à hauteur de 157 millions de francs. A cela s’ajoutent des prestations propres à hauteur de 277 millions de francs ainsi que des contributions de 31 millions de francs. L’organisation emploie environ 5300 salariés et 50’000 bénévoles.

250’000 francs suisses… par mois

La situation est tendue. Et Markus Mader continue de se présenter comme directeur, alors que le Conseil l’a valablement révoqué de ce poste, ce qui a le don d'énerver la Croix-Rouge suisse. Oui, mais… L’homme étant en congé maladie, la résiliation n’a pas encore pu être prononcée. Son avocat rétorque que son client a certes été mis à pied, mais pas licencié. Il est donc «toujours directeur de la Croix-Rouge suisse». Le limogeage de Markus Mader est «inévitable», écrivait déjà un membre du Conseil de la Croix-Rouge en novembre dernier.

Autre point de dissension: l’indemnité de départ. Actuellement, Markus Mader gagne environ un quart de million de francs par an, plus une indemnité forfaitaire de 12’000 francs. Il réclame l’intégralité de son salaire jusqu’à fin septembre 2023, tout en restant en congé maladie.

Pendant deux ans, il souhaite, en outre, continuer à assumer une fonction de conseiller à la Croix-Rouge suisse à 80%, rémunérée aux conditions actuelles. Pour les trois années restantes – jusqu’à l’âge de la retraite –, l’institution devrait lui verser la totalité des cotisations de l’employeur et de l’employé à la caisse de pension. Il demande par ailleurs 10’000 francs pour ses frais d’avocat.

Dans une précédente demande, il exigeait deux ans de salaire sans contrepartie ainsi que l’obtention de mandats. Mais cette offre était également liée à une condition, selon l’avocat de la Croix-Rouge suisse: l’élection de Manuel Bessler au poste de président. Comme ce dernier n’a pas été élu, la demande serait caduque.

Il n’y a «que des perdants»

Si l’on en croit Markus Mader, les donateurs et le grand public ne devraient rien savoir de ces discussions. Le directeur déchu propose la phrase suivante dans un communiqué: «La Croix-Rouge suisse et le directeur de la Croix-Rouge suisse Markus Mader se sont mis d’accord sur une solution à l’amiable avec le maintien de l’emploi de Markus Mader.» Pour lui, il s’agit uniquement d’informer sur sa future activité de conseiller. «Les autres points de cet accord ne sont pas divulgués.» Vraiment?

«De mon point de vue, cette solution à l’amiable contribuera à ce que le calme revienne immédiatement du côté des collaborateurs de la Croix-Rouge suisse et aussi dans une grande partie des organisations de la Croix-Rouge», prophétise-t-il encore. Depuis la mi-décembre, il n’y a «que des perdants à la Croix-Rouge suisse». Cela doit cesser «rapidement».

La Croix-Rouge suisse veut résilier le contrat de travail

Dans un mail adressé à la défense du directeur déchu, l’avocat de la Croix-Rouge suisse note qu’il est révélateur que Markus Mader lie sa «solution à l’amiable» avec l’arrivée du calme. «Cette déclaration ne peut pas être comprise autrement que votre client est derrière les troubles et les attise, mais qu’il serait prêt à faire revenir le calme si l’on répondait à ses exigences financières».

Au lieu du «paquet global» réclamé, la Croix-Rouge suisse propose simplement de résilier le contrat de travail de Markus Mader à la fin septembre 2023. D’ici là, il recevra le salaire convenu ainsi que les frais au prorata temporis. L’institution lui délivrera un «certificat de travail bienveillant» et lui versera une reconnaissance d’ancienneté de 2000 francs. Et les deux parties se concerteront sur la communication.

«Les chiffres cités sont faux»

Cette offre «ne favorise pas» le rétablissement de son client, soutient l’avocat de Markus Mader. Il parle d’une «solution minimale» qui aurait ébranlé son client «au vu du manque d’estime de la Croix-Rouge qui s’y exprime». Markus Mader a travaillé 25 ans pour la même société, et aura sans doute du mal à trouver un poste équivalent à son âge – 60 ans.

Interrogé par Blick, Markus Mader répond: «Il n’y a pas de parachute doré, les chiffres cités sont faux. Je continue à mettre ma force de travail et mon expérience à la disposition de la Croix-Rouge suisse et je suis indemnisé pour cela. De plus, la proposition mentionnée est dérivée d’une offre concrète de la Croix-Rouge suisse.»

Des emails montrent qu’en novembre 2022, un membre du Conseil de la Croix-Rouge avait discuté avec un spécialiste des ressources humaines des modalités de départ possibles pour Markus Mader. Mais la présidente de l’institution ne lui a jamais fait cette offre, avance ce dernier.

«En cas d’accord, ces sentiments s’apaiseront»

Markus Mader serait «très intéressé» par une solution à l’amiable, affirme-t-il. «De nombreuses personnes au sein de la Croix-Rouge suisse sont très agitées par ma destitution. En cas d’accord, ces sentiments s’apaiseront.»

Contactée, la présidente de la Croix-Rouge suisse, Barbara Schmid-Federer, n’a pas souhaité s’exprimer. Elle renvoie à l’avocat de l’organisation, Jürg Wernli. «Nous ne commentons pas une procédure en cours, mais nous sommes intéressés par une solution», déclare-t-il.

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