Elon Musk rend la Confédération nerveuse
«Le fait que Karin Keller-Sutter ait ouvert un compte X envoie un signal très problématique»

Alors que de plus en plus de personnes quittent X, la présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter a désormais un compte personnel sur la plateforme d'Elon Musk. Des voix s'élèvent pour demander à ce que la Suisse officielle quitte ce réseau social controversé.
Publié: 06:01 heures
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Dernière mise à jour: 07:36 heures
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Durant son année présidentielle, la présidente de la Confédération, Karin Keller-Sutter, souhaite échanger avec la population.
Photo: keystone-sda.ch
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Peter Aeschlimann et Fabian Eberhard

La présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter a souri à la question de Sandro Brotz. Le présentateur du programme de la SRF Arena voulait savoir si la politicienne ne craignait pas d'être prise pour cible par le propriétaire de X, Elon Musk. Peu après Noël, la ministre des Finances avait créé la surprise en ouvrant un compte sur le réseau social, afin de pouvoir – comme l'indiquait le communiqué de presse – échanger avec la population.

Une démarche qui prend le contre-pied de la situation actuelle. En effet, des journalistes, politiciens, scientifiques quittent tour à tour la plateforme, alors qu'ils utilisaient intensivement X (Twitter à l'époque) avant son rachat par le milliardaire américain de la tech. Vendredi, le média suisse Watson est parti de la plateforme, tandis que le «Guardian» l'avait déjà quittée depuis longtemps. Les raisons données sont semblables: X est devenu une plateforme, où il n'est plus possible d'avoir un dialogue constructif.

«C'est devenu un spectacle d'horreur». Le conseiller national des Vert-e-s, Gerhard Andrey, ne mâche pas ses mots. «Personnellement, cette plateforme me répugne», fustige l'entrepreneur en informatique, qui ne comprend pas pourquoi l'administration fédérale s'y trouve encore.

L'idée d'un compte présidentiel rejetée

A la base, Karin Keller-Sutter avait une toute autre idée en tête. Il y a près d'un an, son Département des finances (DFF) a soumis une proposition à la Conférence des services d'information (CSIC): les futurs présidents de la Confédération devraient communiquer via un compte X spécial, et non pas personnel, qui pourrait être utilisé pendant un an et serait ensuite transmis. C'est ce que font d'autres pays comme les Etats-Unis, où le président poste sous @Potus, ou l'Allemagne, où le chancelier utilise le compte @Bundeskanzler, qui est illustré par une photo de la personne en fonction.

La CSIC a alors chargé un groupe de travail d'élaborer une «base de discussion». Le groupe, composé de représentants de tous les départements, a finalement recommandé de rejeter l'idée de Karin Keller-Sutter. Il souhaitait que des alternatives soient examinées à la place, y compris celle pour laquelle la ministre des Finances voulait, à savoir un compte personnel utilisé durant son année présidentielle, qui serait fermé à la fin de son mandat en décembre 2025.

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Le fait que Karin Keller-Sutter ait ouvert un compte X justement maintenant, envoie un signal très problématique
Tarek Naguib, coordinateur de la plateforme des ONG suisses pour les droits humains
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Pourquoi une telle opposition? Selon un document, le groupe de travail craignait des doublons, étant donné que plusieurs conseillers fédéraux et de départements gèrent déjà des comptes personnels sur X. L'accumulation des profils pourraient ainsi «prêter à confusion». De plus, un compte propre à la présidence ne correspondrait que partiellement au principe de collégialité, et pourrait donner l'impression au public étranger que la Suisse dispose d'un seul chef d'Etat. La proposition a également échoué en raison de la résistance des collègues de Karin Keller-Sutter au Conseil fédéral. Au moins deux départements ont annoncé qu'ils n'utiliseraient pas le nouveau compte.

La Chancellerie fédérale tient à X

Le fait qu'Elon Musk bricole l'algorithme X pour mettre en avant les voix de l'extrême droite et utilise sa plateforme pour attaquer les démocraties occidentales rend la Suisse officielle mal à l'aise. Mais la Chancellerie fédérale veut quand même s'en tenir à X – du moins pour l'instant. 

Le porte-parole Urs Bruderer a déclaré à Blick que la situation était évaluée en permanence: «Les réseaux sociaux évoluent rapidement, les plateformes peuvent perdre de leur importance et de nouvelles peuvent apparaître.» Afin d'être moins dépendante des plateformes existantes, la Chancellerie fédérale est en train de concevoir une application d'information pour le Conseil fédéral. «L'avantage de ce canal serait qu'il pourrait être protégé des opérations visant à influencer l'opinion publique», explique Urs Bruderer. 

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J'attends du Conseil fédéral et de la Chancellerie fédérale qu'ils réfléchissent à quitter X
Gerhard Andrey, conseiller national des Vert-e-s
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Cela n'a pas empêché la conseillère fédérale socialiste, Elisabeth Baume-Schneider, de tourner le dos à X en octobre, tandis que cette année, son parti reste plutôt silencieux sur la plateforme. Le fait que le ministre de la Justice du Parti socialiste (PS), Beat Jans, quitte X ne semble être qu'une question de temps. Il a récemment déclaré que X était un véritable «dépotoir» qui l'ennuyait. Son département explique qu'il n'a pas encore été décidé si Beat Jans allait rester ou non sur X. 

Des voix s'élèvent en Suisse

En Suisse, des voix s'élèvent pour demander au Conseil fédéral et à l'administration d'abandonner X. A l'image du conseiller national du Centre, Stefan Müller-Altermatt: «La Suisse officielle devrait quitter X.» Selon lui, cela n'a plus de sens d'échanger sur un réseau social, où il n'y aura bientôt plus que des bots et des trolls.

De son côté, Tarek Naguib, coordinateur de la plateforme des ONG suisses pour les droits humains, suit ces développements d'un œil tout aussi critique. Selon lui, Elon Musk renforce de manière ciblée les voix qui dénigrent les acquis de l'Etat de droit sur sa plateforme. «En faisant le plus de bruit possible, il tente de faire taire ceux qui s'engagent pour la justice et la raison.» La liberté d'expression subit ainsi un grand préjudice – et celle-ci est la base de la démocratie. «Le fait que Karin Keller-Sutter ait ouvert un compte X justement maintenant, envoie un signal très problématique», déclare Tarek Naguib, qui estime que le Conseil fédéral devrait montrer l'exemple.

Le conseiller national Gerhard Andrey propose que la Confédération établisse une charte, afin d'évaluer régulièrement les différents canaux. Il est convaincu que la fréquentation de plusieurs canaux, dont par exemple les alternatives Bluesky ou Mastodon, pourrait s'effectuer sans problème. Pour le Vert, le fait que la Confédération veuille précisément informer les citoyens dans une «arrière-cour moche» n'est pas une stratégie sérieuse. «J'attends du Conseil fédéral et de la Chancellerie fédérale qu'ils réfléchissent à quitter X.»

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