A l’heure où le ton se durcit envers l’avortement, notamment aux États-Unis, le vent souffle dans le sens contraire à Berne. Jeudi, à l’occasion d’une manifestation pour célébrer les vingt ans du droit à l’avortement sans délai en Suisse, la présidente de Santé Sexuelle Suisse (SSS) Léonore Porchet demandera que l’interruption de grossesse (IVG) soit considérée comme une question de santé et non plus une affaire pénale.
Aujourd'hui, c'est l'article 119 du Code pénal qui prévaut. Celui-ci stipule que «l’interruption de grossesse n’est pas punissable si un avis médical démontre qu’elle est nécessaire pour écarter le danger d’une atteinte grave à l’intégrité physique ou d’un état de détresse profonde de la femme enceinte».
«L'avortement est donc seulement toléré sous certaines conditions qui sont stigmatisantes, infantilisantes et paternalistes», résume la Vaudoise. Pour étayer ses doléances d'en faire une question de santé publique, la politicienne de 32 ans prend l’exemple des pays voisins, où un pas similaire a soit été franchi (France) ou est en discussion (Allemagne). «Et il y a une recommandation en ce sens de l’Organisation mondiale de la Santé», souffle-t-elle.
Manifestation ce jeudi à Berne
Dans l’idéal, Léonore Porchet voudrait aller plus loin avec une loi spécifique à l’avortement. «A minima sur la santé sexuelle, ou la santé tout court. Cela n’existe pas aujourd’hui», déplore-t-elle. L’écologiste se donne dix ans pour parvenir à ses fins. Une échéance symbolique: le droit à l’avortement a été acquis en 2002 après «trente ans de débats». Trois nouvelles décennies plus tard, l’interruption de grossesse sortirait du Code pénal.
Jeudi, sur la Waisenhausplatz (les rassemblements sur la Place fédérale sont interdits durant les sessions), des femmes viendront «distribuer un carton rouge» à l’article 119.
95% des IVG avant 12 semaines
Or, dans la pratique, 95% des IVG sont réalisées avant douze semaines de grossesse, insiste la présidente de SSS. Les procédures ne sont dans ces cas-là «que des chicanes». Dans les 5% restants, les raisons sont toujours médicales. «Et pourtant, selon une partie de l’opinion publique, l’avortement serait pratiqué par confort après de la négligence, explique Léonore Porchet. Ce n’est absolument pas vrai — dans plus de la moitié des avortements, un moyen de contraception avait été utilisé!»
Des femmes ayant subi un avortement viendront témoigner jeudi du tabou qui règne toujours en Suisse autour de cet acte médical. Il y a d’abord le paramètre financier: l’IVG coûte entre 500 et 3000 francs. Même s’il est remboursé, la franchise de 2500 francs + la quote-part peut se révéler impossible à régler pour des jeunes filles. Chaque année, Santé Sexuelle Suisse prend en charge des avortements dans ces cas-là. Et il y a la stigmatisation encore importante. «La culpabilisation des femmes qui ont avorté peut engendrer un important traumatisme», avertit Léonore Porchet.
Le tourisme gynécologique, une réalité
La conseillère nationale, membre de la commission de la Santé, est consciente qu’elle ne part pas avec les faveurs de la cote dans ce dossier. Les essais précédents autour de l’avortement ont tous buté sur le Conseil fédéral. Mais elle espère pouvoir rassembler les femmes de tous les partis, même à droite de l’échiquier, pour obtenir l’abrogation de l’article 119, mais aussi pour rendre visible la thématique.
Aujourd’hui, l’avortement continue de mettre mal à l’aise une partie de la population, y compris certains médecins. La pratique est, d’ailleurs, très disparate selon les cantons: certains ont des taux très bas d’avortement et d’autres très hauts. «La preuve que le tourisme gynécologique est une réalité en 2022, alors que l’on n’en parle jamais», conclut Léonore Porchet. La féministe, soutien de la première heure du mouvement «My body, my choice», ira le crier, jeudi sur la Waisenhausplatz.