Il s'agit d'une lutte contre des géants que seule l'UE peut se permettre de mener en Europe: Le Digital Markets Act doit limiter le pouvoir des «gatekeepers». Il s'agit des groupes numériques qui dominent le marché, en particulier Apple, Google et Meta (anciennement Facebook). Depuis le 6 mars 2024, ils sont soumis à des règles strictes dans l'UE en ce qui concerne la manière dont ils utilisent leur position particulière sur le marché à leur propre avantage.
Pour Apple, cela signifie que la mise à jour de début mars pour les iPhones a dû introduire des nouveautés fondamentales pour les utilisateurs de l'UE. Celles-ci sont déjà normales depuis longtemps pour les utilisateurs d'Android. Dans le cas d'Apple, elles mettent fin à un monopole existant depuis le premier iPhone et renforcent la concurrence.
Les nouveautés
- Les utilisateurs peuvent désormais installer des applications provenant d'autres magasins que l'App Store d'Apple. Mais cela prendra encore du temps, car Apple a volontairement limité les applications concernées.
- Les applications de paiement d'autres fournisseurs qu'Apple pourront à l'avenir accéder à la fonction de paiement sans contact de l'iPhone.
- Les utilisateurs peuvent désormais choisir eux-mêmes leur navigateur par défaut (jusqu'à présent obligatoirement Safari d'Apple). En raison de ce monopole, Apple a jusqu'à présent gagné beaucoup d'argent en vendant le moteur de recherche par défaut de Safari à Google.
Le Conseil fédéral pris à froid
Pour les utilisateurs suisses, la plupart des spécialistes et le Conseil fédéral s'attendaient aux mêmes règles. C'est souvent le cas avec d'autres réglementations de l'UE pour les grands groupes numériques, comme la protection des données. Ainsi, en mai 2023, le Conseil fédéral a déclaré, en réponse à une motion du groupe PS, qu'il «fallait s'attendre à ce que les nouvelles règles de l'UE soient également appliquées en Suisse par les grandes plateformes en ligne».
Or, cet espoir a vite été douché. Apple a exclu la Suisse. Premièrement, l'identifiant Apple des utilisateurs doit être configuré sur un pays de l'UE pour que les nouveautés soient appliquées. Deuxièmement, la localisation du smartphone est enregistrée et vérifiée quant à son appartenance à l'UE. Le résultat est régulièrement envoyé à Apple et détermine l'accès aux nouvelles fonctions. Pour les utilisateurs suisses, cette mise en œuvre rigide ne laisse aucun espoir d'accéder aux nouveautés par des astuces techniques.
Qui s'attaque au problème?
Le groupe PS a retiré sa motion en mars. Elle demandait au Conseil fédéral de présenter des lois pour mettre en œuvre les points essentiels du Digital Market Act en Suisse également. Mais le Conseil fédéral travaille déjà sur un projet de consultation pour une meilleure réglementation des grandes plateformes numériques. Au PS, on dit vouloir d'abord attendre ce projet et se réserver le droit de revenir à la charge en fonction des résultats. Une demande auprès de l'Office fédéral de la communication compétent ne laisse toutefois guère d'espoir: le projet prévu a un autre objectif – et «une réglementation équivalente au Digital Markets Act n'est actuellement pas prévue en Suisse».
Des procédures qui peuvent durer 10 ans
Il est plus intéressant de prendre le pouls de la Commission de la concurrence (Comco). Dans sa prise de position sur la motion du PS, le Conseil fédéral a indiqué à plusieurs reprises que la Comco pouvait intervenir dans de tels cas. Au sein de l'autorité, on reste officiellement vague à ce sujet et on se contente de confirmer les phrases creuses du Conseil fédéral. Mais si l'on se renseigne un peu, on peut entendre que les nouvelles règles de l'iPhone sont belles et bien présentes à l'agenda de la Comco.
En étudiant dans les rapports annuels de la Comco la procédure suivie jusqu'à présent dans de tels cas, on comprend vite le flou de l'autorité. La Comco dispose certes de moyens juridiques pour contraindre les grandes entreprises numériques à respecter le droit de la concurrence dans le cadre d'une procédure. Mais de telles procédures s'étendent volontiers sur dix ans avec des recours et nécessitent des ressources considérables.
La Comco veut agir en silence
C'est pourquoi la Comco privilégie souvent une approche douce de discussion avec les entreprises – ou comme le formule le Conseil fédéral dans sa prise de position sur la motion: La Comco agit «régulièrement, même en dehors des procédures d'enquête, pour que les adaptations de comportement des entreprises suite à des procédures de droit des cartels dans l'UE soient également mises en œuvre par celles-ci en Suisse». Cela permet non seulement à la Comco d'économiser des ressources, mais aussi, en cas de succès, d'obtenir des résultats plus rapidement.
Pour les utilisateurs, cela signifie qu'il faut attendre. Avec un peu de chance, il ne faudra que quelques mois pour qu'Apple cède et rende accessible toutes ces nouveautés. Mais avec de la malchance, il faudra attendre jusqu'à 10 ans avant que groupe soit contraint de s'adapter dans le cadre d'une procédure de droit de la concurrence.