Discrimination ciblée des personnes non-vaccinées
Les spécialistes de l'éthique tirent la sonnette d'alarme

L'économiste comportemental Gerhard Fehr appelle à une discrimination des personnes non-vaccinées, ce qui fait bondir les spécialistes de l'éthique. À raison? La discrimination existe déjà dans certains cas de vie en société: quand devient-elle acceptable?
Publié: 09.07.2021 à 06:28 heures
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Dernière mise à jour: 23.08.2021 à 23:11 heures
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L'éthicienne médicale Nikola Biller-Andorno déclare: «Je ne suis pas favorable à l'idée de pousser les gens à se faire vacciner. Je préfère me fier à de bons arguments».
Photo: STEFAN BOHRER
Anna Uebelhart, Katja Richard, Daniel Arnet, Rebecca Wyss, Silvia Tschui, Louise Maksimovic (adaptation)

Les déclarations de l’économiste comportemental Gerhard Fehr font vivement réagir. Le spécialiste a appelé à plus de fermeté vis-à-vis des personnes non-vaccinées avec des mesures de discrimination systématique.

Les spécialistes des questions d’éthique ne voient pas ces propositions d’un bon œil. Pour Nikola Biller-Andorno, professeure d’éthique médicale à l’Université de Zurich: «Les gens ne sont pas des marionnettes, même si c’est ce que les économistes aiment croire.» Elle s’oppose au fait de pousser les gens à se faire vacciner. «Je préfère me fier à de bons arguments», dit-elle.

Gerard Fehr, de son côté, ne comprend pas ces réactions. Il précise que la discrimination n’est «pas nouvelle, nous la rencontrons tout le temps dans la vie de tous les jours».

Il existe déjà des situations dans lesquelles des portions de la population sont discriminées. Prenons l’exemple des fumeurs: afin de protéger les non-fumeurs du tabagisme passif, il est interdit de fumer dans les espaces publics fermés en Suisse depuis 2010.

Quand on y regarde de plus près, il y a tout de même des différences entre le fait de fumer et le fait de se faire vacciner. «La contrainte indirecte de subir une procédure de vaccination sur mon corps empiète sur les droits fondamentaux de ma personne bien plus que l’interdiction de faire quelque chose dans un certain lieu», explique le spécialiste des sciences culturelles et historien de la médecine Eberhard Wolff.

La discrimination ne doit pas bouleverser la vie quotidienne

Jusqu'où faut-il aller pour qu’une société accepte la restriction de certains groupes sociaux? Pour la professeure Nikola Biller-Andorno, les mesures ne doivent avoir qu’un effet sélectif et ne pas bouleverser le quotidien de groupes entiers de la population.

Dans le cas de la vaccination, dit Eberhard Wolff, il s’agit de savoir quels moyens indirects de coercition et de pression sont utilisés pour susciter un certain comportement en matière de santé. La réaction de la population suisse à d’éventuelles mesures restrictives visant à imposer la vaccination est difficile à prévoir, continue-t-il. Mais il appelle à rester vigilant sur l'imposition de telles mesures qui pourraient faire s'écrouler la démocratie consensuelle dans le pays.

Quatre exemples de discriminations qui existent déjà

Dans de nombreux domaines, les inégalités de traitement, voire les interdictions, sont acceptées ou du moins déjà établies, comme l’attestent ces quatre exemples de la vie quotidienne.

  • L’interdiction de fumer

Depuis 2010, il est interdit de fumer dans les espaces publics fermés en Suisse, ce qui signifie que la loi fédérale protège contre le tabagisme passif. Les fumeurs, eux, continuent de subir une pression sociale et sont au coeur de nombreuses discussions sur leur traitement.

L’une d’elles concerne le prix des primes d’assurance maladie: doivent-elles dépendre des comportements des individus et donc être potentiellement plus chères pour des fumeurs qui risquent d’avoir des problèmes de santé? Une étude commandée par la Confédération et publiée en 2019 montre que les fumeurs ont un «coût» élevé. Ce dernier est toutefois en partie comblé par l’impôt sur le tabac qui finance l’AVS à cinq%, ce qui en 2018 représentait pas moins de 2,08 milliards de francs.

  • Les femmes lésées par l’assurance maladie

Depuis 2012, les tarifs d’assurance sont les mêmes pour les hommes et les femmes dans l’Union européenne. Dans ce domaine, la Suisse fait tache: les femmes y paient plus cher que les hommes leur assurance maladie complémentaire, leurs indemnités journalières ainsi que leur assurance vie.

Dans certaines situations, la différence peut être particulièrement importante: c’est le cas de l’assurance complémentaire la plus utilisée en Suisse alémanique, qui coûte près de 25% plus cher pour les femmes. La raison avancée pour cet écart? Les femmes vivent en moyenne plus longtemps que les hommes et vont plus souvent chez le médecin.

  • Toutes les nationalités ne sont pas égales face aux assureurs auto

Payer votre assurance plus cher même si vous n’avez pas d’accident? C’est ce qui vous guette si vous n’avez pas la bonne nationalité. «Les assureurs automobiles demandent aux étrangers de payer davantage que les personnes de nationalité suisse», conclut Comparis dans une étude parue au printemps 2021.

Ce sont les ressortissants des Balkans et de la Turquie qui trinquent le plus, en payant leur prime 60% plus cher en moyenne. À La Bâloise, au TCS et à Helvetia, les Albanais, les Kosovars ou les Serbes paient 80% de plus que les Suisses.

  • Plus difficile de trouver un appartement pour les étrangers

Si vous cherchez un appartement, vous aurez davantage de succès si votre nom a une consonance suisse. Selon une étude d’un groupe de l’université de Genève, de Neuchâtel et de Lausanne, si votre nom est d’origine slave et qu’il se termine par «-ic» vous aurez dix pour cent de chances en moins d’obtenir un rendez-vous pour une visite. C’est le résultat d’une étude menée sur plus de 11’000 évaluations qui a établi que les noms de famille les plus lésés étaient ceux d’origine serbe, kosovare ou turque.

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