Orienter les gens dans une direction souhaitable pour la société, tel est le métier de l'économiste comportemental Gerhard Fehr. Face au scepticisme vaccinal d'un bon tiers de la population, l'Office fédéral de la Santé publique (OFSP) se doit de convaincre les gens de se faire vacciner, et vite, car les cas augmentent.
Dans cette interview, Gerhard Fehr nous explique quelles méthodes l'OFSP pourrait utiliser pour parvenir à une couverture vaccinale plus grande. Il estime que l'heure est aux mesures radicales.
La moitié de la population suisse n'est pas encore vaccinée. Beaucoup ne veulent même pas sauter le pas. La campagne d'incitation actuelle suffit-elle pour convaincre les plus indécis?
Gerhard Fehr : Il était important d'atteindre le taux de vaccination actuel. Mais nos prévisions suggèrent que nous ne pourrons pas dépasser un taux de 60% avec les moyens actuellement mis en place, tandis que si nous croyons les épidémiologistes, il est nécessaire d'aller bien au-delà.
La campagne d'aujourd'hui n'a donc plus de sens ?
Si, l'OFSP doit continuer à motiver les gens. C'est juste que le message doit changer. L'OFSP devrait à présent mettre l'accent sur les conséquences négatives pour ceux qui ne se vaccinent pas, mais sans semer la panique.
Comment envisageriez-vous une telle communication?
Personne ne monterait dans un avion si le risque de s'écraser était de 0,5 %. Mais tous les non-vaccinés sont actuellement prêts à tomber malades d'un virus dont ils ont 0,5 % de chance de mourir. Il faut le souligner. Il faudrait également mettre davantage l'accent sur les risques. Le Covid est pire que les pires effets secondaires de la vaccination. Ceux qui ne se font pas vacciner sous-estiment les conséquences de la contamination. Cela devrait être communiqué.
Il s'agit donc de sensibiliser plus?
Oui, mais sans effrayer les gens. De la même manière que pour les produits du tabac. Cela dit, je ne pense pas que la communication seule suffira à faire évoluer les comportements.
Que faut-il faire d'autre ?
L'OFSP doit émettre une recommandation de vaccination plus stricte. Cela peut prendre différentes formes. Le plus efficace serait d'envoyer aux personnes non-vaccinées un rendez-vous. Aux individus ensuite de décider de s'y rendre ou pas, mais ils devront alors activement se désinscrire.
Il pourraient tout aussi bien sauter le rendez-vous.
Un no-show sans désinscription pourrait être puni d'une amende. Quoi qu'il en soit, cette approche permettra d'augmenter le taux de vaccination d'à peu près 20%, puisque tout le monde ne décommandera pas. Il y aura toujours à peu près 35% de personnes qui refuseront de s'y rendre.
Que faites-vous de ces 35 % ?
Nous ne pourrons les convaincre que si nous pratiquons une discrimination systématique. Cela signifie que seules les personnes ayant été vaccinées devront être autorisées à aller au restaurant ou au concert. La discrimination systématique n'a rien de nouveau; nous la rencontrons tout le temps dans la vie quotidienne. Par exemple, la plupart des gens n'ont pas les moyens d'aller au restaurant tous les jours et sont donc exclus en raison de leur salaire.
Est-ce vraiment nécessaire ?
Bien sûr qu'il serait beaucoup plus souhaitable que davantage de personnes se fassent volontairement vacciner. Mais la bonne volonté commence à être épuisée. Je suis sûr, au demeurant, que davantage de personnes se feront vacciner en automne, lorsque le taux de mortalité augmentera à cause du variant Delta. Parce que c'est à ce moment-là que la conscience du risque augmentera à nouveau. Mais cela ne sera pas suffisant. Nous avons besoin d'un niveau élevé de protection vaccinale pour survivre au Covid sur le long terme. Et la discrimination systématique est le dernier recours avant la vaccination obligatoire. Au final, nous ne pourrons pas éviter le débat socio-politique sur la discrimination pour arriver à un taux de vaccination d'au moins 80 %.
Les gens ne se rebelleront-ils pas?
La question est plutôt: une minorité peut-elle prétendre jouir pleinement de ses droits de liberté au détriment de la majorité vaccinée? Non, la majorité de la population ne veut plus être limitée. Les personnes vaccinées commencent à se demander pourquoi elles doivent encore se conformer aux mesures sanitaires. Nous devons nous demander quelles doivent être les conséquences si une minorité importante refuse la vaccination. Après tout, nous n'accepterions pas non plus que 25% de la population refuse de payer ses impôts.
Pensez-vous vraiment que cela inciterait même les sceptiques récalcitrants à la vaccination à se faire vacciner ?
Non, mais nous n'aurions plus de restrictions sur les personnes vaccinées.
Des récompenses ne pourraient-elles pas aider aussi - comme un bon pour chaque personne qui se fait vacciner ?
Pas vraiment. Ces récompenses ont un effet très faible sur les taux de vaccination. Vous pouvez difficilement faire changer d'avis les personnes qui ne le souhaitent vraiment pas avec des incitations commerciales. Tout au plus, cela inciterait les personnes désireuses de se faire vacciner à le faire plus rapidement.