«Si on publie quelque chose mardi à midi, t'es sûr que ce ne sera pas trop tard?» Le journalisme est un métier où écouter ses collègues est souvent utile. Et avec ma consœur alémanique qui s'étonnait de ma présence à Berne pour couvrir «ce truc», lundi, cela fait quand même deux signes que la mayonnaise n'a pas pris.
«Ce truc», pourtant, avait tout d'un conte de Noël. Au début de l'année, le gréviste de la faim Guillermo Fernandez s'affichait en une des magazines, était interrogé sur sa soudaine «célébrité». Il était désormais «ce Fribourgeois qui a fait plier l'Assemblée fédérale». Il avait réussi à convaincre les Chambres d'accueillir des experts spécialistes du climat. Le rendez-vous était pris pour ce 2 mai. «On parle même de deux séances à Berne, et certains parlements cantonaux seraient intéressés, ainsi que des écoles dans tout le pays», assurait «L'illustré».
Quelques mois plus tard, il faut se rendre à l'évidence: le soufflé est retombé de manière inversement proportionnelle à la remontée des températures. Non, les parlementaires n'ont de loin pas tous daigné se déplacer à Berne. Et la parole vis-à-vis de ce père de trois enfants resté 39 jours sur la Place fédérale s'est bien libérée.
À commencer par Philippe Nantermod: après avoir dénoncé une «messe» sur Twitter, il a persisté et signé dans Blick. «Ce n'est pas aux scientifiques de décider de nos politiques climatiques», a taclé le vice-président du Parti libéral-radical (PLR). Les acolytes du Valaisan au sein de la garde rapprochée de Thierry Burkart, son président, la Fribourgeoise Johanna Gapany et le Zurichois Andri Silberschmidt, étaient là, eux. De même que leur chef de groupe neuchâtelois Damien Cottier.
Ce qui devait être une entrevue scientifique est devenu un combat politique sur les réseaux sociaux. Sur Twitter, en particulier, l'image en vogue vers 13h montrait la salle du Conseil national avec une partie droite de l'hémicycle quasi déserte. Un instantané impressionnant, mais mensonger: les sièges habituellement réservés au Parti socialiste avaient été (ré)attribués aux nombreux experts scientifiques présents, tandis que les rangs du centre-droit étaient relativement bien garnis.
Tandis que les premiers conférenciers expliquaient l'urgence (cliquez ici pour revoir tous les débats), les journalistes s'employaient, eux, à dénombrer les élus présents. Un bon exercice pour correspondant parlementaire, puisque compliqué par la présence dans la salle des scientifiques. Le consensus s'est établi autour de 75 élus présents, sur 246, soit moins d'un tiers (30,4%).
Même avec une fréquentation toute relative, l'événement a attiré l'attention des médias internationaux. Et, au premier rang de la tribune, Guillermo Fernandez a refusé d'évoquer un échec. «Ma mission est accomplie», a-t-il déclaré face aux médias.
Les Verts positivent
Un positivisme également adopté par les Verts, qui avaient fanfaronné lors de l'annonce de cette journée de sensibilisation climatique. Les écologistes ont tenté de voir le verre à un tiers plein. «Il aurait pu y avoir encore moins de monde», glissait anonymement une élue verte du National, un peu embarrassée.
Contrairement à la salle, les tribunes étaient bien garnies, donnant à cette conférence de trois heures des allures d'élection du Conseil fédéral, le suspense en moins. «Il n'y avait aucune voix critique», a dénoncé auprès de Blick le conseiller national de l'Union démocratique du centre (UDC) Mike Egger. Le Saint-Gallois de 29 ans avait fait l'impasse, comme la majorité de son groupe parlementaire. L'élu aurait voulu un débat sur les questions controversées, par exemple la sécurité de l'approvisionnement.
Tout à droite de l'hémicycle, deux hommes dans un océan de sièges vides: les Vaudois Michaël Buffat et Jean-Pierre Grin, tous deux membres de l'UDC. Le second nommé, agriculteur, a expliqué vouloir s'informer sur les conséquences pour son activité.
Les effectifs du parti conservateur se sont garnis durant l'après-midi, notamment avec Albert Rösti. L'ancien président de l'UDC nationale, qui siège dans la commission de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie, est allé s'asseoir à côté de la Verte Aline Trede. Pourtant opposés politiquement, les deux Bernois ont semblé bien s'entendre.
Quid des conférenciers? L'entrée en matière a été difficile. Lénifiants, les premiers orateurs ont quelque peu douché l'enthousiasme ambiant. Ils ont perdu beaucoup de temps à rappeler des choses connues, surtout face à un public trié sur le volet (beaucoup d'écologistes forcément bien renseignés sur leur dossier).
Les échanges sont devenus plus intéressants avec les questions des parlementaires présents. «Ne faut-il pas faire avancer l'hydraulique et trouver des alternatives aux énergies fossiles?», a demandé Albert Rösti. Les scientifiques ont été très précautionneux au moment de répondre. «C'est aux politiciens de répondre à ces questions. Nous n'avons pas besoin de nouveaux barrages s'il est possible de s'approvisionner à l'étranger», a répondu le scientifique Anthony Patt.
«On ne peut pas récompenser une grève»
Reste que la manière dont a été convoqué cet «office» climatique est resté en travers de beaucoup de gorges. Le conseiller national PLR Christian Wasserfallen, par exemple, a boycotté la manifestation pour cette raison. «On ne peut pas récompenser une grève de la faim en organisant une conférence», a déploré le Bernois auprès de Blick.
Les organisateurs, eux, assurent que l'événement a été un succès. Les échanges constituent un premier pas vers une ligne plus directe entre la science et la politique, a estimé Sonia Seneviratne, professeure à l'École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ). La présidente du Conseil national Irène Kälin, à l'origine de la démarche, a abondé. «Même si la gauche était davantage représentée, j'espère que la rencontre permettra d'alimenter le dialogue», a résumé la première citoyenne du pays.
A noter que des militants se sont déplacés à Berne pour défendre la cause climatique sur la Place fédérale. Sous bonne surveillance de la police, ce sont environ 200 personnes qui se sont rassemblées, munies de banderoles. Fait marquant, comme dans la salle du Conseil national, la Suisse romande était très représentée: la majorité des écriteaux était en français. Ce qui alimente un certain Röstigraben sur la question du climat, les dernières actions d'envergure de Renovate Switzerland ayant été le fait de militants romands.