Les activistes du climat bloquent l'entrée de l'autoroute A1 à Crissier (VD)
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Renovate Switzerland:Les activistes du climat bloquent l'entrée de l'autoroute A1 à Crissier (VD)

Reportage lors du blocage de Renovate Switzerland
«Un jour, ça va cogner, c'est nous qui allons les dégager!»

Ce vendredi matin, les membres de Renovate Switzerland ont à nouveau bloqué un accès d'autoroute à la hauteur de Crissier. Les militants climatiques ont eu fort à faire face à l'hostilité des automobilistes, fortement irrités par cette action. Reportage en immersion.
Publié: 22.04.2022 à 17:08 heures
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Dernière mise à jour: 22.04.2022 à 20:27 heures
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Adrien SchnarrenbergerJournaliste Blick

«Faut les flinguer ces machins, c’est pire que les sangliers!» Il est 7h38 au nœud autoroutier de Crissier (VD), et il est acquis depuis quelques minutes que ce vendredi matin ne sera pas comme les autres pour des centaines de pendulaires: en l'espace de quelques secondes, leur route est barrée par six activistes de «Renovate Switzerland», cette campagne qui veut modifier l’agenda du Conseil fédéral en matière d’écologisme architectural.

Un camionneur immatriculé dans le canton de Berne crève au poteau. Il s’en est fallu d’une fraction de seconde pour qu’il passe (voir vidéo ci-dessus), mais il va rester bloqué pour la prochaine demi-heure derrière une banderole imitant le logo de Rivella. Le chauffeur professionnel sourit et se cale en arrière dans son siège. D'autres automobilistes font preuve de moins de patience. D’abord en klaxonnant, puis en quittant leur habitacle pour former une ronde de la colère autour des militants. «Ce n’est pas une salle de conférences ici, vous embêtez des gens qui vont travailler. Allez, dégagez!»

Il faut sept minutes à la police pour arriver. Les militants semblent soulagés d’avoir un cordon de sécurité, comme l’évoquait Christian Anglada, un activiste climatique que Blick a rencontré. Tandis que les agents s'emparent des lieux, nous proposons à l’un des automobilistes les plus virulents de se mettre à l’écart pour discuter. Il faut une âpre négociation pour que Patrick, 48 ans, accepte de se livrer. Hors de lui, il n’avait pas entendu que nous étions journalistes et pas militants. «De toute façon, vous leur donnez beaucoup trop de crédit à être là, fulmine-t-il. C’est n’importe quoi! Un jour, ça va cogner, c’est nous qui allons les dégager!»

Une déclaration presque prophétique: derrière lui, un homme en tenue de chantier est encore plus violent d’abord dans ses propos, puis dans ses actes. S'il ne met pas à bien sa menace d'aller chercher son marteau piqueur, il s’empare de petits cailloux au bord de la route pour les jeter sur les militants. Ceux-ci, collés sur le bitume, sont pris à leur propre piège. Une journaliste de la radio LFM affairée à interviewer l’un des bloqueurs se retrouve victime collatérale. Elle prend la police à partie. «Donc c’est possible de jeter des cailloux sur les gens en toute impunité? Alors que je fais juste mon travail?» Penaud, l’un des agents s’interpose et contient tant bien que mal les mécontents.

Automobiliste 1: «Vous êtes la police ou bien? Déblayez-moi tout ça!»
Agent: «On aimerait bien, mais on ne peut rien faire.»
Automobiliste 1: «Mais arrêtez-les et ils ne le referont plus!»
Agent: «C’est ce qu’on fait, mais la prochaine fois ce seront d’autres personnes. Ces gens cassent les pieds, mais on ne peut pas les porter. (Baisse la voix) Il y a cinquante ans, cela se serait passé autrement.»
Automobiliste 2: «Ça va finir en guerre!»
Automobiliste 3: «C’est déjà la guerre…»

Ce vendredi 22 avril a beau être le jour de la planète, les militants ont réussi à faire l’unanimité contre eux sur cet embranchement d’autoroute. Et pas seulement. Mon téléphone vibre, c’est un ami directeur de chantier qui a vu sur les réseaux sociaux que je me trouvais sur les lieux. «Tu ne peux pas les évacuer, toi? J’ai vingt gars qui attendent sur une livraison pour pouvoir commencer leur journée de travail…» Le blocage n’a commencé que depuis un quart d’heure, mais la colonne s’étend à perte de vue dans les deux sens. Le lieu est névralgique et n’a pas été choisi par hasard.

«Vous avez rendez-vous avec quelqu'un, non?»

«Notre organisation est presque aussi méticuleuse que la police et l’armée», nous disait le militant rencontré en milieu de semaine. Il n’avait pas menti. Ce vendredi matin, nous avons rendez-vous à une heure où une veste est encore nécessaire, même en ce début de printemps. Deux hommes se trouvent non loin de l’arrêt de bus convenu. Au vu des environs encore déserts, cela ne peut pas être un hasard. Ils partagent l’analyse. «Vous avez rendez-vous avec quelqu’un, non?» Quelques minutes plus tard, des instructions arrivent par le numéro de contact. Celui-ci change régulièrement, par mesure de précaution.

Le message envoyé quelques minutes avant l'action.
Photo: DR

En chemin, nous faisons connaissance avec Arthur et Léonard. Les deux sont photographes pour Renovate Switzerland. Militants habiles avec l’image ou professionnels engagés pour la campagne? La réponse est hésitante. Il va falloir gagner la confiance de nos interlocuteurs. Cela prendra les quelques minutes du chemin qui nous sépare de l’embranchement d’autoroute. Le second nommé nous confie qu’il fait attention. «J’ai eu des problèmes par le passé. Désormais, j’évite de trop me mouiller. Je suis un photographe professionnel, mais je n’ai pas de carte de presse, ce qui peut poser problème.» Notamment lorsque le jeune homme s’est retrouvé au centre d’une controverse pour son travail sur la ZAD du Mormont.

Pas le temps de bavarder: nous croisons un groupe d’une dizaine d'individus qui arrivent en sens inverse. Là encore, pas de doute possible, il s’agit des militants qui vont changer la matinée de centaines de personnes d’ici à quelques minutes. Quelques secondes, même, puisque le collectif très éclectique fond sur le bitume et déroule ses banderoles sous les premiers klaxons de la matinée. De loin pas les derniers.

Elisabeth est assise au milieu de la route. Elle n’est pas collée, contrairement à ses deux camarades de la voie «lac», parce que le plan d’action en dix points de l’organisation prévoit de laisser de la place pour les véhicules d’urgence. «T’es là parce que tu ne sais pas t’occuper de ton mari!», lui crie un automobiliste fâché. Elle l’ignore, parce qu’elle «n’y peut rien contre la connerie humaine».

Elisabeth, 78 ans, était l'une des militantes sur la route de Crissier ce vendredi.
Photo: Blick

Que fait cette dame d’âge respectable sur cette chaussée froide, qu’elle ne sent pas grâce à un petit coussin placé sous elle? «C’est ma petite-fille qui m’a sensibilisée à la cause», explique-t-elle. Membre des «Grands-parents pour le climat», la Valaisanne née en 1944 («Je vous laisse faire le calcul») a participé au blocage du pont Bessières organisé par Extinction Rebellion en septembre 2019. Elle a, dans la foulée, voulu lancer des actions concrètes dans son canton, mais les activistes y ronronnaient trop à son goût. «Et puis j’ai trouvé cette campagne. Nous sommes tous très motivés.»

Un peu plus loin, un autre militant est inquiété par la police. Tony, 35 ans, essaie de récupérer la banderole qui a servi très brièvement de vitrine aux militants. Un conducteur excédé l’a arrachée après quelques minutes seulement. Impossible d’entrer en contact avec l'automobiliste qui s'en est emparée et qui semble être un homme d’affaires. «Vous voulez que je vous dise quoi? Ce que je pense? Nous sommes tous d’accord: qu’ils aillent travailler. Point.»

En plus de s’emparer de la banderole, la police prend l’identité de Tony. Ce n’est pas la première fois que l’activiste doit fournir ses données personnelles. Mais il n’est visiblement pas au fait des directives de Renovate Switzerland. «J’ai donné mon numéro de téléphone, je n’aurais pas dû?», demande-t-il au militant collé sur la chaussée. «Ce n’est pas grave, mais tu as gâché un joker. En général, un numéro sert de monnaie d’échange pour ne pas se faire arrêter.»

La banderole de Renovate Switzerland a traîné par terre... avant d'être l'objet d'une âpre négociation.
Photo: Blick

Tony est gardien de la paix. Pas dans le civil, mais au sein de l’organisation, du moins pour cette action à Crissier. Un «peace-keeper», en anglais dans le texte, vise à assurer les relations des militants avec les personnes présentes. Sa mission a tourné court: malgré quelques contacts avec des automobilistes au début du blocage, il s’est heurté à un mur de résistance et a vite jeté l'éponge. La police n’emportera que son identité, contrairement aux six militants sur la route qu’elle va arrêter.

Parmi ces «scarabées», dans le jargon militant, Nicolas est sans doute le plus expérimenté. C’est lui qui vient de coacher Tony. À l’heure de publier ces lignes, vendredi après-midi, il purge sa sixième garde à vue. Il aura donné beaucoup du fil à retordre à la police vaudoise: si la circulation a pu être rétablie en 27 minutes montre en main, la libération des individus collés à la chaussée a pris plus du double. La raison: la police n’avait pas les produits adéquats pour libérer Nicolas et ses congénères. L’activiste ne craint pas d’étayer son casier judiciaire pour une demi-heure de blocage. «J’ai obtenu un job dans une fondation car elle soutient activement les gens de nos organisations», ose-t-il.

C’est dur, de décoller une main? «Je ne peux pas vous dire, je suis jeune ambulancier et je n’ai jamais réalisé une intervention de ce type», explique l’un des nombreux membres des secours convoqués sur les lieux. Les représentants de l’État ont pris d’immenses précautions dans l’intervention. Un policier est venu vérifier le type de colle utilisée pour trouver des solutions compatibles, tandis qu’un ambulancier a pris le temps de poser des questions médicales à chaque personne collée, au cas où.

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Au final, c’est avec… de l’eau que les militants ont pu être libérés. «Des cristaux vont se former, je devrai être vigilant ces prochaines heures», assure Nicolas, qui a martelé avoir «pris congé» de ses jobs d’étudiant aux automobilistes qui l’enjoignaient à aller travailler. Le jeune scarabée porte bien son nom de nuisible: il mène la vie dure jusqu’au bout à la police, puisqu’il assure que, même la paume libérée, il «ne peut pas marcher» jusqu’au fourgon de police. C’est donc porté par quatre agents que l’activiste sera amené dans son «taxi» pour le poste de la Blécherette.

La main avant...
Photo: Blick
...et après.
Photo: Blick

La colle utilisée s’est révélée être de bien faible résistance. Une mesure au cas où certains automobilistes voudraient risquer les paumes des activistes en débarrassant eux-mêmes le chemin? Nous n’aurons pas de réponse à cette question, Nicolas et ses cinq camarades ayant disparu dans le véhicule de police.

Celle-ci est venue en nombre: ce sont pas moins de trente policiers qui nous font face. Un conciliabule a lieu pour décider s’il faut conserver le «trophée de guerre» qu’est la banderole de Renovate Switzerland. Nous sommes mis à l’écart. Des réponses sont promises «dans quelques minutes»… puis plus rien. Pourquoi avoir confisqué la banderole? Comment est décidé le périmètre des gens contrôlés ou arrêtés? Pourquoi certains ont été inquiétés, d’autres non? «Appelez la centrale», nous rétorque sèchement un gendarme, visiblement irrité ce vendredi matin.

La police embarque les six activistes, direction la Blécherette.
Photo: Blick

Des réponses, les activistes en demandent au Conseil fédéral. Ils donnent «quelques semaines de réflexion» (!) au gouvernement pour répondre à leur revendication d’isoler un million de logements d’ici à 2040. Faute de quoi ils reviendront sur les routes du pays, «plus nombreux et plus longtemps», menacent-ils dans un communiqué de presse envoyé peu après l’action.

Une chose est certaine: ils étaient eux-mêmes très isolés, ce vendredi à Crissier. Sur les réseaux sociaux, le bilan est plus partagé, avec un flot de réactions au moins aussi long que les files de voitures coincées par leurs banderoles. Les autorités sortiront-elles de leur mutisme? C’est à espérer, au moins pour calmer le jeu. Au vu de la violente montée de température sur l’entrée de l’A1, la crainte d’un pugilat lors d’une prochaine action est réelle.

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