Deux Romandes racontent leur expérience
«Malgré mon diabète de type 1, je veux qu'on sache que je reste une personne normale»

En ce 14 novembre, Journée mondiale du diabète, deux Romandes nous racontent leur expérience de la maladie, la charge mentale et les difficultés psychologiques qu'elles endurent. Témoignage tout en résilience.
Publié: 14.11.2024 à 16:03 heures
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Dernière mise à jour: 14.11.2024 à 16:04 heures
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«Je trouvais injuste que je ne pouvais plus faire comme les autres adolescents, qui n’étaient pas obligés de s’alimenter de riz complet ou de salade, eux!», raconte Iasmine, 28 ans.
Photo: DR
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Ellen De MeesterJournaliste Blick

Imaginez-vous à leur place: dès que vous mangez quelque chose, qu'il s'agisse d'une simple carotte ou d'une part de cake marbré, la moindre bouchée requiert une véritable analyse médicale. Pour les personnes atteintes de diabète, les repas totalement insouciants, allégés par la certitude que le corps fera son travail sans rechigner, appartiennent malheureusement au passé. Elles sont forcées de tout contrôler, tout vérifier, tout prévoir. Et cela chaque jour de leur vie, sans le moindre répit, au risque de voir leur santé dégringoler brusquement. 

En 2022, 6% de la population suisse, soit plus de 450'000 personnes, souffrait de diabète, d'après les informations des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Or, les différences frappantes entre les deux formes que peut prendre la maladie (type 1 ou type 2) sont plutôt méconnues. 

Le diabète de type 2, causé par un manque d'insuline dans le corps, est souvent réversible grâce à des mesures d'hygiène de vie. Mais le type 1 est incurable, puisque les cellules du pancréas ne parviennent plus à produire d'insuline. Les personnes concernées par cette maladie auto-immune doivent donc remplir elles-mêmes le rôle de cet organe essentiel, en mesurant constamment leur taux de glycémie et en injectant l'insuline dans leur corps. Tout en sachant que, pour l'instant, il n'existe pas de remède.

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Une charge mentale constante

En ce 14 novembre, journée mondiale du diabète, nous avons donné la parole aux personnes qui vivent avec ce phénomène pernicieux et délicat, souvent entouré de préjugés. Et ce qu'elles soulignent, avant tout, est l'impact sur la santé mentale.

«L’épuisement, l’administration nécessaire à obtenir les bons médicaments, les rendez-vous chez le médecin, la crainte des dangers possibles de l’hypoglycémie… Cela nécessite une immense quantité de discipline, affirme Elizabeth Frei, psychologue et psychothérapeute FSP elle-même concernée par le diabète de type 1. Toute cette charge mentale peut s'avérer très pesante à certains moments, car elle ne s’allège jamais. C’est un interminable processus consistant à créer de l’espace dans sa vie pour quelque chose qu’on n’a jamais voulu.» 

Voici l'avis de deux Romandes, dont l'expérience souligne que le diabète de type 1 peut être diagnostiqué à n'importe quel âge – encore une information peu connue du grand-public.

Iasmine, 28 ans: «La médecin m'a prévenue que le diabète pourrait compliquer une grossesse»

Au téléphone, Iasmine s'exprime d'un ton énergique, bien que l'émotion s'immisce parfois dans sa voix, qui vacille alors quelques instants. Voilà plus d'une décennie que cette jeune assistante socio-éducative vit avec un diabète de type 1, découvert à l'âge de quinze ans: 

«J’étais toujours épuisée en sortant de l’école et je m’effondrais après les cours, raconte-t-elle. J’avais aussi très soif et, par conséquent, j’allais très souvent aux toilettes. Vu mon âge, je ne me suis pas posé de questions, J’ai pensé que la fatigue et la soif étaient dues à mes activités sportives. Mais ma maman, qui avait visionné un documentaire sur le diabète, s’est doutée de quelque chose et a pris rendez-vous chez le médecin.»

«Je trouvais injuste que je ne pouvais plus faire comme les autres adolescents, qui n’étaient pas obligés de s’alimenter de riz complet ou de salade, eux!», raconte Iasmine, 28 ans.
Photo: DR

Quelques heures après la prise de sang, l'appel du spécialiste réveille Iasmine en pleine sieste: «Sur le moment, j’étais choquée, mais je ne réalisais pas vraiment. Je me souviens être allée au supermarché avec mes parents, car mon alimentation devait drastiquement changer, le temps de rééquilibrer mon diabète». Pendant quelques mois, l'adolescente se voit contrainte d'abandonner les glucides simples au profit de produits complets ou à base d'épeautre, de mélanger ses jus de fruits avec de l'eau, d'oublier les sucreries, tout en apprenant à se piquer. «Je me rendais tous les jours au cabinet du médecin pour qu’on m’apprenne à oser réaliser ces piqûres d’insuline dans mon ventre. C'était très difficile pour moi.»

«Ma première réaction a été de me rebeller»

De prime abord, la jeune fille refuse sa nouvelle réalité: «Ma première réaction a été de me rebeller, je trouvais injuste que je ne pouvais plus faire comme les autres adolescents, qui n’étaient pas obligés de s’alimenter de riz complet ou de salade, eux! Mais j’ai fini par comprendre que si je ne prenais pas ces mesures pour ma santé, personne ne le ferait. Après ce déclic, j’ai commencé à prendre du plaisir à manger mon riz complet.» 

Lorsque le médecin lui parle d'une pompe à insuline, qui lui permettrait de se passer des piqûres dans le ventre, Iasmine accepte avec enthousiasme. Or, sa peau réfute catégoriquement tout contact avec le patch relié à l'appareil: «Cette réaction allergique m’a un peu traumatisée, je détestais ces tâches qui parsemaient ma peau à cause de la colle», se souvient-elle. Le même scénario se reproduit avec la plupart des autres types de pompes qu'on lui propose, si bien qu'elle alterne aujourd'hui entre le seul appareil qui lui convienne et des piqûres manuelles, pour «éviter de tenter le diable». 

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Comme je vis seule, ces crises d'hypoglycémie sont assez effrayantes, surtout lorsqu’elles surviennent durant la nuit
Iasmine, 28 ans, assistante socio-éducative
»

«Voyager, c'est compliqué»

Optimiste, la jeune femme souligne le soutien de ses proches, de son équipe médicale et de sa nutritionniste qui lui a «tout appris». Elle souffre régulièrement d'hypoglycémies ou d'hyperglycémies, mais parvient à les gérer toute seule, sans devoir courir à l'hôpital: «Ces crises sont assez effrayantes, surtout lorsqu’elles surviennent durant la nuit. Je vis seule, donc j’ai toujours du stock de sucre dans ma table de nuit, à dégainer lorsque je commence à me sentir mal et à trembler.»

Force est de constater que la maladie se permet d'entraver certains projets de vie: le rêve de fonder une famille, par exemple, devient plus compliqué. «Ma médecin m’a prévenue, il y a quelques années, qu'il faudrait mettre en place un régime très strict pour protéger le bébé, afin d’éviter qu’il ne naisse avec des malformations (ndlr: ce qui peut se produire dans 8 à 12% des cas). Je ne suis pas encore prête à vivre cela, je prends le temps d’anticiper et de me préparer mentalement à avoir cette force, car je ne voudrais pas que mon futur enfant souffre.»

Comment aider un proche diabétique? Une psychologue nous répond

«Le diabète de type 1 est entouré de beaucoup de préjugés, car de nombreuses personnes ne comprennent pas la différence entre tous les types de diabète, souligne Elizabeth Frei, psychologue et psychothérapeute FSP, touchée par le diabète de type 1. Elles donnent alors des conseils inappropriés ou posent des questions qui, à force d'être répétées, peuvent devenir un peu envahissantes. Bien sûr, cela part d'une bonne intention et d'un manque d'information, mais à la longue, c'est un peu fatigant.»

Parmi les idées reçues qui peuvent étonner le grand-public, l'experte souligne notamment le fait que le diabète de type 1 est diagnostiqué à tout âge: «Et c’est beaucoup plus difficile de s’y habituer à l’âge adulte, puisqu’il faut alors tout apprendre seul, modifier des habitudes installées depuis des années, observe-t-elle. On n’a pas de parents pour surveiller constamment nos gestes et nous apprendre comment prendre soin de nous, avec cette maladie.»

Comment aider les personnes concernées?

Malgré l'importante charge mentale occasionnée par la maladie, notre experte remarque également que celle-ci oblige les personnes concernées à découvrir une résilience qu'elles ne se connaissaient pas: «Il faut puiser en nous pour y trouver de nouvelles ressources, et cela mène à apprécier davantage les choses.»

En revanche, Elizabeth Frei estime que l’opinion publique devrait être plus sensibilisée à ce phénomène et qu’il faudrait davantage d’espaces de discussion et de soutien: «Il ne s’agit évidemment pas de traiter les personnes concernées différemment, mais de réaliser qu’elles ont des besoins spécifiques, pointe-t-elle. Comme pour toute maladie invisible, la curiosité et la compassion des autres augmentent le sentiment d'appartenance et d'inclusion des personnes touchées.»

Parmi les questions ou remarques répétitives qui peuvent s’avérer pesantes, notre intervenante cite notamment:

  • «Ah, mais pourtant tu es mince!»
  • «Tu as déjà essayé ce programme de nutrition?»
  • «Tu ne peux pas juste perdre du poids?»
  • «Est-ce que tu as le droit de manger ça?»

Plutôt que ces questions, la psychothérapeute recommande aux proches de demander simplement: «Comment ça va en ce moment, pour toi, comment navigues-tu la situation?» ou encore «Raconte-moi ce que tu vis et ce que je peux faire pour t’aider», afin de simplement montrer qu'on est présents et prêts à écouter. «Les personnes diabétiques apprécient énormément qu’on les interroge sur leur matériel, ajoute-t-elle. On passe tellement de temps à comprendre et explorer ces technologies que cela peut être assez isolant. Ça fait toujours du bien d’en parler!» 

Ne restez jamais seul!

Si vous peinez à gérer la charge mentale ou l'impact psychologique du diabète, n'hésitez pas à demander de l'aide à une ou un thérapeute, ou à vous tourner vers la plateforme Diabète Suisse


«Le diabète de type 1 est entouré de beaucoup de préjugés, car de nombreuses personnes ne comprennent pas la différence entre tous les types de diabète, souligne Elizabeth Frei, psychologue et psychothérapeute FSP, touchée par le diabète de type 1. Elles donnent alors des conseils inappropriés ou posent des questions qui, à force d'être répétées, peuvent devenir un peu envahissantes. Bien sûr, cela part d'une bonne intention et d'un manque d'information, mais à la longue, c'est un peu fatigant.»

Parmi les idées reçues qui peuvent étonner le grand-public, l'experte souligne notamment le fait que le diabète de type 1 est diagnostiqué à tout âge: «Et c’est beaucoup plus difficile de s’y habituer à l’âge adulte, puisqu’il faut alors tout apprendre seul, modifier des habitudes installées depuis des années, observe-t-elle. On n’a pas de parents pour surveiller constamment nos gestes et nous apprendre comment prendre soin de nous, avec cette maladie.»

Comment aider les personnes concernées?

Malgré l'importante charge mentale occasionnée par la maladie, notre experte remarque également que celle-ci oblige les personnes concernées à découvrir une résilience qu'elles ne se connaissaient pas: «Il faut puiser en nous pour y trouver de nouvelles ressources, et cela mène à apprécier davantage les choses.»

En revanche, Elizabeth Frei estime que l’opinion publique devrait être plus sensibilisée à ce phénomène et qu’il faudrait davantage d’espaces de discussion et de soutien: «Il ne s’agit évidemment pas de traiter les personnes concernées différemment, mais de réaliser qu’elles ont des besoins spécifiques, pointe-t-elle. Comme pour toute maladie invisible, la curiosité et la compassion des autres augmentent le sentiment d'appartenance et d'inclusion des personnes touchées.»

Parmi les questions ou remarques répétitives qui peuvent s’avérer pesantes, notre intervenante cite notamment:

  • «Ah, mais pourtant tu es mince!»
  • «Tu as déjà essayé ce programme de nutrition?»
  • «Tu ne peux pas juste perdre du poids?»
  • «Est-ce que tu as le droit de manger ça?»

Plutôt que ces questions, la psychothérapeute recommande aux proches de demander simplement: «Comment ça va en ce moment, pour toi, comment navigues-tu la situation?» ou encore «Raconte-moi ce que tu vis et ce que je peux faire pour t’aider», afin de simplement montrer qu'on est présents et prêts à écouter. «Les personnes diabétiques apprécient énormément qu’on les interroge sur leur matériel, ajoute-t-elle. On passe tellement de temps à comprendre et explorer ces technologies que cela peut être assez isolant. Ça fait toujours du bien d’en parler!» 

Ne restez jamais seul!

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Si la charge mentale est plus accablante à certains moments que d'autres, Iasmine tente de prendre la situation avec un maximum de légéreté: «Certains jours, je rêve de retrouver la liberté de faire ce que je veux, sans devoir tout contrôler! Mais j’essaie, la plupart du temps, de rester optimiste. Car c’est déjà assez difficile comme ça, je pense que je me compliquerais d’autant plus la vie si je voyais la situation d’un œil pessimiste.»

En ce 14 novembre, elle souhaite encourager le grand-public à ne pas juger les personnes diabétiques: «Car au fond, nous sommes des gens normaux: on a juste un petit bobo. Je suis une femme comme les autres, sauf que je dois prendre un peu plus soin de moi.» 

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Fiona*, 61 ans: «Je crains que le diabète ne me vole les plaisirs de la retraite, dont je me réjouissais tant»

Incarnant la preuve que le diabète de type 1 peut se contracter à n'importe quel âge, Fiona a été diagnostiquée à 58 ans, en pleine pandémie. «J’ai remarqué que je perdais beaucoup de poids, sans raison, nous raconte-t-elle. Mais parallèlement, j’avais très soif, au point où je devais me lever pendant la nuit pour aller boire de l’eau. Je me suis d’abord présentée à la pharmacie, pour faire un contrôle de diabète qui s’est avéré clairement positif. Le médecin de famille a confirmé ce résultat.»

Les examens médicaux, empreints d'incertitude et d'inquiétude, semblent révéler un autre problème que le diabète. Après d'innombrables rendez-vous, la Romande est reçue par un expert bernois. «Les médecins ont détecté une maladie auto-immune qui avait détérioré les cellules du pancréas et aussi provoqué des troubles oculomoteurs», résume-t-elle. Or, le trouble s'est aujourd'hui apaisé, grâce à des perfusions reçues tous les mois à l'hôpital. 

«Le pire, c'est l'impression qu'on fait quelque chose de faux»

Lorsqu'elle découvre la pompe à insuline, la routine pesante de devoir se piquer, prendre des médicaments et contrôler les taux de sucre, Fiona plonge dans une nouvelle réalité parfois oppressante: la commande du matériel, la création de réserves, les factures, l'adaptation des repas, le stockage des médicaments, le changement du cathéter et du tuyau de la pompe à insuline, la vigilance constante... «Au moindre 'bip' de l'appareil, je sursaute, déplore-t-elle. Il me semble même que j'invente parfois des vibrations inexistantes». 

Cette férue de violoncelle regrette les douleurs au bout des doigts, causées par les piqûres, qui rendent sa pratique musicale difficile: «Mais le pire dans tout ça, c'est l’impression qu'on fait quelque chose de faux, sans oublier la peur de se retrouver en soins intensifs à l’hôpital pour une acidocétose diabétique (ndlr: une complication métabolique aiguë du diabète caractérisée par une hyperglycémie, une hypercétonémie et une acidose métabolique, selon le Manuel MSD).»

Il arrive en effet que le matériel dysfonctionne et se mette à sonner par erreur, causant une vague de panique inutile: «Du coup, lorsque la pompe a vibré pour une bonne raison, je l’ai ignorée. Et j'ai dû me rendre aux urgences, prise de vômissements. J’ai désormais une nouvelle pompe depuis un mois, mais je dois apprivoiser un tout autre système.»

«
Les voyages sont compliqués. À Noël, je dois me rendre au Maroc en famille, mais j’angoisse déjà.
Fiona*, 61 ans, enseignante
»

«Je refuse de m'apitoyer sur mon sort»

L'enseignante en école primaire a toutefois pris l'habitude de parler ouvertement de son diabète à ses élèves, afin qu'ils ne s'alarment pas en témoignant d'une crise d'hypoglycémie en plein cours. «Ils savent que je dois parfois manger un sucre de raisin, ils sont très bienveillants, acquiesce la Romande. J’essaie de banaliser la situation et ils comprennent comment cela fonctionne: c’est devenu normal, pour eux.»

De nature spontanée, Fiona regrette que ses journées et ses horaires soient régis par la maladie: «Sans oublier, les voyages! À Noël, je dois me rendre au Maroc en famille, mais j’angoisse déjà. Il est possible de voyager, évidemment, mais il faut penser à emmener tout le matériel, ainsi que des réserves. J’ai également peur d’aller voir un concert, car je crains que ma pompe ne se mette à sonner durant la représentation.» 

Bien qu'elle fasse de son mieux pour rester résiliente et optimiste, en profitant au maximum de son quotidien, la Romande craint que le diabète ne lui dérobe de précieuses phases d'insouciance: «Avec mon mari, on a travaillé toute notre vie, élevé quatre enfants et là, d’un coup, on me vole les plaisirs dont je me réjouissais au moment de la retraite. D'ici là, je veux absolument continuer à travailler, car je refuse de rester seule à la maison, à m’apitoyer sur mon sort.» 

*Nom connu de la rédaction 

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