La Suisse traverse une crise énergétique parce qu'elle est dépendante du gaz étranger, et parce qu'elle ne produit pas assez d'électricité verte. Cela n'est pourtant pas seulement dû à des freins gouvernementaux, mais aussi à des difficultés de mise en œuvre sur le terrain.
Le photovoltaïque chez les particuliers joue un rôle central dans la stratégie énergétique de la Confédération. Mais ce sont les communes, les cantons et les responsables de la protection des sites qui décident des bâtiments dont les toits peuvent être aménagés. Et il n'est pas rare que ces derniers transforment l'installation de modules solaires en un parcours du combattant pour les propriétaires de maisons - ou qu'ils fassent même carrément capoter leurs projets.
Marc Roux de Laufenburg (AG), chef d'équipe dans le secteur informatique, en sait quelque chose. Il y a deux ans, il a présenté à sa commune son projet de construction d'une installation solaire, avec assez de panneaux pour subvenir à ses propres besoins. Marc Roux habite en dehors du centre du village, c'est pourquoi il s'attendait à une procédure simple. Mais la commune a refusé. Elle trouvait la forme de l'installation trop «particulière».
L'esthétique plus importante que l'utilité
Marc Roux aurait quand même pu faire son installation, mais seulement avec la moitié du nombre de panneaux prévu. La commune l'a ainsi contraint à capituler. «Avec cette petite quantité de panneaux, je n'aurais même pas pu commencer à couvrir mes propres besoins, se plaint-il. Nous avons investi beaucoup de temps et d'énergie dans ce projet, mais nous avons dû abandonner face à la commune.»
La commune de Laufenburg souligne pourtant à Blick qu'elle est très intéressée par la réalisation d'installations solaires par des particuliers. Mais le cas de Marc Roux le montre, l'esthétique - ou plutôt ce que les autorités entendent par là - est manifestement plus importante que l'utilité.
A Flawil (SG), il devait en être autrement. Depuis 2007, la commune est en effet fière de porter le label «Cité de l'énergie». Une raison valable pour Markus Aebischer, technicien de maintenance, de prévoir des panneaux solaires dans la construction d'une maison pour ses enfants. Mais comme le terrain se trouve dans une zone protégée, un permis de construire est nécessaire pour réaliser cette installation. Et Markus Aebischer ne parvient pas à l'obtenir.
Le site a une importance nationale
Le refus a été pris il y a un mois seulement, en pleine crise énergétique. L'installation serait un «corps étranger» dans le paysage des toits de Flawil, historiquement habillés de tuiles, a expliqué la commune. «Pourtant, l'installation ne serait même pas visible depuis la majorité des alentours du site», rétorque Markus Aebischer. Sa frustration est profonde: «Nous aurions voulu apporter notre contribution à la sauvegarde du climat. Nous avons simplement du opter pour un chauffage au gaz, et nous avons du abandonner l'idée d'une voiture électrique.»
Pour s'expliquer, la commune de Flawil renvoie à Blick aux directives cantonales. Le canton de Saint-Gall affirme que le site protégé concerné est d'importance nationale. Les toits en tuiles sont essentiels pour «la perception du site historique et pour l'effet esthétique global.»
Le conseiller national Vert'libéral Jürg Grossen reçoit régulièrement des appels de propriétaires frustrés qui ne parviennent pas à installer des panneaux solaires sur leur propriété. «Je ne suis pas non plus favorable à la transformation de vieilles villes entières, concède Jürg Grossen. Mais les techniques actuelles permettent de construire des installations solaires même dans des zones présentant des exigences esthétiques particulières. Si cela ne suffit pas, alors quelque chose ne va pas.»
C'est pourquoi, selon Jürg Grossen, un changement de mentalité devrait également avoir lieu en de nombreux endroits en ce qui concerne la protection des sites. «Sinon, celle-ci deviendra un frein énorme à la transition énergétique.»
Les voisins aussi peuvent être un frein
Patrick Schoeck est responsable de la culture du bâti à Patrimoine suisse. Il conteste: «L'objectif de la stratégie énergétique de la Confédération peut être atteint sans assouplir les dispositions de protection.» Selon lui, une installation de 30 mètres carrés sur une maison individuelle ne décide pas du sort du tournant énergétique. «Il serait plus judicieux de rendre le solaire obligatoire sur les sites commerciaux qui offrent des centaines de milliers de mètres carrés de surface.»
Pour les propriétaires bloqués par de la paperasse, c'est une maigre consolation. Mais les autorités locales ne sont pas les seules à faire obstacle au tournant énergétique - parfois, ce sont aussi les voisins. Comme dans le cas de Jürg Wisbach, qui a acheté en 2017 une petite maison à Sigriswil (BE) et a ensuite posé une installation solaire sur son toit. Le problème: Jürg Wisbach n'avait pas pensé à son voisin... Celui-ci s'est plaint d'être constamment ébloui par l'installation sur sa terrasse et a fait opposition.
Un expert cantonal a constaté que le voisin ne pouvait voir l'installation que partiellement - et pas du tout en position assise dans sa maison. Ce dernier a tout de même maintenu son opposition. Jürg Wisbach a alors payé de sa poche une expertise qui lui a également donné raison.
Mais le voisin est resté imperturbable. Finalement, le canton a lui aussi fait réaliser une expertise - qui a de nouveau conclu qu'il n'y avait aucune objection à l'installation. A présent, Jürg Wisbach doit aussi payer cette expertise.
Une grande marge de progression pour l'écologie
Jürg Wisbach a dépensé 17'000 francs pour l'installation solaire. Les dépenses liées aux oppositions lui ont coûté 8000 francs supplémentaires. Le voisin, quant à lui, ne paie pas un centime. En effet, ce n'est pas l'opposant qui doit apporter de preuve et donc payer les frais, mais le constructeur de l'installation. C'est ce que prévoit la loi sur la protection de l'environnement.
«Il suffit d'un seul voisin pour retarder de tels projets pendant des années», explique Jürg Wisbach. Entre-temps, il a pu mettre son installation en service. Mais il s'attend à tout moment à de nouvelles oppositions. «L'incertitude demeure, tout comme le risque financier, déclare Jürg Wisbach. C'est pesant.»
Le sort du tournant énergétique se décide donc aussi dans les communes. Et il y a encore une grande marge de progression. Si la Suisse veut davantage d'énergie solaire, il lui faudra moins de formalités administratives.
(Adaptation par Lliana Doudot)