Des fautes aux coûts exorbitants
Peut-on faire confiance à Eva Herzog et ses casseroles financières?

La candidate PS au Conseil fédéral a été liée à diverses affaires financières en tant que conseillère d'Etat - mais aucun scandale ne lui a collé à la peau. Est-ce grâce à l'entraide bâloise? Blick et le magazine en ligne Bajour proposent une enquête conjointe.
Publié: 05.12.2022 à 06:45 heures
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Dernière mise à jour: 05.12.2022 à 07:00 heures
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Le 26 novembre, le chef du groupe PS Roger Nordmann a présenté les candidates officielles Elisabeth Baume-Schneider (à g.) et Eva Herzog.
Photo: keystone-sda.ch
Andrea Fopp, Reza Rafi

Une nouvelle figure illumine la Suisse: Eva Herzog, la candidate à la succession de la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga. La Bâloise est partout dans les médias: la «NZZ» loue sa «compétence financière», la «BZ Basel» sa capacité à forger des compromis, elle travaille «méticuleusement» et est «solide dans ses dossiers, ainsi que très appréciée», s'enthousiasme la SRF. Le récit de la conseillère aux Etats socialiste qui fait du zèle dans le domaine finances cantonales s'est installé à la vitesse de l'éclair.

Eva Herzog, l'infaillible? Des voix critiques provenant de l'opinion publique ne se sont en tout cas pas encore élevées pour remettre ses capacités en question. A Bâle, on préfère planifier une grande fête de la victoire dans le cas assez probable où la ville pharmaceutique serait à nouveau représentée au Conseil fédéral le 7 décembre, pour la première fois depuis près de 50 ans.

Rien ne doit perturber ce succès. Pourtant, le règne d'Eva Herzog n'a pas été aussi lisse que ne le laisse supposer ce qui se dit sur elle, bien au contraire: lorsque des nouvelles affaires financières secouaient le canton, elle a été plusieurs fois impliquée.

La débâcle du biocentre de l'université de Bâle

Il y a par exemple la débâcle de la construction du biocentre de l'université de Bâle: à l'automne 2021, l'université a inauguré sa nouvelle tour de laboratoires avec quatre ans de retard et environ 100 millions de francs de plus que les 328 millions de francs alloués. Les maîtres d'ouvrage étaient les deux demi-cantons de la ville et de la campagne.

Le parlement bâlois a fait examiner le cas par une commission d'enquête parlementaire (CEP). Sa conclusion est accablante: les causes principales du retard et des surcoûts sont «une planification et une perception insuffisantes des devoirs de surveillance et de diligence des organes responsables», peut-on lire dans le rapport du 24 août de cette année.

Le comité de pilotage, l'organe de décision stratégique du biocentre, comprenait entre autres le directeur des travaux publics de l'époque, Hans-Peter Wessels, ainsi que l'ex-directeur de l'instruction publique Christoph Eymann en tant que responsable du comité de surveillance et, à partir de 2017, son successeur Conradin Cramer (PLR).

La CEP blâme Eva Herzog

La CEP attribue également une «responsabilité particulière» à Eva Herzog. A l'époque de la planification du projet, elle a siégé au comité de pilotage de 2009 à 2013 en tant que directrice des finances. Le financement des coûts supplémentaires a également suscité des critiques. Car les 100 millions de francs supplémentaires devaient bien venir de quelque part. La direction de ces «négociations de partenariat» incombait à la trésorière Eva Herzog et à son homologue de Bâle-Campagne.

Leur solution n'était «pas correcte», blâme la CEP. En effet, selon l'organe d'enquête, Eva Herzog et ses collègues auraient demandé à l'université un préfinancement et auraient ainsi tenté de faire passer le flux d'argent devant le Parlement. Le Conseil de l'université était donc de mèche. Son président de l'époque, Ueli Vischer, parle aujourd'hui d'un «gâchis».

Face à Blick et au magazine bâlois en ligne Bajour, Eva Herzog souligne que le comité de pilotage «a assumé son devoir de diligence et de surveillance en son âme et conscience. Lorsque nous avons pris conscience des problèmes, nous avons immédiatement réagi.» Et le financement se serait déroulé «conformément à la loi sur les finances publiques».

Confusion autour de la Foire Suisse

Autre exemple: les remous autour de la Foire Suisse, qui faisait autrefois la fierté de la ville commerciale de Bâle. En 2013, la société d'exploitation MCH Group a inauguré un nouveau bâtiment de foire d'un coût de 430 millions de francs. Le canton a investi 90 millions de francs dans le nouveau bâtiment pour le salon de l'horlogerie et de la bijouterie - pour rien, comme on le voit aujourd'hui. Le prestigieux salon de l'horlogerie et de la bijouterie Baselworld a d'abord déménagé. Puis la pandémie est arrivée. Les conséquences financières ont également été supportées par les contribuables. Cette année, le Parlement a de nouveau voté 34 millions de francs pour une augmentation du capital de la foire.

Eva Herzog siégeait également au conseil d'administration. Ses concurrents politiques de l'UDC et des Verts libéraux ont exigé sans succès qu'elle et son collègue de parti Christoph Brutschin se retirent du CA; ils seraient «coresponsables» de la perte de valeur de l'entreprise et se verraient dans un conflit de rôles, car ils devraient représenter d'une part les intérêts de MCH Group et d'autre part ceux des contribuables.

Interrogée à ce sujet, Eva Herzog rétorque: «Le fait que le Grand Conseil bâlois ait accordé à MCH Group des moyens pour une augmentation de capital était une profession de foi en faveur d'une institution qui évolue dans un environnement exigeant - comme le montrent également les exemples extérieurs de Genève (Salon de l'automobile) et de Saint-Gall (Olma).»

Eva Herzog ne voit pas de conflits de rôles

En quoi consisterait le «conflit de rôles colporté», Eva Herzog ne le comprend pas. Les délégués publics au conseil d'administration représentent les intérêts du site de Bâle - «exactement comme par exemple les délégués publics de la ville et du canton de Zurich à l'aéroport de Zurich».

Mais il y a aussi l'affaire de la Banque cantonale de Bâle (BKB). Entre 2009 et 2015, l'établissement financier détenu par le canton a perdu plus de 90 millions de francs. La raison en était la collaboration avec une société de placement frauduleuse. L'Autorité de surveillance des marchés financiers (Finma) a prononcé un blâme et une sous-commission de la CdG est intervenue. Sa conclusion: Eva Herzog, en tant que conseillère d'Etat responsable, n'a pas suffisamment assumé son devoir de surveillance.

Elle réfute: «Lorsque j'étais à la tête du département des finances, mon département a élaboré des directives pour une gestion des participations qui définissent les rôles du niveau opérationnel, du Conseil d'Etat et du Grand Conseil pour les entreprises proches de l'Etat. Ces nouvelles directives s'inspirent des principes directeurs de la Confédération (rapport sur le gouvernement d'entreprise du 13 septembre 2006) et reflètent l'état le plus récent d'une bonne gouvernance.»

Une figure dominante au Conseil fédéral?

Les cas cités n'excluent pas qu'Eva Herzog puisse être une excellente conseillère fédérale avec une vision complète de la politique européenne - et qu'elle devienne probablement une autre figure dominante au sein du gouvernement, comme certains l'espèrent à Berne. C'est sans doute pourquoi des journalistes, mais aussi des collègues de parti, décrivent avec respect la manière dont ils ont été rabroués par téléphone par Eva Herzog.

Même si elle était chargée de la surveillance et non de la responsabilité opérationnelle, comment Eva Herzog s'assurerait-elle, en tant que conseillère fédérale, qu'elle assume suffisamment son devoir de surveillance des grandes entreprises proches de la Confédération, et ce dans l'intérêt des contribuables? Jusqu'à présent, cette question n'a été posée que très, très discrètement.

Avec cette docteure en histoire, c'est, semble-t-il, toute une ville qui se présente au Conseil fédéral. Une ville à l'histoire prestigieuse et qui sait que la situation actuelle ne correspond pas à sa véritable vocation. Les humiliations ont été suffisamment subies. La «Basler Zeitung» et le «Läckerli Huus» sont entre les mains de Zurich, les Bernois ont pris le lead dans le football. Il est donc d'autant plus urgent qu'Eva Herzog soit à nouveau représentée au gouvernement du pays.

A Bâle, le PS et le PLD se serrent les coudes

C'est aussi pour cette raison que les scandales ne lui collent pas à la peau. Les sociaux-démocrates bâlois se sont parfaitement intégrés, on s'est arrangé avec les dynasties pharmaceutiques qui, en tant que mécènes, contribuent à financer la culture et la société et qui, en contrepartie, sont caressées dans le sens du poil par le bailli fiscal. Les multinationales permettent d'obtenir le PIB par habitant le plus élevé du pays, raison pour laquelle la candidate au Conseil fédéral a pu récemment faire remarquer avec fierté dans Blick qu'elle avait doublé les dépenses sociales en tant que directrice des finances. Les Jurassiens ne peuvent par exemple pas se permettre une chose pareille.

Le pouvoir politique est partagé entre le PS et les libéraux-démocrates du PLD, le parti traditionnel bâlois et de la bourgeoisie «ouverte sur le monde». Opposés par nature, le PLD et le PS se soutiennent souvent l'un l'autre en coulisses et devant les caméras. Les deux partis sont liés dans différentes fondations et institutions publiques.

Le rapport de la CEP sur le biocentre fournit un exemple de ce système: le 8 août, Christoph Eymann, membre du PLD, a demandé par mail aux auteurs de supprimer un paragraphe dans lequel les responsables sont cités dans leur fonction et leur relation. Christoph Eymann écrit: «Je demande poliment la suppression du passage (...) qui s'exprime sur la composition du comité de pilotage.» Cette discrète tentative d'influence a échoué.

Interrogé, Christoph Eymann a argumenté que le passage «n'était absolument pas pertinent pour l'activité d'examen de la CEP», que la constatation des inspecteurs ignorait en outre «les décisions politiques et notre système». Quant à l'accusation de copinage, il déclare: «Par 'copinage', on entend le népotisme et les accords déloyaux dans les affaires. Toutes les personnes mentionnées dans le rapport de la CEP, qui présentent la 'tare' (du point de vue de la CEP) d'appartenir au même parti, se sont engagées avec succès pour le développement de l'université et n'ont pas agi selon leurs propres intérêts.»

Jamais mise en cause publiquement

Le socialiste Hans-Peter Wessels, qui était assis à côté d'Eva Herzog lors de l'annonce de sa candidature au Conseil fédéral, avait pris la responsabilité de la débâcle du biocentre en 2019 en tant que directeur des travaux publics.

Christoph Eymann, en tant que responsable du comité de pilotage, a déclaré en octobre dernier à la «Basler Zeitung» qu'il se sentait éventuellement coresponsable. Un mois plus tard, la faculté de médecine lui a décerné le titre de docteur honoris causa.

Eva Herzog n'a jamais été mise en cause publiquement pour la solution financière controversée dans l'affaire du biocentre. C'est peut-être dû à ses compétences professionnelles. Et sans doute aussi à l'entraide qui règne à Bâle.

(Adaptation par Lliana Doudot)

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