Les trains de notre pays sont décidément pleins de surprises, surtout le dimanche soir. Tandis que dans le canton de Saint-Gall, un RER a eu un jeune bovidé comme passager, c'est une mésaventure tout aussi insolite qui a conclu le service ferroviaire à l'autre bout de la ligne IC 1, à Genève.
Tout commence avec les déboires d'un train sur le réseau français. Attendu en toute fin de soirée dans la cité de Calvin, le TER est entré en gare avec... trois heures et quart de retard. «Imaginez-vous que dans cette rame, il y avait des passagers d'un TER précédent qui avait déjà eu plus de deux heures de retard supplémentaires», précise Sébastien.
L'homme est connu des fidèles lecteurs de Blick et surtout des internautes de Twitter: c'est lui qui en met plein la vue des amateurs de train (et pas seulement) sur le réseau social à l'oiseau bleu ainsi que sur Instagram. Il nous avait raconté sa passion communicative pour le monde ferroviaire, en décembre 2021.
Retour ce dimanche, à Genève. Sébastien, qui accepte désormais de dévoiler son vrai prénom, a notamment assisté au départ des fans du FC Winterthour, dont l'équipe a conquis de haute lutte le point du match nul contre le Servette FC en Super League.
Mais c'est la suite de la soirée, ou plutôt de la nuit, qui a davantage intéressé les followers du pilote. Il est alors presque une heure du matin et Sébastien, réserviste encore quelques minutes, est bien loin de se douter qu'il va jouer un rôle prépondérant dans la fin de la nuit des voyageurs en question.
Il est 1h40 lorsque le TER français entre enfin en gare à Cornavin. «Vous imaginez la joie qui se lisait sur leurs visages», rigole a posteriori l'employé des CFF. En tout, environ huitante personnes se retrouvent sur un quai de gare, au milieu de la nuit.
Problème: Sébastien n'est planifié que jusqu'à 2h15. Que faire? À situation exceptionnelle, réaction exceptionnelle. Pendant qu'une annonce invite les voyageurs en rade à se rendre sur la voie 2, le pilote de locomotive va chercher un train. «Ce n'est pas du tout un souci au milieu de la nuit. On a pris une rame Flirt du réseau Léman Express, qui a connu son premier voyage outre-Coppet», sourit Sébastien, amusé de ses heures supplémentaires.
Un taxi sur rails
Tandis que les heureux — ou moins malheureux — habitants de la région genevoise ont été acheminés par taxi aux frais des CFF et qu'une nuitée d'hôtel a été offerte au seul voyageur domicilié à Berne, le train spécial a ramené les habitants de l'Arc lémanique, précise à Blick le porte-parole des CFF, Frédéric Revaz.
C'est là où l'histoire trouve tout son sel. À l'impulsion de Sébastien et de son collègue actif dans l'aiguillage du train, le convoi de nuit est devenu une sorte de taxi sur rails. «Après avoir plaisanté avec les voyageurs en rade sur le quai, je les ai fait monter dans la rame et j'ai pris les commandes: chacun a pu me communiquer la gare la plus proche de chez lui, pour qu'il ou elle soit récupérée par sa famille ou un taxi jusqu'à la maison», explique le pilote de train.
Son collègue chargé de la circulation s'étant assuré de la faisabilité de cet itinéraire aussi «à la carte» qu'inédit, le convoi a finalement pu se mettre en mouvement et ramener les voyageurs pour quelques heures de repos bien mérité. «Après avoir passé des heures dans une rame SCNF en galère, ils étaient contents, témoigne le pilote. Et chacun a pu, dans sa gare, dire au revoir à ses dizaines de compagnons d'infortune.»
Pour Sébastien, ce service de piquet, dont il se souviendra, s'est terminé encore plus tard, le temps de ramener la rame Flirt à Genève puis d'aller se coucher aux aurores. Mais le jeune pilote de 27 ans ne veut pas du tout tirer la couverture à lui. Loin de là: «C'est tombé sur moi ce jour-là, mais ce n'est pas mon rôle que j'ai voulu mettre en avant. C'est le système: des convois spéciaux, ça peut s'organiser n'importe comment, avec de la bonne volonté.» Et la mésaventure s'est transformée en aventure.
À lire les commentaires sur Twitter, les internautes français doutent de la propension de la SCNF — qui dédommagera les clients pour leurs éventuels frais — à pouvoir mettre sur pied (ou rails) une telle opération. Le service de presse des CFF paraît presque étonné d'avoir à commenter cette décision. «Même si le train retardé est exploité par une autre compagnie, nous ne laissons pas les clients en rade et les acheminons à destination», conclut Frédéric Revaz. Promesse tenue.