Au bout du fil, son accent trahit ses origines américaines. Daniel Warner, politologue américano-suisse, spécialiste des Etats-Unis (USA), basé à Genève, livre son regard sur une élection américaine qui promet de bouleverser le monde. Et les relations bilatérales entre la Suisse et les USA, notamment l’équilibre de la Genève internationale.
En 2023 la Suisse a importé des biens en provenance des USA pour une valeur de 29,7 milliards de francs. Et ses exportations se sont élevées à 56,6 milliards de francs, ce qui fait des États-Unis la principale destination des exportations de marchandises suisses. Or, durant sa campagne, Donald Trump a promis une hausse des droits de douane sur les produits importés.
La Suisse a-t-elle du souci à se faire? Pour l’ancien adjoint de Directeur à l’Institut de hautes études internationales et du développement de Genève (IHEID), l’impact sera davantage diplomatique qu’économique.
Daniel Warner, l’élection de Donald Trump est-elle une bonne ou une mauvaise nouvelle pour la Suisse?
Ça dépend de quelle Suisse on parle. Si on parle de la Genève internationale, l’élection de Trump est une mauvaise nouvelle. Trump est une personne «transactionnelle», c’est-à-dire qu’il ne comprend pas les organisations institutionnelles de coopération internationale. Il suffit d’écouter ses commentaires sur l’OTAN (ndlr: il a déclaré à de nombreuses reprises vouloir se désengager partiellement de l’Alliance atlantique). L’administration Biden n’était pas non plus une fervente défenseure de la Genève internationale et de son multilatéralisme, mais avec Trump, ce sera bien pire.
Et pour l’économie de notre pays?
Le mantra de Trump, c’est America first (L’Amérique d’abord). Il veut promouvoir les biens produits aux USA. Pour des produits pharmaceutiques par exemple, qui ne peuvent être produits sur sol américain, il a promis d’augmenter les tarifs douaniers, notamment de 10% pour des pays comme la Suisse. Mais entre ce que Trump dit et ce qu’il fait… Il y a beaucoup d’échanges commerciaux entre la Suisse et les USA mais le pays ne représente pas une menace compétitive pour lui comme peut l’être la Chine. J’ai davantage peur pour la Genève internationale que pour l’industrie pharmaceutique suisse ou les banques.
D’ailleurs, lors de son premier mandat (2017-2021), Trump avait tourné le dos au Conseil des droits de l’homme, s’était retiré de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en pleine pandémie, et avait provoqué des blocages au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), on s’achemine vers le même scénario?
Tout à fait. Trump n’aime pas les organisations internationales. Il ne comprend pas le multilatéralisme et la coopération lui est complètement étrangère. L’impact de son premier mandat avait été très négatif pour la Genève internationale.
Les USA sont le plus grand marché exportateur pour la Suisse. Les entreprises suisses ont-elles du souci à se faire?
Les deux pays ont des tailles quand même très différentes. La Suisse ne représente pas une menace pour les USA comme la Chine. Et puis, la Suisse ne fait pas partie de l’Union européenne (UE), ce qui est sans doute un point positif pour Trump. Il faut voir comment la Suisse peut apporter un complément à l’économie américaine, toujours dans une logique d’America first. C’est dans l’intérêt des Américains que Donald Trump va travailler, pas dans celui d’un monde globalisé. Il ne faut pas se faire d’illusions.
Que faut-il craindre?
Trump va essayer de saboter beaucoup d’organisations internationales, notamment des organisations humanitaires. Il risque de mettre la Suisse dans des situations diplomatiques compliquées. J’ai, par exemple, été très choqué des propos tenus par Albert Rösti lorsqu’il s’est déclaré en faveur du républicain. Tout d’abord, parce qu’un conseiller fédéral a un devoir de réserve, mais surtout que diplomatiquement parlant, la victoire de Trump va mettre à mal les efforts de la Suisse dans ce domaine.
Un exemple?
Pour ce qui est de l’invasion russe en Ukraine, Trump ne va pas s’inscrire dans la continuité de ce qui a été fait par la Suisse lors de la conférence sur la paix au Bürgenstock. Il se moque des initiatives lancées par Ignazio Cassis. Pour Trump, la résolution de la guerre est une question unilatérale. Il ne va pas travailler main dans la main avec la Suisse. Il a toujours dit qu’il réglerait la situation avec un coup de fil à Vladimir Poutine… Il n’est pas très fort pour la coopération.
Vous êtes inquiet?
Trump est si imprévisible qu’il est compliqué de savoir ce qu’il va faire. En prônant le America first, il montre qu’il n’a pas de stature présidentielle, qu’il ne comprend rien au multilatéralisme. C’est une honte pour un pays comme les USA. Donc oui, je suis inquiet.