Ne travailler que quatre jours au lieu de cinq ou prendre dix semaines de vacances au lieu de cinq: ce qui semble relever de la rêverie se matérialise pourtant dans un nombre croissant d’entreprises de restauration et d’hôtellerie en Suisse. Par exemple à l’auberge Löwen à Hausen am Albis, commune zurichoise, où la propriétaire, Joëlle Apter, a envoyé tous ses employés en congé payé pendant deux mois.
L’hôtel de luxe Cervo de Zermatt suit un modèle similaire. Une partie des employés disposent chaque année de dix semaines de «temps libre». Cela comprend les vacances, les jours fériés et les compensations. Les employés doivent les prendre durant l’intersaison, lorsque l’hôtel est fermé. «Cela permet aux employés d’obtenir un contrat à l’année au lieu d’un poste saisonnier», explique le directeur de l’hôtel, Benjamin Dietsche.
Sur la pénurie de personnel en Suisse
Les petites entreprises ne peuvent pas suivre
Dans la même veine, l’année dernière, le groupe hôtelier 25 Hours est passé avec succès à la semaine de quatre jours. «Depuis, nous recevons 30% de candidatures en plus, se réjouit le directeur, Lukas Meier. Nous avons maintenant à nouveau le luxe de pouvoir choisir entre les différents profils.»
Le secteur est en proie à une pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Des modèles de travail innovants, adaptés à la jeune génération Z, offrent une issue. Mais pas pour tous, prévient Ruedi Bartel, président de l’association professionnelle cantonale Gastro Thurgau: «Les petits établissements n’ont aucune chance de proposer cela.»
Il dirige l’auberge Krone à Balterswil, en Thurgovie, qui emploie sept personnes. Pour lui, il n’est pas possible de prendre plus de cinq semaines de vacances. Il devrait inévitablement fermer le restaurant, si le personnel partait aussi souvent – et ainsi renoncer à des recettes. Ruedi Bartel ne peut pas non plus se permettre de travailler quatre jours par semaine. Le président de Gastro Thurgau sait que divers petits établissements de la campagne sont dans le même cas.
Lukas Meier, des hôtels 25 Hours, admet lui aussi que les frais de personnel ont augmenté avec le nouveau modèle de travail. Ses employés travaillent 9 heures et demie quatre jours par semaine – et reçoivent ainsi une demi-journée de travail en cadeau, par rapport au modèle précédent: «C’est un investissement à long terme qui en vaut la peine pour nous.»
Des fermetures, faute de relève
Revers de la médaille: pour les bistrotiers ruraux comme Ruedi Bartel, il sera encore plus difficile de trouver du personnel. «Ils ont des offres plus lucratives ailleurs, explique le propriétaire. Certains établissements doivent même fermer à cause de cela.»
C’est notamment le cas du Rössli à Lengwil-Oberhofen, en Thurgovie. Le restaurateur Roland König a jeté l’éponge l’automne dernier. «Les batteries sont vides», écrit-il sur son site Internet. «Avec le personnel actuel, il n’est tout simplement plus possible de gérer les pics d’activité», avait-il alors déclaré à la «Thurgauer Zeitung».
D’autres bistrots, spécialement dans les régions rurales, ferment parce qu’ils ne trouvent pas de successeur. C’est le cas du Hirschen à Gloten, en Thurgovie. Fin novembre, le couple de restaurateurs Cäcilia et Ruedi Grob-Koster a, lui aussi, éteint pour la dernière fois les lumières du bistrot du village, après plus de trois décennies. Depuis, le Hirschen reste dans le noir: personne ne veut reprendre le restaurant.
Une goutte d’eau dans l’océan
«De plus en plus de petits villages à la campagne n’ont plus de restaurant, regrette Ruedi Bartel. La vie associative en souffre également. Ils n’ont plus d’endroit où se retrouver après une répétition ou un entraînement.»
Même dans les régions urbaines, le manque de personnel qualifié continue de peser sur le secteur. La chaîne de saladeries alémanique Not Guilty, qui compte trois magasins dans la ville de Zurich, a par exemple récemment installé un panneau d’information dans une de ses filiales, indiquant que les heures d’ouverture seront réduites – en raison du manque de personnel.
La fin de la pénurie de personnel qualifié dans la restauration – et dans d’autres branches – n’est pas en vue en raison de l’évolution démographique. L’association faîtière nationale GastroSuisse a spécialement lancé un plan en cinq points pour assurer l’avenir de la branche. L’association veut par exemple investir dans la relève par le biais de programmes de reconversion professionnelle. Mais ces mesures semblent être rien de plus qu’une goutte d’eau dans l’océan.