«C'est un cadeau de noël offert par le contribuable»
Ce contrat juteux entre la Confédération et Microsoft suscite la colère à Berne

La Confédération vient de conclure en toute discrétion un énorme contrat avec Microsoft. Avec à la clef, des licences de logiciels et – surtout – beaucoup d'argent dépensé. De leur côté, experts et politiques s'inquiètent de la dépendance de Berne aux géants de la tech.
Publié: 21.01.2025 à 15:10 heures
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La Confédération a acquis pour 150 millions de francs de licences de logiciels Microsoft.
Photo: keystone-sda.ch
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Céline Zahno

La Confédération vient de débourser 150 millions de francs pour s'offrir des licences de 3 ans pour l'utilisation de logiciels de bureautique. Peu avant Noël, elle a publié les détails l'adjudication, et a ainsi confirmé avoir retenu l'offre du géant Microsoft. 

«Quel gros cadeau de Noël de la part de nous autres contribuables», s'insurge Matthias Stürmer, professeur de numérisation à la Haute école de Berne, sur LinkedIn. «Tout cela bien sûr sans appel d'offres, sans concurrence, par pure dépendance.» Et effectivement, ce qui est frappant, c'est que Microsoft a raflé les 150 millions sans être soumis à la moindre concurrence, l'Office fédéral des constructions et de la logistique (OFCL) lui ayant tout simplement attribué le contrat de gré à gré.

Attribution sans concurrence

Or, selon la loi, les prestations de service d'un montant supérieur à 230'000 francs devraient faire l'objet d'un appel d'offres public, ceci afin de garantir une concurrence favorable au contribuable. Dans le cas du contrat entre la Confédération et Microsoft, cette valeur-seuil est largement dépassée.

Quelques rares exceptions peuvent toutefois être autorisées, notamment lorsqu'un seul prestataire entre en ligne de compte. Un argument précisément brandi par l'OFCL qui explique l'absence d'appel d'offres par «la profonde intégration dans l'environnement du système existant et par de multiples interdépendances des applications spécialisées.» Autrement dit: seuls les logiciels de Microsoft, déjà employés jusqu'à présent, permettent à l'Administration fédérale de faire son job en toute sécurité.

Il est donc juste de dire que la procédure d'achat n'est pas illégale. Mais là n'est pas le problème, estime Matthias Stürmer: «L'attribution de tels contrats de gré à gré devrait être une exception», déclare l'expert à Blick. «Or, dans l'informatique, il y a un pourcentage très élevé d'adjudications de gré à gré. Elles ne vont pas seulement à Microsoft, mais aussi à SAP ou encore à Adobe.» Il se dit particulièrement étonné par la teneur du contrat passé avec Microsoft. «Le volume est énorme et l'adjudication a été publiée juste avant Noël donc peu de gens ont la possibilité de déposer un recours.»

L'attribution de Microsoft a déjà occupé le tribunal

Ce n'est pas la première fois qu'un contrat est noué aussi discrètement avec Microsoft. Un cas avait notamment fait grand bruit en 2009, lorsque la Confédération avait acheté des licences de 3 ans à Microsoft pour un montant de 42 millions de francs, là aussi sans appel d'offres public.

Plusieurs fournisseurs de logiciels open source avaient alors déposé un recours auprès du Tribunal administratif fédéral. Celui-ci avait dans un premier temps annulé le contrat. Le recours avait toutefois fini par être rejeté, le tribunal ayant finalement estimé que les fournisseurs de logiciel n'étaient pas légitimes à recourir.

«La Confédération est sous influence étrangère»

Le conseiller national fribourgeois Gerhard Andrey (Les Vert-e-s) juge la dépendance de la Confédération aux grands fournisseurs informatique problématique. Selon lui, il existe aujourd'hui de très bonnes alternatives, y compris en Suisse, notamment dans le domaine de la bureautique. «Mais les grands groupes numériques sont très doués pour se placer en tant que soi-disant alternative: ils intègrent constamment de nouveaux produits par la petite porte et la Confédération est obligée de les acquérir, ce qui la rend dépendante», estime-t-il.

Le Fribourgeois appelle la Confédération à aller de l'avant et à proposer une alternative aux géants de l'informatique, afin de gagner en indépendante. Gerhard Andrey place ses espoirs dans le Swiss Government Cloud, actuellement en cours de construction. Cette plateforme doit devenir l'infrastructure informatique centrale des autorités.

La Confédération semble, elle aussi, consciente de l'enjeu. «Des efforts sont déjà entrepris pour réduire les dépendances vis-à-vis de certains fournisseurs», explique l'OFCL. L'utilisation de logiciels accessibles à tous doit être activement encouragée. Cette année, il est prévu de renforcer les échanges internationaux dans ce domaine.

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