Ils rêvent de gloire, de fortune et de stades en feu. Mais pour beaucoup de jeunes footballeurs suisses, la carrière s’arrête avant même d’avoir vraiment commencé. Que deviennent-ils alors, une fois les crampons raccrochés? Comment rebondir quand les rêves s’éteignent plus vite que prévu, parfois sans véritable plan B?
C’est l’histoire folle de Johnny*, un ancien joueur professionnel passé par un club d’élite du football suisse, aujourd’hui relégué aux terrains plus modestes de Promotion League. Une trajectoire marquée par des rêves de grandeur, des dettes… et des désillusions.
Car Johnny n’a pas seulement fait rêver sur le terrain: il a aussi convaincu amis et investisseurs d’injecter de l’argent dans ses «business», entre achat-revente de montres de luxe et lancement d’une marque de chauffe-biberons. Séduits par ses discours et ses promesses, plusieurs d’entre eux ont misé des dizaines, parfois des centaines de milliers de francs. Aujourd’hui, la question se pose: reverront-ils un jour leur argent?
Plainte déposée
Après lui avoir prêté plus de 200’000 francs, un entrepreneur valaisan a décidé de porter plainte. D’autres proches auraient, eux aussi, financé ses projets, sans, pour certains, jamais revoir leur mise.
En Valais, le Ministère public poursuit désormais Johnny, notamment pour abus de confiance et escroquerie. Le dossier étant toujours en cours d’instruction, la date du procès de Johnny, présumé innocent, n’a pas encore été fixée, nous indique la procureure générale Béatrice Pilloud.
De la Porsche aux montres de luxe
Blick a rencontré l’entrepreneur qui a saisi la justice. Respecté dans son milieu, il souhaite rester anonyme, mais a accepté de raconter cette histoire qui lui reste en travers de la gorge. Au fil des années, il a prêté plus de 200’000 francs à Johnny, convaincu par ses discours et l’illusion d’un retour sur investissement rapide.
«C’est un beau parleur, confie le Valaisan. Il avait envie de se refaire. Son but, c’était de devenir millionnaire. Il m’a touché.» L’entrepreneur rencontre le joueur en 2015, alors qu’il sponsorise son club de l’époque. Ce dernier lui achète une Porsche, la transaction se passe normalement.
En 2020, Johnny propose à celui qu’il appelle «boss» d’investir dans des montres de luxe. Il connaît l’héritier d’une bijouterie qui lui offre la priorité sur les listes d’attente de montres prisées. L’achat-vente d’une première Rolex se passe comme sur des roulettes. L’entrepreneur est satisfait.
Les deals s’enchaînent, les montres disparaissent
Mais les choses dégénèrent dès la deuxième affaire. Le Valaisan continue sur sa lancée, mais les montres n’arrivent jamais. Lors de son audition, Johnny explique notamment que les objets de luxe ne sont pas «sortis» de chez son vendeur.
Cerise sur le gâteau? Les 150’000 francs remis par l’entrepreneur pour des montres en platine. Là encore, l’argent est «chez le vendeur». Mais les montres, mystère. Le Ministère public valaisan estime que Johnny a détourné la somme à d’autres fins.
Des montres aux biberons
C’est aussi ce que pense l’institution à propos de… la marque de chauffe-biberons du footballeur. En effet, bien loin du ballon rond et du luxe, Johnny a diversifié son business dans ce domaine inattendu. «Il y croyait à fond, se souvient sa victime valaisanne. Il disait qu’il avait déposé un brevet pour une technique unique, que ça allait être un carton. Au début, je ne voulais pas, et puis je lui ai prêté 80’000 francs», regrette le Valaisan. Une somme qu’il donne à Johnny en espèces.
Un geste que l’entrepreneur regrette aujourd’hui. D’abord parce qu’il n’a jamais revu son argent. Johnny l’a partiellement «versé sur son compte personnel», un peu instillé dans sa marque de biberons, et principalement «utilisé à d’autres fins», écrit la procureure qui instruit l’affaire dans sa communication de fin d’enquête, que Blick a pu consulter. Mais surtout, le Valaisan a été trompé.
Faux comptes, vraie confiance trahie
«C’était en avril 2022, il m’a dit qu’il serait riche à la fin de l’année, mais que son argent était bloqué jusqu’à fin mai.» Pour preuves, Johnny montre à son créancier deux relevés de comptes, fournis à hauteur de 750’000 francs. «Il m’a même envoyé une carte de la Banque cantonale vaudoise avec le même IBAN que sur les attestations», témoigne l’entrepreneur.
Or, tout est faux. Pourquoi a-t-il présenté ces tromperies, demande le Ministère public à Johnny en mars 2024? «Jusqu’à aujourd’hui, je ne sais pas, répond-il. C’est complètement stupide. Je ne sais pas quel était le but.» La procureure tente une explication: «Pour mettre en confiance et faire en sorte que [l’entrepreneur] vous verse cet argent?»
«Clairement oui», répond Johnny. Il ajoute: «Je sais que même sans faire cela, il m’aurait de toute façon aidé pour ce montant.»
Ami déçu
Un aveu qui semble teinté de cynisme. Car l’entrepreneur valaisan est décrit comme «patient, gentil et compréhensif» par une autre victime de Johnny. Un ancien coéquipier et ami de longue date, qui lui a prêté 80’000 francs.
Contacté par Blick, ce trentenaire raconte que Johnny a une version assez personnelle de la vérité, de la réalité. «Il a cette manie de dire des mensonges depuis tout petit, souligne-t-il. Mais nous, ses amis, pensions qu’il était devenu plus mature.»
Lausanne, c’est fini
Cette victime lausannoise explique que le footballeur ne met plus les pieds dans la capitale vaudoise. «Il a emprunté trop d’argent à trop de monde. Il emprunte pour rembourser les autres et ça n’en finit plus. Il ne veut plus se montrer. Il ne se passe pas deux mois sans que j’entende parler de lui pour des histoires d’argent.»
L’ex-footballeur a cru en l’entreprise de chauffe-biberons. «Ça partait d’une bonne idée, mais il a mal géré, relate-t-il. Les clients n’étaient pas contents, ils ne recevaient pas leurs commandes.»
Aujourd’hui, le site d’évaluations Trustpilot recense des dizaines de commentaires de clients fâchés d’avoir payé sans jamais recevoir leurs colis. Entre-temps, Johnny aurait continué d’emprunter de l’argent à ses proches, notamment à son beau-père, selon nos sources. Contacté par Blick, ce dernier n’a pas souhaité faire de déclaration. Un autre joueur de foot aurait également perdu plusieurs dizaines de milliers de francs.
Plus d’espoir
En attendant le procès, son créancier valaisan réalise qu’il a peu d’espoir de revoir ses sous, malgré les reconnaissances de dettes signées par Johnny. Même son de cloche pour son ancien coéquipier. «Johnny ne semble pas avoir de limites, estime l’entrepreneur. J’aimerais surtout que ça cesse. Il m’a remboursé 76’000 francs, mais c’était il y a deux ans, et il manque une énorme partie.»
Ces reconnaissances de dettes, Johnny dit les avoir signées «pour rassurer» ceux qui ont cru en lui et investi dans ses affaires. Lors d’un coup de fil avec Blick, il explique sa version des faits. «J’assume ce que j’ai fait, je ne recommencerai plus jamais, assure-t-il. Je gagnais très bien ma vie avant. J’ai lancé mon business parce que j’ai fait confiance à une personne. Mais je me suis fait avoir.»
Le souhait de Johnny? Rembourser
Cette personne, Johnny ne la nommera pas. «Je veux récupérer mon argent et rembourser les gens. Je n’ai aucun intérêt à la dénoncer et qu’elle soit jugée à son tour.» Tout ce que souhaite le jeune homme, c’est que le procès soit derrière lui pour pouvoir payer les investisseurs. «C’est la seule manière de régler les choses. J’y pense tous les jours, ces deux dernières années ont été compliquées. Je n’ai pas fait ça sciemment.»
Johnny regrette que l’entrepreneur valaisan n’ait pas attendu que les bénéfices soient suffisants pour être remboursé. «Ça n’existe pas un retour sur investissement au bout de deux ans. Il aurait dû me laisser le temps.»
*Nom connu de la rédaction