Vendredi, c'était jour d'entretiens de Watteville à Berne: les dirigeants des partis gouvernementaux rencontraient le Conseil fédéral. Au menu: du Covid, évidemment, mais aussi de l'Europe et, plus inhabituel, la candidature suisse au Conseil de sécurité de l'ONU.
Pour rappel, pour la première fois depuis son adhésion aux Nations Unies il y a 20 ans, la Suisse est candidate à un siège non permanent au Conseil de sécurité. Un mandat de deux ans pour lequel le Conseil fédéral a déposé une candidature en 2011, qui a été confirmée par le gouvernement et le Parlement à plusieurs reprises.
Le dossier doit être traité cet été à New York. Et le message donné vendredi aux partis par le président de la Confédération et ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis est clair: nous sommes sur la bonne voie.
Mais vendredi soir, une lettre du ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov venait changer la donne. Dans cet envoi rendu public par des journalistes de CH-Media et de Tamedia, la Russie ne demande rien de moins que la Suisse annonce sa position dans le conflit entre Moscou et l'Occident - une situation que les Russes ont eux-mêmes provoquée par leur présence militaire massive à la frontière avec l'Ukraine.
Le département des Affaires étrangères (DFAE) de Cassis ne veut rien précipiter et déclare que la demande de la Russie serait discutée au sein de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
«Nous jetons la neutralité à la poubelle!»
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L'UDC Roland Rino Büchel, membre de la commission de politique extérieure du National, s'en inquiète: «Nous sommes sur le point de jeter notre neutralité à la poubelle, avertit le Saint-Gallois. Qu'en sera-t-il lorsque nous serons effectivement assis à la table des grandes puissances au Conseil de sécurité?» Il est, selon lui, grand temps de mettre fin à cet «exercice incendiaire».
La candidature a suscité des résistances dès le début. Mais ses partisans ont toujours pu compter sur une majorité confortable au Palais fédéral. Lorsque le Conseil fédéral a présenté le projet en 2011, Barack Obama était encore au pouvoir à la Maison Blanche et se moquait de la Russie en la qualifiant de «puissance régionale». Un peu plus de dix ans plus tard, cette même «puissance régionale» défie l'Occident avec une agressivité sans précédent depuis la fin de la Guerre froide.
Tels sont les nouveaux et dangereux signes avant-coureurs sous lesquels la Suisse devrait s'affirmer au Conseil de sécurité. Sans parler de l'apparition martiale de la Chine sur la scène internationale.
L'UDC tente aujourd'hui de tordre le cou au projet à la dernière minute. Lorsque le Parlement se réunira à Berne pour la Session de printemps à la fin du mois, le parti imposera une Session extraordinaire des Chambres fédérales au sujet de la candidature au Conseil de sécurité. Pour la convoquer, un quart des voix d'une chambre est nécessaire. Or, l'UDC disposant de 55 sièges sur 200, elle n'aura aucune peine à l'obtenir comme elle l'avait fait pour réclamer la fin de toutes les mesures Covid lors de la dernière session.
La Suisse courtisée
Les propositions sont déjà prêtes, a confirmé le président du groupe Thomas Aeschi à Blick. Leur teneur est simple: le Conseil fédéral doit renoncer à sa candidature. «L'UDC veut que tous les partis se prononcent à nouveau pour ou contre la candidature de la Suisse au Conseil de sécurité de l'ONU avant l'élection prévue en juin 2022», explique le conseiller national Thomas Aeschi. Le Zougois estime que la neutralité suisse est gravement menacée: «La situation en Ukraine met encore une fois en évidence les dangers de cette candidature.»
Selon lui, l'UDC ne veut pas que la Suisse doive choisir son camp. «Les tentatives de pression ont déjà commencé, il fallait s'y attendre, a déclaré Thomas Aeschi. Personne ne peut être surpris que les grandes puissances tentent maintenant de mettre la Suisse de leur côté».
Cette intervention peut-elle stopper dans la dernière ligne droite un processus en cours depuis des années? Pour cela, il faudrait que le signal du Parlement en direction du Conseil fédéral soit très clair. Mais l'UDC peut avoir de l'espoir, parce qu'elle n'est pas seule - le président du Centre Gerhard Pfister ne croit pas non plus à l'entrée au Conseil de sécurité. Lui aussi interprète la demande de Lavrov comme un avant-goût de futurs conflits. «Le DFAE n'y arrivera pas», a-t-il résumé vendredi soir sur Twitter.
Avant même que l'ONU ne décide à New York du destin de la candidature suisse, le Parlement va donc être contraint de clarifier un peu mieux la ligne de Berne. Et ce quelle que soit la réponse donnée à la Russie.