Richard Werly
Les mensonges anglais ne sauveront pas la Suisse face à Bruxelles

God save the Queen! Et après? Alors que le jubilé royal britannique fait oublier le Brexit, les Européens ne décolèrent pas. Pour eux, le Royaume-Uni n'est plus un partenaire fiable. Ceux qui, en Suisse, rêvent d'un «modèle» anglais devraient s'en souvenir.
Publié: 02.06.2022 à 14:32 heures
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Dernière mise à jour: 02.06.2022 à 16:39 heures
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Le président de la Confédération et son épouse Paola ont été reçus à Londres par la Reine Elizabeth il y a quelques semaines.
Photo: imago/i Images
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Richard WerlyJournaliste Blick

Trahison. Mensonges. Duplicité. Malhonnêteté. Voilà les mots que les interlocuteurs européens de Londres utilisent pour décrire les réponses – à géométrie variable – du gouvernement britannique sur la mise en œuvre de l’accord de divorce avec l’Union, et en particulier du fameux protocole nord-irlandais.

Bien sûr, de tels termes assassins ont ces derniers jours disparu du paysage médiatique, pour faire place aux applaudissements royaux. «God save the Queen», et vive la reine Elizabeth II, qui célèbre à partir de ce jeudi 2 juin ses 70 ans de règne sur le Royaume-Uni.

Mais à Bruxelles, la colère ne se dément pas. Surtout depuis que Boris Johnson a annoncé, le 17 mai, son intention de légiférer dans les prochaines semaines pour revenir sur les contrôles post-Brexit, qui ont replongé l’Irlande du Nord dans une grave crise politique…

Remplacer l’accord institutionnel

Trahison. Mensonges. Duplicité… Est-ce là des mots que le Conseil fédéral souhaite entendre dans la bouche des négociateurs européens, et dans l’entourage du Commissaire slovaque Maros Sefcovic, d’accord pour se rendre à Berne à la fin juin fin d’essayer d’y débloquer le dossier empoisonné des relations bilatérales entre la Suisse et l’Union européenne?

On espère que non. Car l’enjeu va bien au-delà, en cette année 2022, de la capacité ou non des deux parties à accoucher d’un projet capable de remplacer l’accord institutionnel rejeté par la Suisse le 26 mai 2021.

«C’est insensé!»

«Nous sommes entrés dans un monde violent engendré par le retour fracassant des Empires. La Suisse pense-t-elle vraiment que, cette fois encore, elle peut s’en tirer seule? Dans ce cas, pourquoi avoir décidé d’appliquer les sanctions européennes contre la Russie?» s’est exclamé l’eurodéputé belge (et ancien premier ministre) Guy Verhofstadt, qui vient de présider la Conférence sur l’avenir de l’Europe, achevée le 9 mai.

Venu à l’Université de Genève pour y débattre des suites de cet exercice démocratique inédit au niveau communautaire (associant élus, gouvernements, commission européenne et citoyens tirés au sort), l’intéressé a ensuite évoqué l’attitude de Londres vis-à-vis de Bruxelles: «Les Britanniques foulent aux pieds l’accord qu’ils ont négocié et signé avec leur principal partenaire économique. C’est insensé. Ils sont dans la roue des États-Unis pour tout, et espèrent profiter de la guerre en Ukraine pour revenir sur le devant de la scène. Ce n’est pas un modèle. C’est une bombe à retardement».

Ignazio Cassis et la Reine Elizabeth II

Le message mériterait d’être répété à Ignazio Cassis, qui s’est rendu en visite officielle à Londres à la fin avril, promettant sur place «un futur accord de libre-échange ambitieux». Le président de la Confédération et son épouse Paola y ont même été reçus par la Reine Elizabeth. Une belle photo en témoigne, à l’unisson du jubilé de ces trois prochains jours qui voit la capitale britannique se transformer en ode à la monarchie.

Mais la politique ne se fait pas à Buckingham Palace. Elle est, au 10 Downing Street, aux mains de l'affabulateur Boris Johnson, imprévisible et manipulateur patenté de l'opinion, résolu à tout faire pour tourner la page accablante du «party gate» durant la pandémie. Quitte à diaboliser ses partenaires européens.

«Ce type de relations n'est pas tenable dans la durée avec l’UE. La Suisse ne doit pas emprunter cette voie» confirme Sandro Gozi, ancien ministre italien et eurodéputé élu en France, professeur invité du Centre Dusan Sidjanski de l’Université de Genève.

«Posons-nous à nouveau la question de l’adhésion»

Alors? «Procédons par étapes. Puisque le projet d’accord institutionnel est enterré, reposons-nous par exemple la question fondamentale de l’adhésion à l’Union européenne. Elle aurait le mérite de clarifier le débat. De nous obliger à formuler ce que nous voulons vraiment» poursuit l’ancienne Conseillère Fédérale Micheline Calmy-Rey, venue défendre à l’Université de Genève la neutralité suisse – absolument compatible pour elle avec la mise en œuvre des sanctions décidées par l’Union.

Car les Anglais le savent aujourd’hui: ils ont été dupés. L’enjeu de la rupture avec l’Union européenne a été galvaudé, dissimulé, tronqué, camouflé par les «brexiters». Le référendum du 23 juin 2016, remporté par le «no» à 51,9% (17,4 millions de personnes ont voté pour le Brexit, et 16,1 millions pour rester dans l’UE) a été la conséquence de ces mensonges. Or, bâtir sur des décombres politiques une relation durable n’est pas tenable. Il faut d’abord reconstruire un consensus.

God Save the Queen!

God Save the Queen! Mais ni la Reine Elizabeth II, ni Dieu ne sauveront les intérêts de la Suisse face à l’Union européenne qui l’entoure.

Alors, oublions Londres et regardons vers Bruxelles. D’autant qu’à Buckingham Palace, un mystère n’est toujours pas élucidé: celui du vote royal lors du référendum du 23 juin 2016. «Yes» ou «No»? Le jubilé des 70 ans de règne est aussi celui du grand silence européen.

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