Dans un peu plus d'une semaine – le 20 janvier – débutera à Davos la 55e rencontre annuelle du World Economic Forum (WEF). Mais pour une fois, les yeux du monde ne seront pas tournés vers la rencontre des riches et des puissants dans la vallée de Landwasser, mais vers l'investiture de l'homme le plus puissant du monde. En effet, le même jour Donald Trump prêtera serment à Washington DC en tant que 47e président des Etats-Unis. Une véritable concurrence pour le WEF et son président et CEO Børge Brende.
Børge Brende, cela vous dérange-t-il que Donald Trump vous vole la vedette?
L'intérêt mondial pour l'investiture de Trump est grand. Mais Davos offre de nombreuses occasions d'échanger sur la nouvelle politique américaine et de mieux la comprendre. Nous enregistrerons cette année à Davos une participation record du monde économique et gouvernemental. De plus, certains représentants de la nouvelle administration Trump viendront à Davos. Il y aura donc des chances de rencontrer les nouveaux décideurs.
Qui viendra?
Je ne peux pas trop en dire pour des raisons de sécurité et de confidentialité, mais je peux vous promettre qu'il y aura quelques surprises. De plus, Trump est venu deux fois à Davos lors de son premier mandat, il connaît donc l'importance de ce forum. La nouvelle administration de Washington laissera une grande empreinte à Davos, je peux l'assurer.
Trump préfère le deal aux grandes structures politiques. Soyons honnêtes, la plupart des dirigeants économiques sont dans le même cas, ils viennent à Davos pour faire des affaires et non pour améliorer le monde.
Vous avez raison, de nombreux contrats sont conclus à Davos, il s'agit aussi de faire des affaires. Ce n'est pas négatif, car des affaires conclues avec succès signifient plus d'emplois, plus d'investissements et plus de croissance. Mais l'importance du forum va bien au-delà de cela. C'est le rendez-vous le plus important du début de l'année pour faire bouger les choses et connaître les tenants et les aboutissants des affaires du moment, je le sais par expérience.
Je me suis déjà rendu à Davos en tant que ministre des Affaires étrangères, de l'économie, du commerce et de l'environnement. Les gouvernements, les entreprises et la société civile s'y rencontrent pour mieux comprendre ensemble ce qui attend le monde cette année. Et il y a toujours eu des percées d'importance politique mondiale. Par exemple en ce qui concerne la fin de l'apartheid ou les initiatives de vaccination.
Quelle est la valeur de ces contrats, peut-on la chiffrer? Il s'agit certainement de milliards.
Bonne question! Nous n'avons pas de données à ce sujet. Nous nous concentrons davantage sur d'autres accords entre Etats et entreprises qui sont conclus à Davos. Par exemple, la prévention des déchets plastiques dans les océans, des garde-fous pour l'utilisation de l'intelligence artificielle ou des efforts pour lutter contre la corruption.
«Travailler ensemble à l'ère de l'intelligence» est le thème de la rencontre de cette année. Compte tenu de la crise et des guerres, peut-on vraiment parler d'une ère intelligente?
C'est une bonne remarque. Mais ce dont il est question ici, c'est plutôt de l'importance de la connaissance et de la technologie dans les années à venir. Nous nous trouvons à un tournant. Si l'on regarde le commerce mondial aujourd'hui, le commerce en ligne et les services numériques se développent trois fois plus vite que le commerce de marchandises. L'intelligence artificielle fait également partie de la partie de l'économie qui connaît la croissance la plus rapide. Nous nous dirigeons vers une nouvelle ère de la réalité industrielle, dans laquelle la connaissance et l'intelligence constituent la base.
Seulement, les gens n'agissent pas toujours de manière raisonnable.
Tout ce qui se passe dans le monde n'est de loin pas intelligent. Bien au contraire. L'année dernière, par exemple, nous avons vu le plus grand nombre de personnes tuées dans des situations de guerre, un nombre jamais atteint au cours des 30 dernières années. Il y a 120 millions de personnes déplacées sur notre planète. C'est probablement le chiffre le plus élevé depuis la Seconde Guerre mondiale.
Où voyez-vous les plus grands risques cette année?
Cela faisait longtemps que Davos n'avait pas eu lieu dans un contexte géopolitique aussi difficile. Il est de notre devoir de veiller à ce que toutes ces crises ne s'aggravent pas. Mais nous ne devons pas non plus être trop pessimistes.
Pourquoi?
L'économie mondiale est robuste, elle va croître de 3% cette année. Ce n'est certes pas autant que ces dernières années, mais ce n'est pas non plus un recul. L'important est que les crises géopolitiques ne deviennent pas incontrôlables et n'entraînent pas de conséquences négatives pour l'économie mondiale. Moins de croissance entraînerait plus d'inégalités et donc moins de prospérité, ce qui serait très négatif.
On remarque tout de même un manque de leadership mondial. Pour Trump, les représentants de la coopération internationale font partie des perdants. Le WEF aussi?
Nous devons faire face à la réalité. L'ordre mondial tel que nous le connaissons depuis la fin de la guerre froide a fait son temps. Un nouvel ordre est en train de naître et la concurrence entre les Etats s'intensifie…
Plus de concurrence ne peut pas faire de mal…
Dans le monde des affaires, oui. Mais il y a là aussi de nombreuses règles qui permettent de canaliser la concurrence de manière ordonnée. Dans la géopolitique, les intérêts américains se heurtent aux intérêts chinois ou à ceux d'autres Etats. Cela s'intensifie. Chacun regarde d'abord pour soi, en matière de politique étrangère, de sécurité ou d'économie.
Il s'agit de moins en moins de l'intérêt commun et de plus en plus de l'intérêt personnel. Pourtant, même dans un monde où la concurrence entre les Etats est si forte, il existe toujours des champs d'action pour la coopération. Le forum doit et a le pouvoir de s'occuper de ces thèmes et être un lieu de rencontre important pour des solutions et des percées.
Par exemple?
La cybercriminalité: même les Américains et les Chinois ont un intérêt commun à ce qu'elle ne fasse pas plus de dégâts. Ou la grippe aviaire: si l'on ne parvient pas à l'endiguer aux Etats-Unis, le virus se propagera, ce qui ne peut être dans l'intérêt ni de la Chine ni de l'Europe. Mais il est également important que le forum parvienne à réunir autour d'une table des personnes qui ne veulent pas forcément se parler, afin qu'un dialogue puisse au moins s'engager et, espérons-le, avoir un impact.
D'accord, mais qu'est-ce que le citoyen suisse ordinaire retient de tout cela?
Si les principaux décideurs de l'économie, de la politique et de la société civile travaillent ensemble et trouvent des solutions communes, cela profitera autant aux habitants de la Suisse qu'au reste du monde. Et le statut et la confiance de la Suisse en tant que pays neutre augmentent. Il est également bénéfique qu'autant de chefs d'Etat et de gouvernement ainsi que de dirigeants économiques aient un échange avec le Conseil fédéral.
Trouver un logement abordable à Davos pendant la rencontre annuelle est presque impossible. Que fait le WEF contre l'arnaque au logement?
Lorsque le monde entier vient à Davos pour une semaine, la demande d'hôtels et d'appartements est très élevée. Mais il en va de même pour d'autres grands événements internationaux comme les conférences sur le climat ou l'Assemblée générale des Nations Unies. Nous devons accepter des prix plus élevés, même s'ils ne doivent pas être excessifs. Pour les hôtels, cela fonctionne très bien.
Peu avant le WEF, l'élite mondiale des cryptomonnaies se réunit à Saint-Moritz. L'événement fait-il concurrence?
A Davos aussi, on discutera beaucoup de cryptomonnaies, de leur rôle dans l'économie mondiale, de la manière d'éviter les abus. Vous voyez, la concurrence se joue aussi dans les grandes manifestations, je suis très serein à ce sujet.
Peu avant le début du WEF, il y aura une audience au tribunal pour des accusations de discrimination contre le forum et son fondateur Klaus Schwab. Cela jette-t-il une ombre sur la manifestation de cette année?
Je ne peux pas m'exprimer sur la procédure judiciaire en cours, mais nous rejetons clairement ces accusations en provenance des Etats-Unis. Nous prenons toutefois le sujet très au sérieux et avons mis en place une commission spéciale dirigée par le CEO d'Axa, Thomas Buberl, pour enquêter sur ces accusations. L'objectif est de faire évoluer le forum sur ce sujet et de le rendre encore plus professionnel.
Le fondateur Klaus Schwab se retire de plus en plus, êtes-vous désormais le leader du WEF?
Je n'aime pas ce terme. Nous avons une répartition claire des tâches: Klaus Schwab est le président non exécutif du conseil d'administration, je suis le président et CEO. Klaus Schwab reste pour moi un conseiller très important et une source d'inspiration. À long terme, nous visons même à répartir les responsabilités de direction de manière plus diversifiée.