Beaucoup de risque pour une poignée de francs
Les attaques contre les stations-service ont doublé en un an

L'année 2020 a vu un pic des braquages dans les stations-service. Dans le canton de Zurich, par exemple, il y en a eu deux fois plus que d'habitude. Des actes qui ont souvent des conséquences dramatiques pour les victimes.
Publié: 05.07.2021 à 05:42 heures
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Dernière mise à jour: 05.07.2021 à 10:22 heures
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Le bancomat de la station-service de Signy, près de Nyon, a été attaqué aux explosifs.
Photo: D.R.
Céline Trachsel

Trois individus encagoulés s’approchent du bancomat. Deux d’entre eux s’affairent quelques instants autour de l’appareil. Moins de six secondes plus tard, les auteurs partent en courant. Une explosion monstre retentit dans les sept secondes suivant leur fuite. La déflagration est si puissante que l’imposante machine à glaçon de la station-service décolle du sol. Elle est soufflée quelques mètres plus loin.

Ces images, que Blick a dévoilées de manière exclusive, viennent d’une caméra de surveillance de la station-service de Signy, près de Nyon. Les trois malfrats font exploser le bancomat, dans l’espoir de repartir avec ce qu’il contient de billets de banque.

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Ce genre d’attaques ne sont pas des incidents isolés. De telles scènes se répètent dans toute la Suisse, comme dans le cas de Sonja B*., une vendeuse de station-service qui s’est fait braquer par un agresseur armé d’un couteau. L’homme lui aurait montré son arme avant de la remettre dans une poche de sa veste. Il aurait dit qu’il était désolé, qu’il ne voulait pas la blesser, mais qu’il allait prendre l’argent de sa caisse. Malgré son ton doux et rassurant, la vendeuse reste choquée.

Une attaque par mois est dirigée contre des stations-service, kiosques et petits magasins, rien que dans les cantons de Berne, Zurich et Argovie. Ces lieux, ouverts tard et souvent tenu par une seule personne, paraissent des cibles faciles et lucratives.

Un boom des vols en 2020

En 2020, les vols ont augmenté de quatre pour cent dans toute la Suisse. Mais dans certaines catégories, les délits ont massivement augmenté. Dans le canton de Zurich, par exemple, les braquages de stations-service ont été deux fois plus nombreux qu’en 2018 et 2019. Au total, les voleurs ont frappé dix stations-service zurichoises en 2020 contre cinq et quatre cas dans les deux années précédentes. Si l’on ajoute les braquages de banques, de bureaux de poste et de magasins, on compte 19 actes de ce type au cours de l’année corona dans le seul canton de Zurich.

«Dans ce genre de crimes, la motivation première est le gain financier», explique l’avocat de droit pénal zurichois Jürg Krumm. Il a défendu un certain nombre de délinquants ayant commis des vols. Selon lui, il s’agit à la fois de crimes planifiés et spontanés. Les auteurs sont principalement issus de classes sociales inférieures et ont tendance à être jeunes – souvent avec un casier judiciaire, c’est-à-dire qu’il s’agit surtout de petits délinquants, motivés par l’espoir de se faire beaucoup d’argent en peu de temps.

Petits gains, grand risque

Jürg Krumm explique toutefois que ces espoirs sont illusoires: «Ils risquent la prison pour quelques centaines de francs. Le butin est généralement relativement faible et disproportionné par rapport à la punition que l’on encourt et au mal que l’on cause.

En effet, ces caisses sont vidées plusieurs fois par jour et il est rare qu’on y trouve plus de mille francs. Les sanctions, quant à elles, vont de la condamnation avec sursis à des peines de prison de plusieurs années, et certainement à la détention provisoire si le délinquant est pris. Selon la statistique suisse de la criminalité, le taux d’élucidation des vols qualifiés est de 48%.

Chaque gérant a ses concepts de sécurité secrets

Les exploitants des stations-service restent muets sur le dispositif de sécurité mis en place pour empêcher les braquages. «Nous avons un concept de sécurité et aussi une prise en charge en cas de besoin. Pour des raisons de sécurité, nous ne voulons pas en dire plus», explique Sabine Schenker, porte-parole de Coop Mineraloel AG.

La situation est similaire chez Valora, le groupe qui exploite les kiosques. «Valora attache une grande importance à la sécurité de ses employés. C’est pourquoi les directeurs généraux sont régulièrement formés sur les questions de sécurité, y compris sur le comportement à adopter en cas de vol», explique Martin Zehnder, responsable de la communication.

La police cantonale de Zurich n’a pas répondu aux questions concernant la prévention ou les difficultés rencontrées lors des enquêtes. Le porte-parole des médias, Alexander Renner, révèle seulement: «Les braqueurs n’ont pas de prédilection particulière pour un type de magasin.» En clair, cela veut dire que n’importe quel magasin peut être touché, peu importe le lieu, l’isolement, la possibilité de fuite.

Formation et suivi

Du côté de Volg, auquel appartiennent les magasins des stations-service Agrola, on peut lire: «Le thème des vols est régulièrement abordé dans les formations internes et les employés sont formés pour se comporter correctement en cas d’urgence.» À Migrolino, le porte-parole Marco Fallico répond qu’il existe des modules d’apprentissage obligatoires et des affiches reprenant les principales consignes de comportement et d’urgence: «La priorité absolue pour les employés est de rester calmes et de ne pas se mettre en danger soit ou les clients présents.»

Toutes les chaînes de magasins interrogées déclarent également qu’une équipe d’assistance est disponible pour les personnes touchées par un vol. Les conséquences psychologiques pour les victimes ne doivent pas être sous-estimées.

Cambriolée deux fois

Blick a parlé à plusieurs victimes. Sonja B. a été cambriolée deux fois à Embrach, dans le canton de Zurich. Les deux fois, elle a repris son travail normalement par la suite, jusqu’à sa retraite. Mais le sentiment que quelqu’un pourrait lui faire du mal est resté. «Depuis lors, je regarde toujours derrière moi quand je suis dehors.»

Une jeune collègue de Sonja B. a elle jetée l’éponge: hôtesse de l’air, elle avait trouvé un emploi temporaire pendant la crise du Covid. Une de ses collègues raconte qu’elle craignait de se retrouver seule dans le magasin, tôt le matin ou tard le soir. «Un jour, elle m’a dit avoir un mauvais pressentiment. Le soir même, elle s’est fait cambrioler.» La jeune femme a immédiatement quitté son emploi et est depuis suivie par une thérapeute. Elle témoigne: «Je préfère oublier ce qui s’est passé.

Une autre vendeuse de station-service de Winterthour est aujourd’hui à la retraite après un cambriolage, mais elle n’a pas quitté son travail volontairement: «Après la deuxième attaque, mon patron m’a licencié. Comme si je m’étais fait voler exprès!» Nonobstant la perte financière liée à son licenciement, elle a également eu des séquelles psychiques et a été sous médication pour fonctionner normalement. «C’était il y a des années, mais en parler aujourd’hui, ça remue tout à nouveau». Elle a refusé de nous accorder une interview plus détaillée.

L’avocat de la défense Jürg Krumm prétend savoir que «la plupart des auteurs développent très vite des remords car ils réalisent ce qu’ils ont fait à la vendeuse ou au vendeur. Certains le savent dès le début, d’autres ne le réalisent qu’après coup et sont alors extrêmement désolés.» Une petite proportion d’auteurs, en revanche, serait «très endurcie» et ne se soucie pas des conséquences.

Plus le crime est brutal, plus les séquelles sont importantes

Selon Jürg Krumm, le fait qu’une victime s’adapte ou non à une agression dépend beaucoup de la personne et de l’acte d’agression. «Si quelqu’un a une arme à feu devant son visage, qu’il croit qu’elle est réelle et que l’agresseur est sérieux dans sa menace, alors la victime a certainement une peur mortelle. Ce n’est pas quelque chose que vous voulez vivre.»

Sonja B. confirme: «Cela dépend beaucoup de la façon dont le vol se déroule. Avec le premier, je me tenais à l’extérieur de la boutique et j’ai pu m’enfuir. Lors du second, j’étais dans la boutique étroite et j’étais à sa merci. C’était beaucoup plus bouleversant pour moi.» Elle connaît également des vendeuses qui ont même été séquestrées et attachées au sol. «Je pense que si j’avais vécu quelque chose comme ça, je n’aurais jamais repris le travail».

*prénoms d'emprunt

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