Heidi.news n’a que quatre ans, mais il est déjà aux soins palliatifs. Comme l’a annoncé Blick, le portail créé en 2019 va être en grande partie dissous dans «Le Temps», qui avait racheté le pure player en 2021 via la fondation Aventinus. La marque Heidi.news devrait subsister, mais seulement avec un nombre limité de collaborateurs, pour des formats spécifiques.
Les contours de cette absorption restent flous. «Si vous comprenez quelque chose, expliquez-nous», souffle à Blick un journaliste déconcerté par les communications internes. Y aura-t-il des licenciements parmi la vingtaine d'employés de Heidi.news? Qu’implique concrètement cette nouvelle donne? Contactés, ni le rédacteur en chef, Serge Michel, ni l’éditeur, Tibère Adler, ne veulent commenter, pas plus que le conseil d’administration.
Au fond, ces annonces sont-elles si concernantes pour le grand public? Il ne s’agit que d’une restructuration, le titre Heidi.news ne disparaît pas et de telles évolutions font partie de la vie des entreprises, malgré les éventuels dommages pour les employés du titre détenu par Aventinus, cette fondation créée pour «soutenir et stimuler l’existence d’une presse qualité à Genève et dans la région lémanique».
C’est à cette aune que les récents développements sont saisissants: si la prise du projet Heidi.news venait de facto à être tirée, cela poserait un certain nombre d’interrogations et d’enseignements.
Un secteur en crise
Ce n’est un secret pour personne, la presse va mal. Dans le cas de Heidi.news, c’est même une triple peine. Il y a d’abord les lendemains difficiles des pure players, ces plateformes visant à informer sur un seul canal numérique (comme Blick dans sa version romande). De l’autre côté de la Sarine, Republik a dû licencier en raison d’une croissance absente. Réduire les taux d’activité de plusieurs employés et supprimer certains coûts matériels n’ont pas suffi à éviter le départ forcé de huit collaborateurs, et celui, volontaire, de tout le conseil d’administration.
Même si le projet alémanique a des aspects particuliers (financement participatif, coopérative, mécènes), il s’inscrit tout de même dans le «mirage des médias numériques à la Vice», comme le résume «Le Devoir» en référence à l’arrêt du portail (tiens, tiens) dont le modèle faisait rêver beaucoup de rédactions il y a quelques années.
Il y a aussi les difficultés du journalisme scientifique. «Meurt-il en silence?», se demandait il y a un an un certain… Heidi.news, en référence à la disparition du pure player (tiens, tiens, bis) alémanique Higgs.ch. «La pandémie de Covid-19 a braqué les projecteurs sur la recherche et les médias qui avaient la science chevillée au corps ont alors connu un regain d’intérêt. Mais ils sont redevenus la cinquième roue du carrosse», analysait le titre propriété d’Aventinus.
Et il y a enfin l’attrait global de la profession. «La fuite des journalistes», titrait Republik pas plus tard que ce mardi. Un article fouillé pour documenter une désertion: en bas de texte, une impressionnante liste de 130 journalistes ayant déserté les rédactions pour d’autres corps de métiers depuis… janvier 2022.
Une «indépendance» creuse
On le voit: éditer un (jeune) média est compliqué en 2023, encore plus lorsqu’il s’agit d’une plateforme en ligne. Cela peut donc expliquer l’absence de perspectives pour Heidi.news, un constat également dressé par les responsables du pure player, selon nos informations.
Mais la situation du «nouveau média suisse à vocation internationale» est plus troublante qu’un simple échec commercial. Il suffit pour percevoir la nébulosité autour du projet Heidi.news de se replonger dans les différentes communications.
Hasard du calendrier, le rachat de la plateforme par «Le Temps» grâce à un financement de la fondation Aventinus a été annoncé le 18 mai 2021, il y a deux ans presque jour pour jour. Dans un exercice louable de transparence, la direction du pure player informait alors ses abonnés sur la situation du média au moment de son rachat.
«Les fondateurs de Heidi.news ont accepté l’offre parce qu’elle garantissait à la fois l’avenir et l’indépendance de la rédaction de Heidi.news, qui restera un média à part entière», expliquait le communiqué d’alors. Une promesse qui sonne assez creux deux ans plus tard, alors que les membres de la rédaction s’apprêtent à être — en grande majorité — «avalés» par le grand frère.
Une valeur qui interroge
L'impasse qui se dessine pour Heidi.news est d'autant plus marquante que le jeune média a toujours fait l'objet de déclarations ambitieuses. En 2019, à l'issue de son lancement réussi via des membres fondateurs, le directeur éditorial, Serge Michel, évoque un objectif de 15'000 abonnés en 2022. «Nous avons levé un million en 2018, nous avons entamé la levée d'un deuxième million pour cette année, et un troisième doit suivre en 2020», évoque-t-il dans un entretien à l'ATS.
En 2021, c'est le bouleversement avec le rachat par «Le Temps». Montant de la transaction? 728'000 francs. Une belle plus-value pour les actionnaires originels du projet, qui valait 145'600 francs initialement. «Il s’agit d’une valorisation de PME raisonnable pour un jeune média considéré comme prometteur, justifie le pure player. Le prix reflète à la fois la valeur créée en deux ans de publication et le potentiel de croissance de Heidi.news.»
Dans «Le Temps», Eric Hoesli, entré quelques mois plus tôt au conseil d'administration du quotidien revenu à Genève, évoque aussi un «prix juste». Interrogé frontalement sur cette plus-value surprenante pour un média qui compte alors 6500 abonnés, loin du seuil de rentabilité (15'000), il dépeint une situation «plus complexe que cela» et renvoie à une société d'audit.
À l’été 2021, alors même que Heidi.news s’est distingué pour sa couverture très pointue de la pandémie de Covid, les comptes ne sont toujours pas bénéficiaires. «Mais ils suivent le plan initial», assurait-on alors. Les abonnements, par ailleurs toujours disponibles à la souscription ce mercredi, vont de 50 francs par an pour l'offre de base (newsletter «Point du jour» et accès aux articles associés), à 240 francs pour le modèle le plus touffu.
Où se trouve Heidi.news aujourd’hui? Ce lundi, un chiffre de 4000 abonnés a été articulé aux employés réunis par le directeur, Tibère Adler. Que va-t-il advenir de ces abonnés? Seront-ils, comme pour les journalistes, absorbés par «Le Temps»?
Le flou artistique est d'autant plus épais qu'il y a à peine six mois, en novembre dernier, Heidi annonçait entamer «une nouvelle étape de son développement» consécutif à l'éloignement du spectre du Covid-19. «La maîtrise de la pandémie ayant éloigné le virus de l’actualité, le média a été amené à se réinventer», était-il expliqué, avec un focus annoncé sur de grandes enquêtes. En avril dernier, Heidi.news révélait par exemple comment le docteur Philippe Morel, candidat au Conseil d'Etat genevois, a court-circuité un don d'organes en faveur d'un patient émirati.
Tandis que c'est un bouleversement beaucoup plus important qui s'opère, ni les visiteurs du site Heidi.news ni les abonnés n'ont reçu d'information. Gageons que les prochaines semaines devraient apporter des réponses.